Je veux un président qui agisse

Dominique Strauss-Kahn


Sur la politique de l’emploi avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, Le Nouvel Observateur et la République des Idées ouvrent le débat. dsk répond aux questions de Philippe Askenazy, chercheur au CNRS, et Jérôme Gautié, directeur de recherche au Centre d’Etudes de l’Emploi. (21 septembre 2006)


 
Chers Philippe Askenazy et Jérôme Gautié,

C’est avec intérêt, et même gourmandise, que je vous réponds. J’aime les échanges sur les questions de fond. Je me méfie de ces périodes où l’on flatte un prétendu bon sens, elles ne présagent rien de bon.

Vous avez raison de dire que ce sera au prochain président de la République de prendre des initiatives. La mondialisation, le rythme du quinquennat, les exigences des Français, tout concourt à ce que l’on mette au rebut le président d’antan qui, à force de hauteur, finissait par ne plus être qu’un oracle. Je veux un président qui agisse. Je veux un président qui tienne la barre. Un président qui réponde aux cinq défis que vous abordez. Le premier est le défi de la connaissance.

Le défi de la connaissance
Je le dis dès le début, je partage votre diagnostic. C’est bien le retour à la croissance qui doit constituer notre première priorité parce que c’est la condition d’un débat serein sur la définition d’un nouvel équilibre entre les salaires et les profits, c’est-à-dire d’un nouveau compromis social.

Le retour à la croissance doit reposer sur plusieurs piliers. Le premier est celui de la coordination des politiques économiques en Europe. Nous nous sommes dotés d’une monnaie unique mais pas d’une politique économique commune. Cette faiblesse explique une partie du marasme économique de la zone euro et il appartiendra au prochain président de la République de convaincre nos partenaires de jeter les bases d’un « gouvernement économique » sans lequel toute promesse de croissance reste du domaine de l’incantation.

Nécessaire, la coordination des politiques économiques n’est pas suffisante. Pour assurer la croissance de l’emploi et du pouvoir d’achat, la simple prolongation du modèle existant est évidemment vouée à l’échec. Je suis déterminé à conduire à son terme la seule stratégie gagnante, celle qui repose sur l’économie de la connaissance. Classement après classement, nos universités sont éclipsées par les universités américaines, mais aussi devancées par trop d’universités européennes. Le retard pris dans le financement de la recherche publique et les difficultés de celle-ci à travailler avec le secteur privé, pire encore, la forme archaïque d’organisation de notre système universitaire fondé sur une faible autonomie, une faible compétition et de faibles moyens constituent des dangers mortifères.

Au delà, c’est tout notre modèle de développement qui est en cause. Nous devons préparer l’après-pétrole, ce qui nous conduira à des efforts considérables dans le domaine des énergies renouvelables et à un débat clair sur le rôle que nous entendons donner au nucléaire. Nous devons aussi apprécier la place qu’occuperont les services à la personne et notamment le défi qui représenteront les questions de santé. Je l’ai déjà écrit, ce modèle nouveau amène avec lui la biologie comme science dominante, les préoccupations environnementales comme principe de gestion publique, la qualité de la vie comme choix collectif.

Le défi de la formation
Il nous faut ensuite répondre au défi de la formation. Je suis, comme vous, préoccupé par ces dizaines de milliers de jeunes qui, année après année, sortent de notre système scolaire sans formation. Il n’est ni moralement acceptable ni économiquement supportable de voir ainsi tant de talents gâchés. Vous dites : « pas de coupes claires ». D’accord ! Mais je veux aller plus loin et insister sur ce que me semblent être les deux nœuds gordiens qu’il convient de trancher.

Le premier est celui des inégalités territoriales. Au prétexte qu’elles ne remplissent pas leurs objectifs, Nicolas Sarkozy propose de supprimer les zones d’éducation prioritaire. Tragique erreur ! Le problème des ZEP, c’est qu’elles n’ont de « prioritaires » que le nom : elles ne disposent que de 10% de moyens supplémentaires par élève quand les Pays-Bas sont à... 100 %. Je fixe un objectif simple : moins de ZEP mais quinze élèves par classes dans les ZEP car, on le sait maintenant, c’est là la véritable clé de la réussite. Le second est celui de la petite enfance. Beaucoup se joue entre deux et six ans, quand se constitue ce que l’on appelle « le capital cognitif ». Je veux, comme cela se fait dans les social-démocraties du Nord, mettre en place un véritable service public de la petite enfance pour lutter contre les inégalités à la racine.

Le défi de la population
Le troisième défi est le défi de la population. Le vieillissement transforme notre pays qui n’a jamais connu un tel changement en si peu de temps ! Chacun le sait, cette rupture prend racine dans les progrès de la biologie, reformule les relations entre les générations, menace d’effondrement notre protection sociale. Elle pose aussi en termes nouveaux la question de notre démographie et, avec elle, celle des retraites et de l’immigration. S’agissant des retraites, je ne pense pas possible de réduire la durée de cotisation, mais je juge nécessaire de rétablir de la justice dans un système qui traite tout le monde de manière indifférenciée. C’est pourquoi il faut relancer la négociation pour tenir compte dans la durée de cotisation de la pénibilité du travail de chacun. Mais une France qui vieillit, c’est à terme une France qui meurt. Ce constat conduit à encourager la natalité, mais on sait combien ces efforts sont lents quand la confiance en l’avenir fait défaut. Il nous faut donc concevoir une politique d’immigration positive, balayant les vieilles craintes. Pour cela, il ne faut pas se tromper de problème. Nous n’avons pas trop de chômage parce que nous aurions trop de bras ; nous avons trop peu de croissance parce que notre population ne croît pas assez. Il ne s’agit pourtant pas d’ouvrir nos frontières à tous vents : l’immigration clandestine doit être combattue, mais il faut avant tout le faire en luttant contre tous ceux qui en tirent profit, les passeurs clandestins, les employeurs clandestins, les logeurs clandestins. Enfin pour que la pression reste supportable il faut bâtir un nouveau partenariat avec le Sud - et notamment avec notre Sud proche - que nous laissons honteusement s’enfoncer dans la misère.

En se saisissant de ces problèmes du long terme, le président de la République proposera ce qui fait le plus défaut aujourd’hui : une vision. Mais, pour rétablir véritablement la confiance, il devra également répondre à une seconde série de questions que vous soulevez autour de l’urgence sociale.

L’urgence sociale
L’urgence sociale touche d’abord ceux qui n’ont pas d’emploi. La réponse, on l’a vu, est avant tout, économique : sans croissance, pas d’emploi.

Aussi, n’est il pas nécessaire que je m’étende longuement sur le débat relatif à la flexibilité qui, bien souvent, n’est que le paravent bien transparent du « détricotage » du code du travail. Les réformes prônées par Nicolas Sarkozy - qu’il s’agisse du « contrat unique » ou, pire encore, de la liberté sans contrôle pour les licenciements économiques - n’auraient pas d’autres conséquences que de fragmenter et de fragiliser davantage encore notre société. J’y suis donc fermement opposé. Je propose, tout à l’inverse, d’utiliser l’instrument fiscal pour lutter contre la précarité du travail en modulant l’impôt sur les sociétés en fonction du comportement de l’entreprise en la matière.

Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’améliorations à apporter au fonctionnement du marché du travail, ce qui renvoie à votre question sur la « sécurisation des parcours professionnels ». L’enjeu est simple : les mutations professionnelles sont de plus en plus nombreuses ; elles accélèrent la progression de certains ; elles obligent d’autres à repartir de zéro. Il ne faut donc plus se contenter de protéger les postes, il faut renforcer les salariés en mutualisant ce nouveau risque professionnel. C’est pourquoi je propose que chaque salarié puisse bénéficier une fois dans sa vie d’une année de formation financée par tiers par l’entreprise, l’Etat et le salarié lui-même en repoussant de 4 mois son âge de départ à la retraite.

Cette urgence sociale touche aussi ceux qui ont un travail et qui, au fond, ont deux interrogations : leur salaire, leurs conditions de travail.

Le pouvoir d’achat est une préoccupation montante. Elle est légitime. Je veux insister sur l’organisation d’une conférence sur les revenus rassemblant dès le début de la législature tous les partenaires sociaux. Il nous faut définir pour les cinq ans qui viennent des modalités nouvelles de partage de la valeur ajoutée, tenir compte des efforts à produire en matière de formation, revaloriser les bas salaires et débattre des conditions de travail. Celles-ci constituent trop souvent un angle mort du débat public : je me souviens de l’indifférence polie que j’avais suscitée il y a près de trois ans lorsque je m’étais élevé contre la détérioration des conditions de travail qui n’est pas seulement liée au stress mais aussi aux troubles musculo-squelettiques. Il est aujourd’hui impératif de réagir.

Les leviers du changement
J’en termine par la série de questions qui concernent les leviers du changement : l’Etat et les partenaires sociaux.

L’Etat est un piètre employeur, et cela ne date pas d’aujourd’hui. Je veux un Etat plus juste et plus efficace. Un exemple : il faut que l’Etat, auquel c’est aujourd’hui interdit, puisse signer de vrais compromis sociaux. Autre exemple : des remise en cause des droits acquis peuvent être nécessaires, elles doivent donner lieu à une indemnisation. Quant aux finances de l’Etat, l’engagement que je prends est de faire ce que j’ai déjà fait de 1997 à 2000 : faire baisser les ratio dette/PIB.

S’agissant ensuite de la démocratie sociale, je constate, pour le regretter, qu’il y a en ce domaine les discours des temps d’opposition et les actes des temps de pouvoir. Je souhaite que le contrat trouve, aux côtés de la loi, la place qui lui revient. A cette fin, je continue de défendre des propositions plus radicales que celles que vous évoquez : l’organisation d’élections permettant de mesurer la représentativité et d’augmenter la légitimité des syndicats ; la règle majoritaire qui doit conditionner la validité d’un accord collectif. Je crois au rôle des corps intermédiaires - syndicats, mais aussi associations ou partis politiques -, il faut donc les rénover en profondeur.

Voilà, en définitive, ce que doit être pour moi la mission du prochain président de la République : bâtir un nouveau compromis social-démocrate dans une économie mondialisée ; assurer une cohérence entre une vision du monde et des propositions concrètes ; être capable à la fois de fixer des principes et d’oeuvrer à leur mise en oeuvre. Je mesure qu’il s’agit là d’une conception nouvelle du rôle du président de la République. Je la crois adaptée aux temps nouveaux, difficiles et incertains.
© Copyright Le Nouvel Observateur


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