Rénover le modèle français

Dominique Strauss-Kahn



Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, paru dans le quotidien Ouest France daté du 24 octobre 2005
Propos recueillis par Jean-Yves Boulic, Didier Eugène, Roland Godefroy et Joseph Limagne
 

La fracture du référendum fait-elle courir un risque d'éclatement au PS ?
Il serait absurde de considérer que le débat du 29 mai est derrière nous et qu'il n'y a aucune leçon à en tirer. Il est tout à fait nécessaire d'écouter les raisons qui ont amené des militants et des électeurs socialistes à voter non. Mais il n'y a pas de fracture. Tous les socialistes étaient de l'avis que l'Europe avait beaucoup apporté mais était beaucoup trop libérale. Le débat a porté sur la question de savoir si le traité proposé permettait ou non de compenser ce libéralisme. Les Français ont tranché : selon une majorité, le traité ne permettait pas d'améliorer les choses, contrairement à ce que beaucoup, comme moi, pensaient. Les socialistes veulent tous l'Europe. Ils la souhaitent moins libérale et plus sociale. Seule la gauche peut dépasser le clivage entre le oui et le non.

Certains ne diabolisent-ils pas le libéralisme ?
Les mots sont piégés. Il y a un libéralisme politique qui fait partie de l'héritage des socialistes. Ce qui est en cause, c'est un libéralisme exacerbé qui s'est emparé de l'ensemble de la vie économique. L'Europe est trop libérale parce qu'elle ne tient pas assez compte de la volonté de réguler les marchés. On a fait l'euro mais on n'a créé aucun instrument de coordination des politiques économiques au niveau des budgets, de la fiscalité... La volonté de réorienter l'Europe est partagée par tous les socialistes. Ceux qui compteraient sur une division durable entre nous se trompent.

Qu'est-ce qui différencie une politique de gauche d'une politique de droite, étant donné les contraintes internationales ?
La tâche essentielle est de répondre à l'angoisse des Français sur leur avenir. Bien que nous soyons l'un des pays les plus riches du monde, toute une partie de la population vit dans la précarité. Une autre craint de perdre emploi et protection sociale, s'inquiète du sort de ses enfants. J'entends montrer qu'il y a une voie qui, à la fois, ne jette pas par-dessus bord notre culture et ne refuse pas la modernité. Ni la rupture de Nicolas Sarkozy, ni la résistance à tout changement d'une partie de la gauche. Ma voie, c'est la rénovation du modèle français pour le rendre à nouveau efficace et protecteur dans une donne mondiale qui a complètement changé.

Comment résister au rouleau compresseur de la concurrence des pays émergents ?
En développant nos atouts : investir pour l'avenir dans la recherche, la formation, comme le définit la stratégie de Lisbonne. Mais elle n'a pas été mise en œuvre. Nous n'avons pas vocation à être concurrencés par les pays montants. C'est notre capacité d'innovation qui nous aidera à être compétitifs, et pas la recherche permanente de la baisse de nos coûts salariaux.

Les hommes politiques n'ont-ils pas trop promis et l'action publique n'est-elle pas devenue seulement un moyen de tempérer les effets des lois du marché ?
C'est vrai que beaucoup d'hommes politiques ont abusé du « demain on rase gratis ». Aujourd'hui encore, dans les débats socialistes, certains font des propositions dont je me demande comment elles seront financées. Les Français ne supportent plus cela. Mais, pour la gauche, l'action publique c'est l'extension du domaine du possible, c'est la construction d'une société juste. Il y a mille exemples où l'on peut faire quelque chose. À deux conditions : dire la vérité, notamment sur les coûts, et avoir la volonté.

Abrogerez-vous, si vous revenez au pouvoir, la loi sur les retraites de François Fillon ?
S'il faut abroger quelque chose c'est la logique libérale de la droite, mais cela ne nous exonère pas de proposer des solutions au pays. Alors, si abroger c'est supprimer et revenir à la situation d'avant, je ne suis pas d'accord. Si c'est remettre en chantier, oui, il faut remettre les retraites en chantier. Par exemple mieux prendre en compte les métiers pénibles ; l'âge de la retraite ne peut être le même pour tout le monde.

Pourquoi la gauche ne l'a-t-elle pas fait quand elle gouvernait ?
La gauche a été élue, en 1997, après une dissolution surprise. Sur ce dossier, elle n'avait pas encore renouvelé sa problématique. Aujourd'hui on est entré dans une nouvelle période. Nous devons changer notre logiciel. Je crois que nous commençons à le faire avec la motion de François Hollande. Sur quels points ? Le développement solidaire et pas seulement la croissance, l'égalité réelle et pas seulement formelle à l'école, le développement durable qui prend en compte la planète laissée à nos enfants, la solidarité avec les pays du Sud, qui interroge la politique agricole commune... Ces préoccupations sont différentes de celles qu'a exprimées la gauche à l'époque précédente.

Avec quoi financer un programme de gouvernement ?
La solution est dans le partage des gains et des coûts de l'activité collective. Les entreprises françaises, ces dernières années, se sont adaptées et ont bénéficié de la mondialisation. Leurs profits en ont été confortés au détriment des salaires. Il serait justifié de mobiliser l'impôt sur les sociétés, comme je l'avais fait, transitoirement, en 1997.

Ca ne suffit pas, le volontarisme va coûter cher...
Bien sûr, ça ne suffit pas, mais je ne suis pas partisan de taxer plus et dépenser plus. On peut trouver à dépenser mieux par une meilleure organisation, une meilleure programmation, un meilleur contrôle.

De quelles qualités faut-il disposer sur la ligne de départ aux présidentielles ?
Une expérience de l'État, une connaissance du monde, de l'enthousiasme, de la conviction et des valeurs politiques bien ancrées et aussi de l'imagination et de la générosité. Et, sur un plan personnel, une capacité à rassembler autour de soi et du courage, car il faut être capable de prendre des décisions difficiles.

Vous avez souvent été décrit comme dilettante...
Je sais. Cela a cessé de m'irriter. Quand j'étais ministre de l'Économie personne ne m'a fait ce reproche. Je ne suis pas comme ces politiques qui font des plans de carrière obsédés par eux-mêmes. Mais quand je suis convaincu, on m'arrête rarement.

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