Un budget inquiétant, déficient et imprévoyant | |
Présentation, le 21 octobre 2004, à la tribune de l'Assemblée nationale par Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, d'une motion de renvoi en commission du Projet de Loi de Finances pour 2005. |
Monsieur le Président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Pourquoi plaider aujourd'hui pour un renvoi ? Parce que votre budget est économiquement inopérant, socialement inquiétant, budgétairement déficient et politiquement imprévoyant. Commençons par la politiqueIl y a eu deux ans de politique économique erratique, camouflée derrière l'argument éculé de la facture laissée par vos prédécesseurs. Je voudrais d'un mot faire litière de cet argument. Il est certes très classique et je dois à la justice de dire que tout le monde l'a employé. Qui ne se souvient d'Alain Juppé rappelant en 1995 que ses prédécesseurs lui avaient laissé les finances publiques dans un état calamiteux. Je cherche d'ailleurs sans le retrouver le nom du ministre du Budget qui était ainsi cloué au pilori ! Mais même si ce plat est classique, il ne peut pas être servi en étant trop réchauffé. Quand le président de la République a dissous en 1997, c'est - disait-il - parce que le budget était impossible à faire et qu'il lui fallait pour tenir, une majorité renouvelée. Reconnaissez que l'importance de l'héritage qui nous a été laissé était estimé par un expert ! Nous nous sommes bien sûr servi de cet argument pour justifier les mesures à prendre. Mais ces mesures ont été prises. Six mois plus tard, la France se qualifiait pour l'euro. Et j'annonçais que la période de l'héritage était révolue, j'annonçais que j'assumais la suite. M. Sarkozy qui ne manque pas une occasion de souligner combien les socialistes sont médiocres, reconnaîtra que la majorité à laquelle il appartient a du être bien indigente pour resservir encore cet argument et que lui même au bout de six mois d'exercice, a eu le temps qu'il fallait. Si bien qu'aujourd'hui c'est la politique du ministre des Finances qui s'applique et ses fautes lui incombent. Le gouvernement voulait le temps, il l'a eu, il l'a encore. Vous vouliez agir sans blocage. Vous avez toujours tous les pouvoirs. Vous vouliez la stabilité, le peuple qui vous a pourtant sanctionné est tenu en lisière de vos indécisions. Le ministre des Finances voulait être libre, il est sans entrave, l'Elysée suit les sondages. A l'UDF on le ménage, le MEDEF l'encourage. C'est donc le budget de Nicolas Sarkozy et ce budget n'est pas anodin. Il était la référence de la première partie du quinquennat. Son rôle titre fut la sécurité, il eut un succès mitigé. Il est le phare de la seconde, son credo sera, nous l'avons compris, libéral. Je ne suis pas certain de son succès. Mais ce qui vient de lui engage votre camp. Dans le budget, on cherche en vain les défis que vous voulez relever pour la France. On scrute en vain le dessein qu'il prétend avoir. Sans défis ni dessein, votre budget ne prépare pas l'avenir. La France a sûrement besoin d'habileté, mais elle a surtout besoin d'une détermination au service d'un projet collectif : rendre la France plus juste, rendre la France plus sûre et les Français plus forts. Ceci a un autre nom, la cohésion économique et sociale. Mais il ne peut y avoir de cohésion sans cohérence et sans cohérence, il n'y a pas de confiance. Point de défis, pas de dessein, vous avez semé l'incohérence et récolté la méfiance. Car, lorsque règne l'injustice, il ne peut y avoir de confiance. Ne cherchez pas plus loin les raisons de vos hésitations, ordres et contre-ordres, reculades de toutes sortes. Ce gouvernement est inconstant, c'est sa logique car vous voulez appliquer un libéralisme qui ne passe pas. Mes chers collègues, Pendant deux ans et demi, ce gouvernement a appliqué, avec un succès désastreux, la politique que le président de la République attendait de lui. Cette politique, quatre fois sanctionnée par les urnes, quatre fois désavouée par le peuple. Fallait-il poursuivre ? Le gouvernement a hésité une fois de plus, puis il s'est résigné. Faire la même chose tout en présentant cela autrement. La communication était là et on s'est rué sur les annonces du nouveau ministre des Finances. Chacun y a vu, ou a voulu y voir, une césure. Depuis, et la présentation de ce budget n'a pas fait exception, le discours s'est lesté de quelques références historiques rassurantes. La mémoire d'Antoine Pinay a été mobilisée avec " la gestion du bon père de famille prudent et avisé ". Poincaré y a apporté une touche de " sauveur, défenseur des propriétaires privés contre la dette publique ". Même Edgar Faure a été enrôlé avec l'image d'une " expansion dans la stabilité ". Quant à la " volonté de réforme ", elle fut tellement utilisée par tous qu'elle est à la portée rhétorique de chacun. Ma conviction est que cette césure est trop artificielle pour ne pas être virtuelle. Et les choix qui sont faits pour l'année 2005 ne sont pas à la hauteur des défis de demain. Il est un danger sur lequel je me permets d'appeler l'attention de la majorité actuelle, et plus généralement de l'opinion publique. Plus le ministre des finances est populaire, et plus on en attend des merveilles. Et souvent il se contente de reparcourir les itinéraires les plus rebattus. La raison ? C'est que lorsqu'on est ministre des finances, que la situation est tendue, mais qu'on veut tout de même rester populaire, il n'y a qu'une politique, c'est " l'art de cacher aux hommes ce qui leur déplaît ". La formule est de Necker qui était un expert. Hélas pour la France, ces politiques-là ne sont pas celles qui rompent avec un passé difficile. Elles ne sont pas de celles qui permettent d'échapper aux défis de l'avenir. Pour ma part, j'ai la conviction que, derrière les séductions du discours, le budget qui nous est présenté aujourd'hui s'inscrit dans la continuité exacte des budgets présentés par Francis Mer. Avec pourtant deux nouveautés : l'année dernière, on n'avait pas de marges, aujourd'hui, on les sacrifie, l'année dernière, on disait la vérité, aujourd'hui, on la masque. Ce gouvernement a fait de son propre discours un refuge face à une fuite en avant qui se poursuit. La politique que vous affichez n'est qu'un reflet trompeur qui dissimule mal une vision absente. Je souhaite donc, en revenant aux faits, de vous dire pourquoi je crois ce budget économiquement inopérant et socialement injuste. Ce budget est d'abord un budget économiquement inopérant. Pourquoi ?D'abord parce que c'est un budget sans présentMonsieur le Ministre, où est votre volontarisme ? J'allais dire mais où est donc passé Nicolas Sarkozy ? Au delà de l'affichage et du saupoudrage, il manque de vraies lignes de force, d'une stratégie économique qui guide et justifie vos choix budgétaires et fiscaux. C'est au fond un budget en trompe l'oeil. L'embellie conjoncturelle vous aide du côté des recettes. Vous espérez beaucoup de la croissance mondiale que la France cherche à accrocher avec retard. Vous attendez des résultats très positifs des entreprises qu'ils se transforment " mécaniquement " en investissement. En réalité, si l'on met à part quelques réminiscences en vogue aux Etats-Unis - les cadeaux fiscaux aux privilégiés, la priorité aux dépenses militaires - votre budget est celui de toutes les absences. Le pouvoir d'achat, d'abord. Il est une nouvelle fois le grand oublié de votre politique. A peine plus de 0,3 % en 2003 et une progression limitée à 1,5 % pour 2004. Sans rentrer dans la polémique qui vous oppose à Michel Edouard Leclerc, sans forcer le trait donc, le pouvoir d'achat fait du surplace. Cela vient d'abord d'une augmentation sans précédent des prélèvements sociaux. Plus de 6 milliards d'euros sont programmés pour 2005, dont 900 M€ au titre de l'élargissement de l'assiette de la CSG sur les salaires. Cette dernière pèsera directement sur la consommation des ménages les plus modestes. Au total, la progression de pouvoir d'achat, prévue à 2,2 % en 2005, ne pourra pas être tenue. Ce sera d'ailleurs déjà le cas dès 2004, notamment parce que l'inflation, proche de 2,2 %, sera supérieure au 1,8 % prévus initialement. On mesure la fragilité des affirmations du ministre selon lequel l'inflation serait de 1,8 % en 2005 " compte tenu de la baisse des prix dans la grande distribution… ". Quant à la politique de l'emploi, elle est sans boussole. La disparition programmée des emplois-jeunes et d'une grande partie des contrats aidés, ainsi que la remise en cause de la loi de modernisation sociale ont été une erreur. Les gouvernements de droite ont toujours été convaincus qu'une baisse des cotisations sociales alliée à une diminution de l'impôt était une condition nécessaire à la relance de notre économie. Vous revenez aujourd'hui sur ce choix, contraints d'opérer une pause dans le processus de réduction de l'impôt. Pour quelle politique ? Pour quelle ambition ? Rien pour le pouvoir d'achat, rien pour l'emploi, vous n'avez pas non plus de politique européenne. Votre budget témoigne de l'absence de toute stratégie pour l'Europe. Vous sacrifiez l'Europe en mettant à mal toute idée de coordination des politiques économiques puisque vous multipliez les annonces unilatérales sur le plan fiscal sans concertation avec nos partenaires. Sur tous ces points, ce budget s'inscrit dans la continuité des budgets précédents. Il y a pourtant des changements. Depuis deux ans, le gouvernement a multiplié les promesses sur les baisses d'impôts, c'était la stratégie. Elles ont été immédiatement annulées par des hausses de taxes. Plus de stratégie. Faute de choix clairs, ce gouvernement s'est employé à détricoter les politiques de la gauche. Défaire ce qu'on fait ses prédécesseurs fait peut être une obsession mais pas une politique encore moins une stratégie. Si bien qu'en 24 mois, ce gouvernement est passé d'un libéralisme débonnaire à un libéralisme sans repère. Dépourvu de cap économique et privé d'ambitions sur la politique européenne, votre politique n'a plus de visibilité. On peut comprendre dès lors le scepticisme des Français sur sa capacité à inverser la tendance sur le front de la croissance et de l'emploi. En réalité, je crains que vous n'ayez pas pris la mesure du principal enjeu économique du moment : surmonter le grave manque de confiance de l'ensemble des Français vis-à-vis de la politique économique de votre gouvernement. C'est là un signe grave parce qu'il engage notre avenir : malgré le redressement de leur situation financière, les entreprises hésitent à lancer de nouveaux projets, comme elles hésitent à embaucher. Dans ces conditions, un cercle vicieux s'engage : l'augmentation des prélèvements sociaux et la stabilité du chômage ne peuvent que continuer à peser sur la confiance et le pouvoir d'achat des plus faibles et à asphyxier la reprise. Si vous ne pesez pas sur le présent, vous sacrifiez l'avenirCherchant à lâcher du lest pour reprendre de l'altitude, ce que vous avez " passé par-dessus bord ", c'est l'avenir. Je prends deux exemples, deux chantiers où l'Etat devrait en principe investir et dessiner le futur du pays.
Décortiquons ! La création annoncée de 1000 postes pour la recherche n'est que la reprise des promesses non tenues de 2004. Le milliard d'euros de moyens supplémentaires pour la recherche se réduit à des crédits budgétaires supplémentaires de 386 millions dans la loi de finances. Quant à la décision largement médiatisée d'un prêt à taux réduit pour l'achat d'un ordinateur pour les étudiants, elle ne parvient pas à masquer le manque d'effort significatif. Les bourses augmentent moins que l'inflation. Les frais d'inscription progressent beaucoup plus : en moyenne de 4 %.
Le chef de l'Etat avait longuement insisté, lors de son intervention du 14 juillet, sur la priorité dont elle ferait l'objet. Dans le texte qui nous est présenté, l'éducation n'est prioritaire que pour les suppressions de postes. Il ne s'agit pas d'une appréciation mais de faits : plus de 5 000 suppressions de poste dans les collèges et les lycées. Ils s'ajouteront au non-renouvellement de plus de 6 000 contrats d'aide éducateur et à la diminution du nombre de surveillants. Quant à la création de 700 postes dans le primaire, elle est dérisoire au regard des 55 000 élèves supplémentaires que les écoles devront accueillir l'année prochaine. Pourtant, changer vos priorités n'était pas impossible car contrairement aux budgets précédents, vous aviez des marges de manœuvre ! Oui ! Le gouvernement bénéficie de marges d'action et d'investissement. C'est une première pour le gouvernement de M. Raffarin. Jusqu'à présent il avait préféré se priver de toute marge budgétaire en s'obstinant à baisser les impôts pour les plus riches, tout en creusant les déficits. Grâce à une conjoncture plus favorable qu'attendue, l'Etat va encaisser d'ici la fin de l'année 5 Milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires. Comment auriez-vous caractérisé cela dans l'opposition, la cagnotte cachée, je suppose ? Elle vous permettra au passage de respecter de justesse l'engagement que vous aviez pris vis-à-vis de nos partenaires européens d'atteindre un niveau de 3,6 % de déficit. Le gouvernement a proposé hier de mettre en place une commission pour débattre de ce qu'il fallait faire de l'excédent de recettes dû à la hausse du pétrole. Votre proposition, si vous êtes cohérent, doit valoir pour tout excédent de recettes. Alors il faut réunir cette commission très vite, avant que les comptes de 2004 ne soient clos. L'an prochain, votre gouvernement bénéficiera de plus de 20 milliards d'euros de supplément de recettes fiscales par rapport à la loi de finances initiale pour 2004. Qu'est-ce que vous allez en faire ? Affecter une part de ces recettes - 10 milliards d'euros - à la réduction des déficits, que votre gouvernement a imprudemment creusé ces trois dernières années. Je vous donne raison sur ce point –- assurez-vous - ce sera votre seul accessit. J'y reviendrai plus tard quand j'aborderai la réalité de la baisse du déficit. Mais au delà du déficit. Qu'en faites vous ?
L'investissement dans le social, c'est le poids des maux malgré le choc Borloo ! Franchement ce plan se borne à réitérer l'objectif de 500 000 apprentis, déjà affiché par la loi Dutreil dite d'initiative économique. Sur ce point comme sur d'autres - je pense au logement -, ce gouvernement a inventé une forme de traitement rhétorique de la question sociale. Il affiche périodiquement des objectifs et des promesses ritualisés, dans des projets différents, présentés par des ministres différents, chacun apportant son effet d'annonce, avec un aplomb toujours plus désarmant. Au demeurant, ce plan n'est toujours pas financé. Malgré l'annonce la mobilisation de 13 milliards d'euros, la première année d'application (1,1 milliard d'euros) n'est dotée que grâce au redéploiement des autres crédits de la politique de l'emploi. A l'avenir, rien ne garantit que les 13 milliards d'euros promis seront effectivement affectés et engagés. Que l'on garde à l'esprit un chiffre peu rassurant : vous avez gelé 650 millions de crédits du budget de l'emploi en 2004. Si bien que sur le fond, je suis inquiet : le gouvernement ne compte-t-il pas sur la révision des 35 heures et la réduction des allègements de cotisations qui sont attachées à la réduction du temps de travail pour financer ce plan ? Si c'est le cas, il faut le dire. Ce plan est surtout original par le fait qu'il accompagne le recul de la politique de l'emploi. Les exemples en ce sens abondent. Les charges de l'insertion (RMI-RMA) sont transférées aux collectivités locales,avec un financement moins dynamique que la dépense. Les emplois jeunes disparaissent, à raison de 52000 en 2003 et de 47 000 en 2004. Leur suppression ne sera pas compensée par les contrats promis au titre du revenu minimum d'activité (RMA) et des contrats d'insertion dans la vie civile CIVIS. Et le gouvernement ampute, dans le même mouvement, 125 millions d'euros au dispositif d'insertion des publics en difficulté et 53 millions au mécanisme de reclassement des travailleurs handicapés. Difficile, dans ces conditions, de ne pas s'interroger sur ces promesses ministérielles. Quant à l'amputation d'une partie de l'enveloppe des allégements de cotisations patronales corrélée à celle du SMIC, elle alourdira le coût du travail pour les salariés non qualifiés de près de 1,2 milliards d'euros, en particulier sur les plus bas salaires, les plus vulnérables par rapport au risque de chômage. Le plan de M. Borloo a au moins le mérite de la clarté sur un point. Il remet en cause la quasi-totalité des réformes entreprises par François Fillon. L'exemple vaut particulièrement pour les contrats jeunes peu nombreux et confrontés, jusqu'ici, à l'absence chronique de plan de formation. 21,5 % des moins de 25 ans sont pourtant touchés par le chômage. Le ministre a d'ailleurs fini par convenir que les deux tiers des contrats jeunes signés en entreprise relevaient d'un simple effet d'aubaine. Finalement la seule mesure remarquable du budget de l'emploi pour 2005 est révélatrice de vos choix. Il s'agit de l'allègement de cotisations en faveur de l'hôtellerie-restauration pour plus 600 millions d'euros. Son ampleur à elle seule équivaudra à la hausse du budget de l'emploi pour 2005. La réalité est simple, votre gouvernement ne croit pas à la politique de l'emploi.Il est le parent pauvre des budgets de votre gouvernement depuis 2002. De reniements en contradictions sur le bien fondé des exonérations de cotisations sociales ou du traitement social du chômage, le gouvernement a montré qu'il n'avait pas de politique en la matière. Pourtant, la politique de l'emploi, ça marche. Je lisais dans le rapport de M. Camdessus qui a été encensé par Nicolas Sarkozy, qu'il fallait avant tout augmenter le nombre d'heures travaillées. Ceci est juste. Des calculs que j'ai faits réaliser vous intéresseront peut être. On travaillera en France environ 37 milliards d'heures. Ce qui est important c'est que de 93 à 97 ce nombre total d'heures travaillées a baissé de 0,1 % par an. Depuis 2002, il baisse de 0,25% par an, la perte s'accélère. Et de 97 à 2002 demanderez-vous, sans doute. Eh bien le nombre total d'heures travaillées en France a progressé de 0,5 % par an. Sous Jospin la France a travaillé un milliard d'heures de plus, sous Raffarin 200 millions d'heures de moins. Cherchez l'erreur ! Et pourtant cette année, vous avez la croissance. Mais s'il faut de la croissance pour créer des emplois, cela ne suffit pas. Il faut transformer la croissance en emplois. Vous n'y parvenez pas. Beaucoup l'ont dit avant moi, |
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