Le mythe du trésor caché

Dominique Strauss-Kahn

Point de vue signé par Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 20 avril 2004


 
Le mythe d'un trésor caché a traversé la longue histoire de nos crises financières.

L'or des Templiers est apparu un jour à un roi de France aux abois comme la solution de tous ses embarras. Philippe le Bel a eu beau persécuter l'ordre du Temple, il n'a mis la main sur aucun trésor. De l'avis de John Law, l'inventeur de la monnaie de papier, et au grand enthousiasme du Régent, l'or de la Louisiane n'attendait que d'être mis en valeur pour éponger la dette héritée des guerres de Louis XIV. On sait comment l'aventure a fini. Quand enfin il a fallu, en 1790, conjurer la banqueroute de l'Ancien Régime, Talleyrand a construit son premier succès politique sur ce précepte : « Les biens de l'Eglise sont à la Nation ». Mais c'est plutôt à l'extraordinaire inflation provoquée par l'impression de ces mêmes assignats qu'a tenu l'érosion de la dette de l'Etat.

A son tour, un gouvernement en difficulté croit aujourd'hui avoir découvert l'arme absolue, la manne providentielle, le trésor caché dont personne avant lui n'avait soupçonné l'existence : il vient de découvrir l'or de la Banque de France. Comme tous les précédents aventurés dont elle est le rejeton dérisoire, cette idée simple a tout d'une idée fausse. Elle est de plus une erreur tactique et une supercherie.

L'économie française souffre aujourd'hui de la faible confiance qu'ont en l'avenir les consommateurs et les investisseurs : l'atonie de la demande intérieure reste le principal obstacle au redémarrage de l'activité. Annoncer qu'on a besoin de vendre l'or de la Banque de France est, dans une telle conjoncture, une erreur tactique. En nourrissant ainsi le sentiment que l'Etat est à court de ressources et réduit à vivre d'expédients, on sème le doute. Les politiques économiques contemporaines doivent s'attacher autant aux anticipations des agents qu'aux grands équilibres, ce qui suppose de ne pas donner de signaux à contretemps. A un moment où, empêtré dans une croissance molle, le pays doute de son avenir, à un moment où la dégradation des finances publiques prend un caractère explosif, on ne restaurera pas la confiance en la politique économique par l'annonce dramatisée de mesures ponctuelles. Quant aux particuliers qui, en France, détiennent sans doute plus de 3 000 tonnes d'or sous forme de lingots ou de napoléons, ils ne seraient certainement pas incités à consommer davantage si leur patrimoine fondait sous l'effet d'une baisse du cours induite par la vente de l'or de la banque centrale.

Il pourrait bien entendu en aller différemment en période de forte croissance : quand la confiance est solidement établie, il peut être anodin de déclarer que l'on se défait d'une partie du stock d'or national pour lui faire produire des intérêts. On ne prête cependant qu'aux riches. C'est là un des paradoxes de la recherche de la croissance : les instruments disponibles sont d'autant plus nombreux qu'on en a moins besoin ; les marges de manœuvre sont d'autant plus importantes qu'elles sont moins nécessaires.

Le nouveau ministre des Finances dit vouloir gérer l'économie française en bon père de famille. On attend de lui des perspectives d'une autre ampleur que la cession sans délai de l'or de la France. De surcroît, cet or fait partie des réserves de change de l'Union monétaire. Constituées également de devises, ces réserves (Source FMI février 2004, hors avoirs sur le FMI) s'élèvent à environ 270 milliards d'euros aux cours actuels, dont 40 se trouvent dans les caisses de la Banque centrale européenne et 230 dans celles des banques centrales nationales. Ces sommes doivent être mobilisables à tout moment pour défendre la parité de l'euro. On nous dit que la création de l'euro rend ces réserves excessives ? Le Japon dispose de près de 600 milliards d'euros de réserves et la Chine, qui accumule les devises à mesure qu'elle s'insère dans l'économie mondiale, en a déjà constitué pour environ 350 milliards. Au regard de ces chiffres, rien ne permet de penser que les réserves de l'Union monétaire sont trop importantes. On objectera que les réserves américaines n'excèdent pas 115 milliards d'euros ; mais leur modestie n'est que le signe du rôle particulier joué par le dollar dans le système monétaire international. L'euro n'en est pas encore là.

Au-delà de ces questions d'opportunité, il existe aussi des contraintes de faisabilité. Qu'on le veuille ou non, les réserves en or et en devises sont inscrites au bilan des banques centrales de l'Eurosystème et ne peuvent en être extraites pour aller abonder les comptes des Etats. Tenter de consacrer le produit d'une vente d'or de la Banque de France au financement des dépenses budgétaires constituerait une manipulation.

Pareille manœuvre contreviendrait aux règles européennes interdisant de financer le déficit budgétaire avec des ressources en capital. Il est vrai que, depuis deux ans, la France bafoue la plupart de ses engagements européens. Au moins pourrait-elle demeurer fidèle aux principes de bonne gestion qui les fondent : pas de financement de dépenses courantes avec des recettes provenant de cession d'actifs. Cela vaut pour l'or et les devises comme pour le produit des privatisations. Le gouverneur de la Banque de France ne disait pas autre chose voilà quelques jours : « J'ai souligné qu'il n'était pas possible d'envisager des ventes d'or pour financer directement des dépenses de l'Etat. Vendre l'or, oui, mais... Il n'est pas question de le vendre pour donner directement au gouvernement l'argent obtenu. L'or détenu par la Banque de France, qui fait partie des réserves de change européennes, est inscrit dans les comptes financiers de notre institution et il ne peut en sortir qu'à la condition d'être aussitôt remplacé par un autre actif  » (Le Parisien, 14 avril 2004).

S'il ne saurait donc être question de vendre de l'or pour financer des dépenses, fussent-elles « d'avenir », il reste possible (même si ce n'est pas psychologiquement opportun) de mobiliser une partie du stock d'or pour le convertir en un autre actif plus rémunérateur dont le placement permettrait à la Banque de France d'augmenter ses revenus. Par l'intermédiaire des impôts payés par la Banque et du dividen-de qu'elle verse à l'Etat, la plus grande partie du revenu ainsi généré irait accroître les recettes publiques.

Dans ces conditions, la seule question qui demeure est de savoir quelle peut être l'importance du revenu nouveau ainsi créé ; force est de constater qu'il est extrêmement modeste.

Le cours de l'or est très sensible aux fluctuations de l'offre et de la demande du métal précieux ; il réagirait fortement à des ventes massives, ce qui risquerait de faire perdre au stock d'or une partie de sa valeur. C'est pour tenir compte de la réactivité de ce marché que les banques centrales européennes ont signé en 1999 un accord d'autolimitation de leurs ventes d'or ; renouvelé le 8 mars dernier, cet accord fixe pour ces cessions un plafond de 500 tonnes par an à partir d'octobre 2004. Chacun sait que la France ne pourra dans ce cadre vendre plus de cent tonnes d'or par an, ce qui représente environ 1 milliard d'euros. Le rendement sans risque qui peut en être attendu ne dépassera pas 4 %, soit un revenu annuel maximal de 40 millions d'euros.

On nous présente cette affaire comme l'un des instruments majeurs au service de la politique économique du gouvernement, or elle se réduit à procurer à l'Etat 40 millions d'euros par an ! Est-ce avec cela que ce gouvernement compte compenser les 20 milliards d'euros que coûte la baisse de l'impôt sur le revenu, ou encore les 3,5 milliards d'euros que représenterait, s'il devait voir le jour, l'allégement de la TVA au profit des restaurateurs (Tout au plus cela peut-il servir à financer une fondation pour la recherche, selon la bonne idée de Daniel Cohen, mais ce n'est plus un sujet de politique économique).

Le succès de cette toute petite opération de trésorerie suppose encore que la vente ne pèse pas trop sur les cours. Si la mise sur le marché d'une partie de l'or détenu par la Banque de France faisait baisser le cours de 1 %, la moins-value sur le stock serait de l'ordre de 300 millions. Il faudrait donc plus de sept ans pour la compenser par les revenus nouvellement créés. Or la seule annonce de cette mesure par le ministre des Finances a fait chuter le cours de l'or de 7 % !

Une telle opération ne changera rien à notre situation économique. Vendre 100 tonnes d'or, c'est mobiliser 1 milliard d'euros et dégager au maximum 40 millions d'euros de recettes supplémentaires, ce qui équivaut à 0,1 % de notre déficit budgétaire. Et même si ce milliard pouvait être sorti des comptes de la Banque de France au moyen d'une ruse un peu dérisoire, puis donné à l'Etat afin de contribuer à son désendettement, il ne comblerait là encore que 0,1 % d'une dette qui s'accroît actuellement de 2 % par an. Qu'on permette aux Français d'attendre du ministre des Finances des solutions qui résolvent plus de 0,1 % des problèmes qui sont devant nous.
© Copyright Le Figaro


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