Traité constitutionnel européen
Voter non, c'est voter Sarkozy en 2007

Dominique Strauss-Kahn



Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, paru dans le quotidien Le Républicain Lorrain daté du 20 mai 2005
Propos recueillis par Philippe Waucampt
 

Jacques Delors vous a-t-il rendu service avec sa déclaration sur un possible " plan B " ?
Ce qu'il a voulu dire est juste. À savoir que la terre ne s'arrêterait pas de tourner le 30 mai si le " non " l'emportait. Et que, donc, il y aurait une solution de rechange mais que ce serait long et difficile et pas vraiment mieux. Sans doute y a-t-il eu une petite maladresse à l'appeler " plan B ", reprenant ainsi l'expression de ceux prétendant qu'il y a une solution immédiate.

Cela a accrédité l'idée qu'une victoire du " non " n'aurait rien de désastreux.
Si la France dit " non ", le traité est mort et les avancées unanimement reconnues au traité sont caduques. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas un jour un nouveau traité, mais il faudra des années pour y parvenir. Par ailleurs rien ne permet de penser que le nouveau traité sera plus progressiste. Tout texte de cette nature est un compromis entre nous tous. Or, les conditions radicales que les partisans du " non " essaient d'imposer dans une nouvelle négociation ne seront pas acceptées par nos partenaires. Je le rappelle, le nouveau traité serait renégocié à trente, et les pays entrant sont plus atlantistes, plus libéraux et moins laïques que les pays fondateurs. Cette situation condamne la France au " non " à perpétuité. C'est donc une chance qui passe car, au lieu de consacrer les années qui viennent à préparer l'étape suivante sur les questions sociales ou environnementales, on en sera encore à discuter des questions institutionnelles.

En le lisant noir sur blanc dans le projet de Constitution, on dirait que les Français découvrent soudain que l'Europe est libérale.
C'est vrai que la construction européenne a des connotations beaucoup plus économiques que ne le souhaiteraient beaucoup de Français. Et c'est mon cas. Cela vient de ce que c'est une construction fondée sur un compromis entre différents pays, différentes cultures, des forces de droite et des forces de gauche. Mais, précisément, la caractéristique du traité, c'est que, pour dépasser une construction trop économique, on propose des aménagements qui, pour la première fois, sont plus marqués par le social et par la démocratie. Le grand paradoxe des partisans du " non ", c'est qu'en votant " non " ils amèneraient à garder tout le vieux, dont on considère qu'il est trop libéral, et à rejeter tous les nouveaux articles sociaux. Ce traité consacre la double culture européenne: la construction économique, celle de l'euro et l'Europe des nouveaux droits, celle de la Charte des droits fondamentaux.

A voir le côté éruptif, parfois irrationnel, du débat référendaire, n'avez-vous pas le sentiment que ce pays est en état de dépression nerveuse ?
Il y a une colère française. Mais le débat montre que quand on donne un sujet politique à débattre aux Français, ils ne se désintéressent pas du tout de la politique. La politique est de retour, et je ne m'en plains pas. La France me plaît quand elle est vivante, active et passionnée. Il reste le sentiment que le gouvernement n'écoute pas et défait les acquis sociaux, donc qu'il faut renverser la table. Je peux comprendre, même si je trouve que ce sentiment est mal appliqué à l'objet du référendum. Une colère passagère peut se montrer mauvaise conseillère, car le " non " complique l'alternative à la droite en 2007.

Comment voyez-vous l'après-référendum pour le PS ?
Si le " oui " l'emporte, le Parti socialiste sera dans sa tradition, dans son histoire, et il sera conforme au vote de ses militants. En revanche, si le " non " l'emporte, on demandera au réformisme de gauche d'abdiquer au profit d'une alliance avec l'extrême gauche. Lorsque l'amertume d'avoir été bafoué rencontre une alliance qui ne passe pas, le cocktail peut être détonnant. Pour un gain incertain dans le PS, on aura brisé la gauche, affaibli le PS et libéré à droite le chemin à Sarkozy. Quel exploit !

D'autant que la présidentielle arrivera dans la foulée...
C'est là que la gauche doit être capable de gagner pour qu'une autre politique soit conduite. Or, je ne crois pas à la thèse de l'essuie-glace, qui voudrait que les Français votent une fois à droite, une fois à gauche, donc pour nous en 2007. La gauche ne peut reconquérir les Français que si elle leur présente un projet cohérent. Mais on ne fait pas le même projet selon que c'est le " non " ou le " oui " qui l'emporte. Dans l'hypothèse où c'est le " non ", il sera beaucoup plus difficile de construire un projet susceptible de rassembler les Français.

Cette campagne rappelle que le Parti socialiste n'a jamais fait son Bad-Godesberg. Le débat actuel tient-il lieu d'aggiornamento ?
Ce que les profondes divisions de la gauche vis-à-vis du référendum traduisent, c'est la coexistence d'une gauche réformiste et d'une gauche de contestation. Largement dépassé dans tous les pays qui nous entourent - ce qui fait que la gauche est susceptible de rester longtemps au pouvoir et de changer véritablement la vie des gens -, ce débat n'est toujours pas réglé dans notre pays, où une partie de la gauche continue de considérer qu'il ne faut pas aller au pouvoir, qu'il ne faut pas se salir les mains. C'est cette position-là qui a conduit au 21 avril, Lionel Jospin ne représentant pas, aux yeux de certains, ce qu'ils voulaient que la gauche fasse demain. A jouer ce jeu-là, on a aujourd'hui la politique de Chirac, de Raffarin et de Sarkozy. Si le " non " l'emporte, il est malheureusement probable que, le 30 mai, des électeurs de gauche se réveilleront encore avec la gueule de bois. Je préférerais qu'ils se disent plutôt : " Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ; j'empoche le social et l'Europe politique "..

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