Ne pas se tromper de danger

Olivier Duhamel
Intervention d'Olivier Duhamel, député socialiste européen, membre de la Convention.
Point de vue paru dans les pages " Rebonds " du quotidien Libération daté du mardi 14 octobre 2003


 
Le débat sur la Constitution européenne ne fait que commencer. Nous autres Français avons une fâcheuse tendance à le conduire dans l'ignorance ou l'indifférence de ce qui se dit ailleurs en Europe. Qui sont, à travers l'Union, les adversaires du projet de la Convention ? Les conservateurs britanniques, déchaînés contre la Charte des droits fondamentaux et le fédéralisme. Le président ultralibéral tchèque, Vaclav Klaus, ulcéré de la réduction du pouvoir des Etats souverains. L'atlanto-thatchériste espagnol Aznar, acharné à pouvoir bloquer le plus possible de décisions européennes. Les cléricaux, de Lisbonne à Varsovie ou du Vatican à Dublin, obsédés par l'inscription d'une référence au christianisme. Les populistes autrichiens, opposés à toute consistance de la grande Europe. Ajoutez les réflexes nationalistes et peu partageux de beaucoup de gouvernements qui ne s'intéressent qu'à avoir un commissaire ou présider à tour de rôle le Conseil, et le tableau sera à peu près complet.

Il faut ajouter à la liste quelques Européens, pourtant convaincus, qui ne trouvent pas la mariée à leur goût. Dominique Rousseau en offre un exemple significatif dans Libération du 6 octobre : « Non à la Convention, oui à la constituante ». Reprenons ses trois grands reproches 

1) Il ne s'agirait pas d'une Constitution parce qu'elle n'a pas été adoptée par une assemblée constituante. Mais celle de la Ve République, à laquelle il rend un étonnant hommage, n'a jamais été préparée ainsi. Celle de la IIIe République pas davantage, ce qui ne l'a pas empêchée d'accomplir une oeuvre considérable. La Convention n'était pas, à proprement parler, une constituante, mais elle comptait une très grande majorité d'élus, nationaux ou européens. C'est même ce qui l'a distinguée de la manière habituelle de faire les réformes européennes. Elle n'a pas travaillé dans « le silence des citoyens », mais en complète transparence et liaison permanente avec les centaines de milliers de personnes qui se sont intéressées à ses travaux.

2) Le projet actuel ne définirait pas «un ordre commun des choses» dans lequel libéraux et socialistes peuvent se reconnaître. La réalité est exactement inverse. Le texte donne valeur juridique à la Charte, avec ses droits sociaux. Il pose des valeurs communes, parmi lesquelles l'égalité, la justice, la non-discrimination. Elles s'imposent aux Etats membres, qui peuvent subir des sanctions s'ils les violent. L'article 3 intègre, dans les objectifs de l'Union, une économie sociale de marché, le plein emploi, le développement durable, la solidarité entre les peuples... Toutes ces revendications ont été portées par la gauche européenne. Et c'est bien pourquoi tous ses représentants, à la Convention, y compris Verts et communistes, ont approuvé le projet. C'est pourquoi le Parti socialiste européen le soutient, ainsi que le leader de la Confédération européenne des syndicats. A l'eurodémonstration de Rome, le 4 octobre, John Monks fait de même : «J'adresse un message aux leaders des Etats qui veulent s'allier avec le conservatisme sombre : " N'y touchez pas ! " » Roger Briesch, CFDT, président du Comité économique et social, souligne, lui aussi, que le projet de Constitution marque un pas essentiel vers « une Europe plus sociale, plus démocratique et plus présente dans le monde ».

3) Le texte serait trop compliqué, entretenant « la confusion des pouvoirs ». Dominique Rousseau vise, ici, la coexistence entre le président de la Commission, celui du Conseil européen, et le nouveau ministre européen des Affaires étrangères. Tous les pays européens pratiquent pourtant cette trilogie entre chef de l'Etat, aux pouvoirs variables, chef du gouvernement, ministre des Affaires étrangères. Elle n'empêche pas en soi l'efficacité, qui dépend des moments, des volontés, des personnalités. Chacun sait que la création d'un ministère européen des Affaires étrangères sera un outil utile pour forger une politique étrangère commune.

Autrement dit, les critiques de fond se révèlent, à l'examen, aussi systématiques qu'inexactes. Les solutions proposées sont, quant à elles, totalement illusoires. Aucun pays n'est disposé à faire élire une constituante, trop de gouvernements ont déjà assez de mal avec le projet de la Convention. La transformation du Parlement européen en constituante n'est pas plus envisagée. Il vient d'approuver le projet de la Convention, et le prochain Parlement ne deviendra pas révolutionnaire par miracle.

Le projet de Constitution en discussion est déjà trop européen, trop démocratique, trop social pour beaucoup de dirigeants très frileux. L'améliorer serait idéal. Le détruire consternant. Qu'au moins les démocrates européens le défendent.


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