La Constitution tient lieu de prétexte

Olivier Duhamel


Entretien avec Olivier Duhamel, professeur de droit à l'Institut d'études politiques de Paris, paru sur le site Yahoo ! Actualités le 29 novembre 2004


 

Autrefois l’apanage des souverainistes de gauche, le « non » au Traité constitutionnel a cette fois-ci été surtout porté par des partisans reconnus de l’intégration européenne comme Laurent Fabius. Que vous inspire ce phénomène ?
Distinguons. Des pro-européens sincères doutent, à cause d’une mondialisation trop livrée à elle-même, des politiques européennes souvent décevantes, parfois néfastes, et de la dureté sociale que beaucoup subissent. Leur tentation du " non " est authentique. D'autres, surtout chez les dirigeants, sont dans le calcul politique, la recherche de la conquête du pouvoir, au sein du PS, puis dans le pays. La Constitution européenne leur tient lieu de prétexte. Ils ont accepté tous les traités antérieurs, pourtant très en deçà, et refusent aujourd’hui une constitution, qui permettrait une Europe plus sociale, plus efficace, plus démocratique, plus politique.

Les partisans du « non » voient pourtant dans ce Traité l’avènement d’une Europe diluée et libérale, où les coopérations renforcées deviendraient difficiles. Que pensez-vous de cette interprétation ?
Qu'elle ne résiste pas à l'examen. Tous les éléments " libéraux ", tous, étaient là avant. Tous les éléments nouveaux, tous, aident à les corriger : droits sociaux dans la Charte, objectifs sociaux de l'article 2, obligation de les prendre en compte dans les politiques à l'article 117, partenaires sociaux consacrés à l'article 48, etc. Quant aux coopérations renforcées, en matière de défense elle s'instaure sans condition de nombre, en matière pénale, elle devient de droit si la décision majoritaire échoue, en politique étrangère, elle n'est plus interdite.

Quelles sont les autres grandes avancées de cette Constitution ?
Une Europe plus sociale : je viens de l'expliquer. Une Europe plus efficace : toutes les institutions renforcées, 25 domaines qui passent de l'unanimité à la majorité, la majorité moins difficile à réunir que dans le système de Nice. Une Europe plus politique : les avancées pour une défense commune, un Ministre européen des Affaires étrangères à plein temps. Une Europe plus démocratique : l'alerte possible par les Parlements nationaux, le Parlement européen co-législateur dans 35 nouveaux cas, le dialogue civique, la Charte, l'initiative citoyenne.

Quelles conséquences aurait selon vous une victoire du « non » mercredi ?
Au PS, un renversement de majorité, et rapidement, un nouveau Premier secrétaire. En France, une possible inversion de la dynamique actuelle, dans laquelle le " oui " tend à se conforter. En Europe, la consternation de la gauche européenne, l'isolement croissant des Français en son sein. À la Maison blanche et au Kremlin, une satisfaction réelle, puisque l'Europe dérange, de l'OMC à l'Ukraine.

© Copyright Yahoo ! Actualités

Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]