Trois ans pour reconstruire

Jacques Delors

par Henri Emmanuelli, Premier secrétaire du PS
Entretien accordé à l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur, n°1598 (22 juin 1995).
Propos recueillis par François Bazin et Robert Schneider


 

Après le score de Jospin à la présidentielle, les performances du PS aux municipales ne constituent-elles pas, pour vous, une divine surprise ?
C'est surtout un sacré démenti pour tous ceux qui, il y a à peine six mois, disaient que le PS était un champ de ruines. Bien sûr, je n'ai oublié ni le vote-sanction qui nous a frappés aux législatives de 1993, ni notre déroute des européennes de juin 1994. Mais parce que je suis lucide, je constate aujourd'hui que le PS - en dépit de ses faiblesses persistantes - reste le premier parti de France, la principale force d'opposition et le recours pour l'alternance.

La bonne tenue du PS n'est-elle pas ternie par la percée du Front national ?
Ne renversons pas les responsabilités ! Le Front national progresse aux dépens de la droite traditionnelle. Ce n'est pas le PS qui a perdu Toulon ou Marignane. Cela dit, nous sommes très inquiets de cette montée du Front national, et nous n'allons pas rester inactifs.

Ne regrettez-vous pas d'avoir maintenu, au second tour, la liste de gauche à Toulon ?
A Toulon, le maire sortant UDF n'était pas un candidat présentable. La droite traditionnelle a refusé de faire le ménage dans ses rangs. C'est cela que je regrette. Entre la peste et le choléra, je comprends que la gauche ait refusé de choisir. En revanche, à Marignane, Dreux ou Noyon, nous avons retiré nos listes et pris nos responsabilités dans la clarté. Dommage que la droite n'en ait pas fait autant !

On a le sentiment que vous êtes le premier secrétaire heureux d'un PS en pleine forme !
Si c'est votre sentiment, je me suis très mal fait comprendre. Le PS est le premier parti de France : c'est un fait. Le résultat des municipales constitue un sérieux avertissement pour le gouvernement Juppé : c'est un autre fait, qui me conforte d'ailleurs dans l'idée que Chirac a été élu par défaut à la présidence de la République. Pour autant, je ne pense pas qu'il faille que les socialistes attendent l'alternance sur la plage...

Restez-vous partisan d'une refondationdu PS ?
J'y suis plus que jamais favorable. Les conditions politiques sont désormais réunies pour que nous nous lancions dans cet exercice indispensable. Notre organisation a su préserver ses forces. Nous avons devant nous trois ans sans élections. Nous pouvons donc travailler sans avoir le couteau sous la gorge.

Qu'est-ce qui justifie selon vous cette rénovation ?
Un cycle vient de s'achever. La dernière refondation du PS date de 1971, avec le congrès d'Epinay. Vingt-quatre ans, c'est le temps d'une génération politique. Durant cette période, nous avons géré le pays pendant dix ans, et l'un des nôtres a été à l'Elysée pendant quatorze ans. J'ajoute qu'au cours de ces longues années la réalité nationale et internationale a été bouleversée. Comment voudriez-vous que les socialistes fassent comme si rien ne s'était passé ? Le monde a changé. Les Français ont changé. Le PS doit également s'adapter.

Comment ?
Avec l'exercice du pouvoir nous sommes passé maîtres dans l'élaboration de projets de gestion gouvernementale. Je ne nie pas qu'il s'agisse d'un acquis. Mais un parti ne peut pas s'en contenter. Un mouvement politique s'épuise s'il n'est pas aussi un mouvement culturel. Nos projets doivent retrouver un certain universalisme. Il nous faut prendre de la hauteur par rapport à la pure gestion. Sans pour autant perdre de vue cette dernière, il nous faut l'inscrire dans une ambition plus large. D'accord pour débattre du déficit budgétaire en pourcentage du produit intérieur brut. Mais à condition de ne pas oublier la question du pouvoir dans l'entreprise. D'accord pour vanter les mérites de la monnaie unique. Mais à condition de ne pas déconnecter cette question de celle du bien-être social en Europe.

Que proposerez-vous aux dirigeants du PS que vous réunissez en séminaire à la fin du mois ?
Nous avons trois ans pour reconstruire notre projet. Il faut mettre le PS en état de débat permanent. Notre système de conventions est un peu lourd. Nous proposerons plus de décentralisation, moins d'introversion, moins de formalisme, plus de démocratie. En associant davantage à nos travaux des syndicats, des associations ou de simples citoyens qui ne souhaitent pas être encartés, nous enrichirons nos débats et nous moderniserons, par la même occasion, nos formes d'organisation.

A côté du PS, il y a donc, selon vous, une place pour les clubs de réflexion !
Je pense moins à des clubs qu'à des structures associées qui pourraient être organisées par thème ou par profession.

Les militants du PS ne vont-ils pas perdre une partie de leur pouvoir ?
Non. Les choix stratégiques leur seront toujours soumis. Je veux que les militants votent. Nous avons montré l'exemple lors de la désignation du candidat socialiste à la présidentielle. On m'avait dit que j'allais diviser inutilement le PS. On a vu le résultat...

Lionel Jospin n'est-il pas le mieux placé pour conduire cette refondation du PS ?
Lionel Jospin a un rôle privilégié à jouer. C'est pour cela que j'ai proposé de lui céder ma place, s'il le souhaitait. Que puis-je faire de mieux ? En politique, j'ai montré que je n'aimais ni les demi-postures ni les demi-rôles. Mon unique objectif est que chacun, avec ses ambitions légitimes et ses talents, puisse participer à un travail de rénovation qui par définition est une oeuvre collective, dans laquelle Jospin doit jouer un rôle essentiel.

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