La direction du PS ressemble à un attelage défensif


Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidien Libération daté du 12 octobre 2005
Propos recueillis par Paul Quinio


 

Aujourd'hui, la rupture, c'est la droite qui en parle... Mais que fait la gauche ?
La seule rupture visible, c'est celle du gouvernement avec le pacte citoyen et le modèle social français. La droite n'est plus libérale, elle devient néoconservatrice. Elle assimile adaptation et modernité, alors qu'adaptation signifie généralement régression sociale. Prenez le contrat nouvelles embauches. Officiellement, c'est une adaptation. En réalité, c'est le retour au « salarié jetable » du XIXe siècle. Si s'adapter, c'est baisser les salaires, faire reculer les droits des salariés, je suis contre. Pour autant, faire croire que la gauche du parti veut revenir au « Gosplan » est ridicule. Je suis attristé que François Hollande parle de nous en évoquant « ceux qui voudraient rompre avec le capitalisme en 100 jours ». C'est le genre de caricature que la droite réserve à la gauche.

Vous n'êtes donc pas pour la rupture ?
Je suis en rupture avec la logique de l'économie de marché sur des points importants, pas avec l'économie de marché elle-même. Je souhaite que le capitalisme soit régulé par la politique. Je suis en rupture avec cette tendance qui voudrait que les actionnaires gèrent le monde. Il faut aussi s'inscrire en rupture avec la dégénérescence de nos institutions et avec ceux qui, au PS, prônent une alliance avec le centre.

A ce propos, votre ami Oskar Lafontaine n'est-il pas responsable de la défaite du SPD en Allemagne ?
Non, c'est de la faute du SPD qui refuse une alliance de toute la gauche. Car la gauche est nettement majoritaire en Allemagne. Préférer la CDU à Lafontaine est une responsabilité que prend le SPD. Cela pose un grave problème à tout le PSE : Mandelson (le commissaire européen travailliste au Commerce extérieur) plus la grande coalition, c'est tout de même beaucoup.

Et avec Hollande, Strauss-Kahn, Aubry et les autres, vous êtes en rupture ?
Quand je disais qu'il ne fallait pas privatiser EDF, ils étaient en rupture avec moi. Ils ne le sont plus. Même chose sur la prime pour l'emploi ou le transfert des cotisations sociales des entreprises sur la valeur ajoutée. La majorité du PS reprend ce que je dis depuis des années. Plus globalement, je trouve que la majorité du parti manque de cohérence et de clarté. Elle ressemble plus à un attelage défensif qu'à une coalition dynamique. Quand on a six candidats dans ses rangs, et peut-être un septième qui l'est sans le dire, ça pose problème !

Pourquoi craignez-vous un congrès inutile ?
S'il doit déboucher sur la même orientation et la même direction, les Français qui ont voté non le 29 mai auront le sentiment que le PS n'a rien compris. Si les socialistes ne se mettent pas en harmonie avec les aspirations du peuple de gauche, ils se condamnent à péricliter. Déjà, 40 % de Français pensent que la gauche ne ferait pas mieux que la droite. Le rôle de la gauche n'est pas d'expliquer aux gens qu'elle ne peut rien changer.

Pour renverser la direction, pourquoi n'avoir pas choisi de rejoindre Fabius ?
Bloc contre bloc, c'est dangereux pour le socialisme. La confrontation entre le oui et le non n'est pas un clivage à perpétuer. Nous ne souhaitions pas non plus que le débat sur l'orientation soit pollué par la présidentielle. Laurent Fabius a certes fait un pas. Mais il reste, y compris dans l'histoire récente, des sujets qui justifient que le NPS dépose sa propre motion. Pour la suite, la nouvelle direction, nous la ferons sans exclusive, car je crois savoir qu'il existe des gens dans la majorité qui n'y sont pas très à l'aise. Et pour la présidentielle, chacun saura prendre ses responsabilités, sans se tromper de ligne politique.

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