Jacques Chirac
redevient un chef de clan



Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidienLe Monde daté du 1er avril 2004
Propos recueillis par Isabelle Mandraud


 

Comment analysez-vous les résultats des élections régionales et cantonales ?
L'ampleur de ce vote est sans précédent. La gauche n'a connu ces scores que lors des élections mitterrandiennes. Ce miniséisme s'analyse aussi à la vue de l'écart qui nous sépare de la droite. Ce n'est peut-être pas une adhésion massive pour le PS mais quand même... Malgré nos hésitations et nos cafouillages passés, nous nous sommes très bien positionnés sur le vote-sanction, à travers lequel les Français ont rejeté la politique de casse sociale du gouvernement. J'ai l'intuition que l'opinion marche devant les politiques. Elle va plus loin que nous, et elle est plus radicalement hostile au néolibéralisme que les élites.

Est-ce que vous condamnez le maintien de Jean-Pierre Raffarin à la tête du gouvernement ?
Personne ne conteste au président de la République le droit de nommer le chef du gouvernement. Mais il est aussi garant de notre Constitution, qui repose sur le suffrage universel. Ou alors on a changé de régime et il faut nous le dire !

Le raccourcissement du mandat met le président de la République en première ligne et fait des élections intermédiaires des élections de mi-temps. Elles servent de baromètre. En l'ignorant, Jacques Chirac prend des risques avec la démocratie. Il redevient un chef de clan. C'est grave. On ne peut pas dire : allez voter, l'abstention est un drame et, au moment où les citoyens votent, leur dire que tout ça n'a servi à rien. Les trois quarts des ministres battus vont sans doute être reconduits. Cela pose un sérieux problème.

Cette situation va-t-elle peser sur les élections européennes ?
La gauche aurait tort d'imaginer qu'elle ne doit pas tenir compte de ce vote pour les élections européennes. Les Auvergnats n'ont tout de même pas voté comme ils l'ont fait pour reconnaître la Constitution Giscard ! Ils attendent que l'on s'oppose à une Europe libérale. Nous, en tout cas, nous allons poser le débat en ces termes. Je voudrais que les élections du 13 juin deviennent une confirmation, une prolongation du vote-sanction. Les Français pourront dire aussi ce qu'ils pensent du maintien de Jean-Pierre Raffarin.

Vous qui défendez une ligne très à gauche au PS, vous sentez-vous conforté par le vote du 28 mars ?
Je remarque que j'ai cessé d'être archaïque. Je n'ai entendu personne, dans le parti, parler de baisser les impôts, de réduire la fiscalité sur les stock-options, de privatiser mais au contraire de défendre le droit du travail... J'ai vu des colloques se tenir à Londres mais aucun dirigeant socialiste français ne parle plus de Tony Blair.

Quelle opposition le PS doit-il mener ?
Frontale. C'est ce que veulent les Français. Ils applaudissent quand nous leur disons que nous déferons ce que la droite a fait et que nous l'empêcherons de poursuivre son action. Il y aura des affrontements sévères, notamment sur la décentralisation. Nous allons poser le problème du financement alors que M. Raffarin s'apprêtait tranquillement, grâce à une majorité docile dans les régions et les départements, à transférer les charges. Mais le dilemme, c'est que nous avons été, par ce vote, désignés majoritaires sur l'ensemble du territoire tout en étant minoritaires institutionnellement. L'Assemblée nationale ne représente plus la photographie de la représentation politique. Au lieu de trouver un compromis, Jacques Chirac nous ressert Raffarin, qui est totalement décrédibilisé, y compris à droite. Quant au débat sur les réformes, il est surréaliste. Tant que la droite s'acharnera à appeler réforme une régression sociale, les Français n'en voudront pas.

La direction du PS, et notamment François Hollande, sort renforcée de cette campagne. Cela modifie-t-il le rapport de force interne ?
Ce qui s'est passé est un succès pour le PS, pour son premier secrétaire et pour tous ceux qui ont battu les planches pendant la campagne. La ligne adoptée au congrès de Dijon n'évacuait pas les ambiguïtés. Je souhaite que le PS soit désormais plus précis dans son projet pour 2007.

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