Ce qui me gêne dans le plan Jospin

Henri Emmanuelli
Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, paru dans le quotidien Libération, daté du jeudi 24 aout 2000.
Propos recueillis par Renaud Dely


 

Redoutez-vous, comme Jean-Pierre Chevènement et ses amis, que le processus en cours en Corse remette en cause l'unité de la République ?
Je suis d'un jacobinisme mesuré et j'ai toujours été davantage préoccupé par la question de la démocratie, plutôt que par celle de la République. Mais, ce qui me gêne dans le processus enclenché par le Premier ministre, c'est qu'il n'a pas été précédé d'une condamnation ferme et définitive de la violence par les nationalistes de toutes obédiences. Lionel Jospin essaye de résoudre un problème compliqué. Mais le risque, c'est que cette démarche aboutisse à mettre sur le même plan le fusil et le bulletin de vote. Avant que le dialogue s'engage, j'aurais préféré entendre une déclaration claire et nette des nationalistes non seulement pour condamner solennellement le recours à la violence et à la clandestinité, mais aussi pour accepter et valider le principe démocratique. Nous ne devons pas instiller dans l'esprit des gens l'idée que l'on peut, dans une démocratie, utiliser le fusil d'abord, puis s'installer tranquillement autour d'une table pour discuter ensuite.

Vous craignez que le processus dérape ?
Je trouve extrêmement ambigus, pour ne pas dire plus, les propos de certains dirigeants nationalistes. Ils semblent mettre toujours la barre un peu plus haut. D'abord en ce qui concerne la finalité du processus, pour lequel ils évoquent une «souveraineté pleine et entière» synonyme d'indépendance; ensuite à propos du recours à la violence, qu'ils se contentent de condamner après coup; enfin, quant à l'amnistie qu'ils persistent à réclamer pour tous leurs militants, condamnés ou poursuivis. Sans une mise au point claire dès le départ pour baliser le processus, il y a un risque de surenchère permanente et ce sont toujours les radicaux qui l'emportent à la fin. Je crains que ce soit un processus sans fin qui donne des idées à d'autres.

Vous redoutez une contagion des revendications identitaires ?
Je constate que dans d'autres régions, plusieurs organisations se sont déjà exprimées en ce sens. Dans mon département des Landes, nous sommes particulièrement sensibilisés à cette question en raison de la proximité du Pays basque. Dans certains endroits, la tension est telle qu'on est au bord de la guerre civile. Je suis très inquiet, depuis un moment, de la montée de ces nationalismes basques, corses ou autres. Certains y voient un réflexe identitaire face aux périls que porterait la mondialisation. Ce n'est pas mon sentiment. Je n'y perçois pas un creusement de la singularité visant à accéder à l'universel. Au contraire, ces nationalismes exhalent une connotation ethnique qui m'inquiète beaucoup, une remontée de l'esprit de droite régionaliste. Au Pays basque espagnol, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer le caractère fascisant de certaines déclarations et de certains comportements.

Lionel Jospin doit-il revoir sa copie ?
J'ignore la représentativité des multiples responsables nationalistes qui s'expriment. J'aimerais qu'on consulte les Corses. L'unité de la République peut s'accommoder de quelques particularités, mais je ne pense pas que la Corse soit un département d'outre-mer. Son histoire est intimement liée depuis plus de deux siècles à celle de la France et plus de 600 000 Corses vivent sur le continent. A l'heure où l'on parle de transferts législatifs, il ne serait pas non plus inutile de consulter le Parlement. Au moment où l'Europe est dans l'impasse politique et manque cruellement d'un grand dessein, je préférerais que l'on profite de la présidence française pour se préoccuper de recréer un cadre démocratique européen, plutôt que d'envisager l'amputation d'un Etat républicain qui a parfois du mal à trouver ses marques. Bref, j'aimerais que l'on traite le problème par le haut plutôt que par le bas.

Jean-Pierre Chevènement peut-il rester au gouvernement ?
Il est seul juge de ses actes. Mais s'il devait partir, je le regretterais profondément parce que c'est un homme sincère qui place les principes au-dessus de l'habileté. Même si je ne suis pas toujours d'accord avec lui, je lui reconnais le mérite de toujours situer sa réflexion au plus haut niveau. J'ai de la considération pour Lionel Jospin, confronté à un problème délicat, tout autant que pour Jean-Pierre Chevènement et je serais désolé s'ils ne parvenaient pas à trouver un compromis.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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