Dans tous les cas, le PS a un problème dimanche prochain



Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 24 mai 2005
Propos recueillis par Nicolas Barotte et Myriam Lévy


 

A six jours du scrutin, quel est votre pronostic ?
Je fais confiance au peuple français, mais jusqu'au 29 mai, je resterai inquiet. L'élan profond de la France est de voter non, mais je ne sous-estime pas la force des moyens de pression du camp du oui, qui emploie des arguments de l'ordre du chantage. Et dans ce registre, toute la panoplie habituelle a été diffusée fortissimo.

Quel regard portez-vous sur cette campagne qui s'achève ?
Une chose me fait plaisir : l'opinion publique a fait irruption dans le débat européen, qui était, jusque-là, une affaire de techniciens. Aujourd'hui, les Français vont répondre à deux questions fondamentales : « Quelle Europe voulons-nous ? » « Le traité va-t-il corriger ou amplifier ses défauts ? » Ce n'est plus le contenu du texte qui est important. D'ailleurs les gens sont lassés d'entendre l'énoncé des articles. Ils ont reçu le texte. Ils ont tous compris qu'il était incompréhensible.

Certains socialistes considèrent que la victoire du non serait un nouveau 21 avril.
Il est stupéfiant de voir les artisans du 21 avril brandir le 21 avril comme une menace. Je n'avais jamais vu ceux qui perdent une bataille menacer d'en perdre une seconde. Si j'étais ironique, je dirais qu'ils ont du savoir-faire.

Que répondez-vous à ceux qui accusent le camp du non de xénophobie quand il dénonce le dumping social des nouveaux pays ?
Dans un débat politique profond, les excès sont inévitables. Mais faire semblant de confondre, comme le font certains au PS, l'internationalisme avec la collusion avec l'actionnariat est choquant. Je suis solidaire du chauffeur polonais ou tchèque que l'on enferme dans sa cabine de camion pour 120 euros par mois. Mais je ne suis pas complice de son patron.

Regrettez-vous le dernier élargissement de l'Union ?
Je ne suis pas responsable du fait que l'élargissement ait été réalisé sans un sou supplémentaire. Pour financer l'accueil des nouveaux pays, il faudrait pouvoir emprunter. Mais le traité l'interdit. Si on ne peut pas emprunter, il faudrait pouvoir augmenter les impôts. Mais on nous dit que c'est impossible. La semaine dernière, Chirac, Schröder et Kwasniewski se sont chamaillés pour savoir si le budget devait atteindre 1 % ou 1,07 % ! Nous attendions des encouragements, nous avons eu des menaces. Ce n'est plus en Europe que nous vivons, c'est dans le barnum libéral.

En quoi le rejet de la Constitution changerait-il quelque chose ?
Si le non leur arrive dans la figure, les dirigeants européens seront obligés de prendre en compte la réaction des opinions publiques. On voudrait nous faire croire que le non serait un prurit français. Mais le débat dans notre pays met le feu partout. Si la France dit non, les Pays-Bas diront non et la Grande-Bretagne aussi. J'attends de ce non une prise de conscience de nos dirigeants. Ils doivent prendre des mesures pour remédier à la crise sociale qui nous menace. J'attends ensuite que nous renégocions un traité qui s'en tienne aux aspects institutionnels et qui soit révisable par amendements à la majorité. On me dit : « Ils ne voudront pas. » Pourquoi des pays européens refuseraient-ils des principes simplement démocratiques ?

Si, comme vous le dites, ils font consensus, pourquoi ces principes n'ont-ils pas été intégrés dans le texte initial ?
Parce que M. Giscard d'Estaing et les libéraux européens ont voulu faire figurer des choix politiques partisans dans le traité. Les ultralibéraux en Europe veulent prendre leur revanche sur un siècle et demi de conquêtes sociales. La France est l'un des plus gros contributeurs au budget européen, si les autres pays ne veulent pas discuter avec nous, nous leur donnerons rendez-vous à l'ouverture de la session budgétaire. Ce n'est pas très élégant, mais cela me paraît réaliste.

En cas de victoire du non, comment démêler les votes d'extrême droite, souverainistes, d'extrême gauche et socialistes ?
Parce que l'extrême droite, pour d'autres raisons que les miennes, dit non, il faudrait que je dise oui au libéralisme ? C'est grotesque. Un projet commun entre Emmanuelli et Le Pen, cela fait rire la France entière. Un projet commun entre certains sociaux-libéraux et M. Bayrou, cela ne fait pas forcément rire. La crédibilité est plutôt de ce côté-là.

Que faites-vous concrètement le 30 mai pour faire valoir vos idées si le non l'a emporté ?
Vous demandez à un opposant comment il fait pour gouverner à la place de la majorité ? Je ne suis pas au pouvoir, je le savais déjà ! Demandez plutôt à Chirac s'il compte se retirer ou pas.

Devrait-il le faire ?
Cela dépend de l'ampleur du non. Je ne suis pas, par principe, demandeur de la démission des autres. Je n'ai pas la prétention de me substituer au suffrage universel. Ce sera à lui d'apprécier si après une nouvelle défaite il a toujours la légitimité pour conduire ce pays. Il paraît qu'il est gaulliste.

Que se passera-t-il au PS après le référendum ?
De toute façon, le PS a un problème dimanche prochain. Si le non l'emporte, c'est plus simple : le parti doit trouver un accord avec la moitié des socialistes qui a dit oui et un tiers des écologistes. Le reste de la gauche est pour le non. Si le oui l'emporte, il faut que la moitié des socialistes qui a dit oui trouve un accord avec le PC, l'extrême gauche, les altermondialistes, la moitié des socialistes et les deux tiers des écologistes. Ce n'est même plus une affaire politique, c'est une histoire d'arithmétique.

En cas de victoire du non, faudra-t-il changer la direction au PS ?
Cette question doit passionner dans un périmètre de deux kilomètres autour de l'Assemblée nationale. Pas davantage.

Pour porter les voix des électeurs du non de gauche après le référendum, faut-il créer une nouvelle force politique ?
Il est trop tôt pour le dire. Mais un sérieux débat s'amorce dans la social-démocratie européenne. Il devra trouver des développements.

© Copyright Le Figaro

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