Je rappelle à Lionel Jospin que le socialisme, c'est le refus de la fatalité


Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 18 novembre 2004
Propos recueillis par Nicolas Barotte et Elsa Freyssenet


 

Comment jugez-vous l'intervention de Lionel Jospin mardi soir ?
Lionel Jospin a tout à fait le droit de donner son opinion, mais j'aurais préféré qu'il accepte un débat contradictoire, plus conforme à nos traditions. Sur le fond, je me demande s'il a vraiment compris ce qui s'était passé le 21 avril 2002.

L'ancien premier ministre estime que votre refus isolé de la Constitution vous conduira in fine à la « capitulation ».
C'est une étrange manière de voir les choses : ne pas combattre mènerait à la victoire, et se battre à la capitulation de nos idées. Je n'accepte pas cette alternative, brandie aujourd'hui par nos élites, entre une France arrogante ou une France alignée. En combattant une France supposée arrogante, Lionel Jospin plaiderait-il pour une France alignée ? Entre dicter son opinion aux autres et refuser de la porter, il y a de la marge. Ne soyons pas manichéens. Je n'ai jamais été cocardier, mais on ne fait pas l'Europe sans la France, et celle-ci a le droit de promouvoir ses idées. Je voudrais rappeler à Lionel Jospin que l'essence du socialisme, c'est le refus de la fatalité, pas le culte de l'ordre établi.

Les socialistes n'ont-ils pas une responsabilité sur l'état actuel de l'Europe que vous critiquez ?
Il y a eu les traités d'Amsterdam, de Nice et le sommet de Barcelone. Quand je dis que Lionel Jospin n'a pas pris la mesure du 21 avril, j'ai le souvenir précis de la campagne législative de 2002, durant laquelle les électeurs nous ont en permanence reproché d'avoir cédé sur l'âge de la retraite au sommet de Barcelone. C'est peut-être parce qu'il n'a pas vécu cette campagne qu'il ne mesure pas tout à fait les dégâts qu'a pu provoquer dans notre électorat la dérive libérale de l'Europe.

Vous vous défendez d'être cocardier, mais Lionel Jospin pense que votre discours menace le PS d'une « dérive » vers un modèle « communiste » ou « souverainiste nourri aux sources du nationalisme français ».
Moi, je n'ai jamais eu de double appartenance. J'ai toujours été socialiste, et c'est moi qui ai converti le PS au fédéralisme européen. Et on aura quand même plus de mal à faire croire qu'Emmanuelli est devenu lepéniste qu'à penser que certains socialistes loucheraient vers le centre.

A qui pensez-vous ?
M. Strauss-Kahn nous explique que, si on ne dit pas oui, on va perdre des voix au centre. Moi je pense que, si on dit oui, on va en perdre beaucoup à gauche. Le PS doit-il rassembler la gauche ou loucher vers le centre ? Il semblerait que la question stratégique soit à nouveau posée. Et c'est pour ça que les sociaux-libéraux du PS restent mes adversaires.

Il n'y a pas si longtemps, vous rangiez Laurent Fabius dans cette catégorie, et vous êtes désormais dans le même camp.
Si Laurent Fabius a commencé à évoluer, je ne peux que l'encourager à continuer. Cela me pose moins de problèmes d'être à ses côtés dans le PS pour dire non que cela ne devrait en poser à d'autres d'être pour le oui avec Nicolas Sarkozy. Je constate aussi que M. Chirac suspend sa décision de garder ou pas M. Raffarin au résultat du référendum du PS. Nous en arrivons à cette aberration où, sous prétexte de défendre non pas l'Europe, mais une Consitution libérale, nous devenons virtuellement la réserve de M. Chirac. J'ai voté Chirac une fois, je ne voterai pas Chirac deux fois.

François Hollande pourra-t-il rester premier secrétaire si le non l'emporte au PS ?
Il fera ce qu'il estime devoir faire. Nous, nous ne demandons rien. Mais attention, si je peux être garant que les minorités n'exigent pas un changement de direction, je ne suis pas compétent pour garantir l'unité de la majorité du parti. Celle-ci me paraît un peu endommagée. Ce n'est pas moi qui demande un congrès extraordinaire mais Dominique Strauss-Kahn. Je trouve choquant de voir les partisans du oui brandir la menace d'un changement de direction en cas de victoire du non. C'est une façon de nier la démocratie, un raisonnement qui nous amène à la monarchie. Quant au risque de déstabilisation du PS... je rappelle que, si le PS a été déstabilisé, c'est par le 21 avril 2002.

Le secrétaire national du PS à l'emploi, Eric Besson, partisan du oui, explique que les délocalisations sont un phénomène « marginal », « instrumentalisé » par la droite et l'extrême gauche.
Je suis assez étonné qu'on instrumentalise l'affaire des délocalisations pour un débat interne. Les délocalisations ne sont pas un fantasme de l'extrême gauche ou une invention du Medef. C'est un phénomène qui va dominer la vie politique dans les prochaines années. Le traité constitutionnel ne sera pas à l'origine des délocalisations, mais le texte contient la formalisation d'un libre échange pur et dur aux conséquences désastreuses.

Quelle attitude adopterez-vous si le oui l'emporte ?
Quand on demande un vote, c'est pour le respecter. Je serai discret : j'aurais dû mal à expliquer l'inverse de ce que je pense. Ce qui serait à craindre, c'est que le PS dise oui et que la France dise non. L'objectif d'un parti de gauche n'est pas de se situer à l'inverse de ce que pense le peuple.

© Copyright Le Figaro

Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]