A gauche, un fossé se creuse



Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidien Le Parisien daté du 11 mars 2005
Propos recueillis par Frédéric Gerschel


 

La direction du PS affirme recevoir de nombreux messages d'adhérents en colère contre votre décision de faire campagne pour le non...
Si elle le dit ! Moi, je reçois plutôt des soutiens. Notamment de la part de sympathisants de gauche qui n'ont pas forcément voté pour nous lors des dernières élections. Hier encore, tout au long du passage de l'immense cortège qui a défilé dans Paris, je n'ai constaté que des signes de sympathie et de vifs encouragements.

Pendant la campagne interne, vous aviez pourtant dit que vous respecteriez le choix des militants (victoire du oui à 59 %)...
Je comprends que certains camarades soient froissés. Mais je leur demande de croire que j'agis en conscience avec en tête une certaine idée du socialisme. J'explique, dans ma lettre ouverte aux socialistes, mes raisons. Aujourd'hui, il y a une coupure nette, évidente au sein de la gauche. Une coupure entre le haut et le bas de la pyramide sociale. Je ne parle pas de schisme parce que je ne suis pas irresponsable. Je parle d'un fossé qui est en train de se creuser inexorablement. Il est évident, par exemple, que les salariés menacés par les délocalisations n'ont pas les mêmes préoccupations que les privilégiés qui aspirent à toucher des stock-options. Toute ma démarche vise à éviter à notre parti un nouveau désastre électoral, un 21 avril bis.

Vous dénoncez l'orientation libérale de l'Europe...
Elle est incontestable. En Europe, aujourd'hui, les dividendes augmentent vingt fois plus vite que les salaires. Cette orientation est inscrite à la fois dans le traité mais aussi dans toutes les directives qui l'accompagnent : directive Bolkenstein sur l'ouverture des services à la concurrence, directive sur le temps de travail, position de la Commission sur les délocalisations, libéralisation des transports et de l'énergie, et j'en passe. Une partie de la gauche approuve cette dérive libérale ou fait mine de l'ignorer, une autre la rejette, la combat. C'est mon cas.

Certains vous reprochent d'affaiblir le PS dans la perspective de 2007...
Le risque existe malheureusement déjà. Le oui divise la gauche là où le non aurait pu la rassembler. C'est, au contraire, en soutenant ce traité au côté de la droite et en se coupant du mouvement social qu'on prend des risques pour l'avenir.

Comment vous organiserez-vous dans les semaines qui viennent ?
Nous allons coordonner la campagne du non socialiste. Toutes les personnes intéressées peuvent d'ores et déjà s'inscrire sur notre site. Dès la semaine prochaine, nous poursuivrons le tour de France des entreprises délocalisables. Nous allons organiser des réunions et des meetings, publier des argumentaires.

Envisagez-vous des meetings communs avec des non-socialistes ?
Dans une deuxième phase de la campagne, il me paraît effectivement souhaitable d'organiser des initiatives avec des membres de l'ex-gauche plurielle. Je ne vois pas pourquoi nous devrions bouder ceux qui pensent comme nous au PC, chez les Verts ou les radicaux de gauche. Nous aurons aussi besoin de la ressource intellectuelle et militante d'associations comme Attac.

Pour l'instant, les sondages sont largement favorables au oui...
Pourtant, on ne sent pas un optimisme débordant chez les partisans du traité. M. Bayrou explique partout que le non va l'emporter. Il raconte même que dans son propre village il ne voit pas qui, à part lui et sa femme, va voter oui. Le non peut gagner si l'amertume, l'inquiétude, les préoccupations sociales qui existent dans le pays s'expriment politiquement. Aujourd'hui, c'est l'hypothèse qui me paraît la plus vraisemblable, si nous arrivons à convaincre que dire non à ce traité libéral, ce n'est pas voter contre l'Europe, mais au contraire sauver ses potentialités politiques et progressistes.

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