La France qui souffre attend que nous nous rassemblions
Congrès du Mans - 19 novembre 2005

Discours de Henri Emmanuelli, député des Landes
Tribune du Congrès du Mans


 
Au risque de rappeler une évidence, je voudrais dire que le Parti, pour autant que nous l'aimions, est un moyen et non une fin. Le Parti est au service du peuple, de ses besoins, de ses espérances, de la recherche du bien-être et du mieux-être pour le plus grand nombre.

Il est aussi, en tant que grand parti démocratique, au service de la France.

Je rappelle cette évidence parce que, si nous sommes ici rassemblés nombreux, nous ne devons à aucun moment oublier que c'est dehors que l'on nous regarde, que c'est dehors qu'à juste titre, non pas des milliers, mais des millions de personnes nous attendent ; que c'est dehors aussi que certains ne nous attendent plus et qu'il nous faut leur redonner confiance. C'est au moment où nous sommes rassemblés, ce que je ressens profondément comme sans doute beaucoup d'entre vous.

J'ai en disant cela une pensée pour le jeune homme que j'ai croisé hier matin en venant au congrès, qui balayait des feuilles devant le Restoroute et à qui j'ai demandé ce qu'il faisait et combien il gagnait. Qui m'a répondu : « Gagner ? Rien, je suis stagiaire. » Il avait seize ans, car c'est comme cela désormais dans notre pays qu'on peut travailler sans être payé quand on est stagiaire, par exemple, et nous avons eu quelques démonstrations ces jours-ci. Donc c'est à tous ces gens que nous devons penser, aux RMIstes, aux chômeurs, aux exclus, aux salariés menacés victimes de chantage dans leurs conditions de travail, mais aussi sur le montant de leur rémunération, à toutes celles et ceux qui sont dans la précarité, à ceux qui redécouvrent le contrat journalier, à tous ceux qui en France, aujourd'hui, souffrent car dans notre pays, vous le savez, aujourd'hui la majorité souffre et désespère.

D'autant plus que ces Françaises et ces français, qui sont confrontés à un gouvernement dont je ne dirai plus qu'il est ultra libéral, mais franchement néo conservateur, un gouvernement qui a décidé de jouer son va-tout en satellisant la France aux forceps et qui ne recule et ne reculera, soyez en certains, devant aucune provocation pour parvenir à ses fins, ni devant le mensonge grossier, ni devant la mise en œuvre dangereuse d'une stratégie de tension qui menace les fondements mêmes de notre République.

Oui, mes chers camarades, cette France qui souffre et qui désespère attend à l'évidence que nous nous rassemblions, c'est le vœu normal de tout électorat vis-à-vis de ses représentants politiques. Ce peuple attend que nous nous mobilisions, que nous mobilisions toutes nos forces pour ce qu'elles sont, et parce que cette mobilisation est aussi, vous le savez, la condition du rassemblement de toute la gauche, et donc la véritable perspective de l'ouverture d'une alternance démocratique.

Je dirai..., parce qu'on entend souvent ce mot, unité, unité, unité, plus encore qu'à l'unité, mes chers camarades, l'heure est à la mobilisation. Il y a des situations graves où le mot « servir » devient synonyme d'honneur.

Mais l'honneur a toujours un prix, c'est pourquoi j'ajoute immédiatement que si la France qui souffre attend de nous le rassemblement, d'abord, elle attend aussi, je le crois, et je ne vous surprendrai pas, une ligne politique claire et lisible.

Le peuple français n'a, ni la naïveté, ni l'ignorance que beaucoup lui prêtent dans une époque où il est presque devenu à la mode de douter de la pertinence du suffrage universel. Il n'attend de nous, ni grand soir, ni miracle, ni même promesse démagogique. Mais il veut connaître en revanche le chemin, il veut savoir vers où et vers quoi nous nous proposons de l'amener car il sait parfaitement où il ne veut pas aller.

Permettez-moi de le rappeler, sans vouloir fâcher personne, il l'a exprimé avec une force assez peu commune le 29 mai à l'occasion d'un vote sur lequel nous serions, mes camarades, irresponsables de faire l'impasse.

Mes chers camarades, le socialisme du siècle précédent a dû mener une double bataille : une bataille externe contre le capitalisme industriel dans une histoire que vous connaissez, mais aussi une bataille interne à l'intérieur de la gauche contre la déviance communiste qui prétendait sacrifier la liberté à l'égalité. Aujourd'hui, le socialisme doit mener une deuxième bataille contre le capitalisme financier qui prétend organiser la mondialisation aux normes de ses exigences ; mais aussi, là encore, à l'intérieur de la gauche contre celles et ceux qui, à l'inverse de l'excès précédent, voudraient sacrifier l'égalité à la liberté.

Je n'en dirai pas plus pour ne pas fâcher, surtout dans une assemblée où tout le monde commence à savoir ce que je pense.

Mes chers camarades, à l'excès du siècle passé ne répondons pas par un renoncement qui serait l'inverse. En réalité, l'égalité et la liberté sont indissociables pour qui veut bien regarder les choses. Rousseau l'avait déjà dit, nous n'inventons rien.

C'est donc cette deuxième grande bataille qui est devant nous et que nous devons gagner sur nous-mêmes d'abord si nous voulons continuons à incarner cette espérance du plus grand nombre, si comme c'est notre vocation et notre raison d'être, nous voulons construire un modèle de société humaniste conforme aux valeurs morales et politiques dont nous sommes les héritiers et dont la pertinence est plus que jamais d'actualité.

Quand les banlieues se révoltent, quand le racisme redresse la tête avec insolence, quand le communautarisme s'avance, quand l'urgence sociale s'affiche partout, quand l'action publique rétrécit et se délite, quand la subordination du politique à l'économique s'impose avec arrogance, qui pourrait pré tendre que la laïcité, la justice sociale, la solidarité, le volontarisme en politique, la citoyenneté, la fraternité, l'égalité, cette égalité qui est tout de même notre spécificité, qui pourrait prétendre et affirmer que ces valeurs ne sont plus celles de l'avenir ?

Pour ce qui nous occupe aujourd'hui, cette nécessité de clarté sur la ligne politique, sur l'orientation choisie, passe par des gestes significatifs sur un certain nombre de points.

Tout à l'heure, Vincent Peillon les a évoqués, je ne ferai que les survoler : le sort réservé aux mauvais coups portés par la droite au Code du travail, à la législation sociale, à nos systèmes de protection, mais aussi aux libertés publiques. Quid de ces ordonnances, de ces lois ? ; passe aussi par un nouveau discours sur l'Europe. Il a été développé, mes chers camarades, et à ce propos, à ce sujet, nous restons tous européens, nous avons à un moment donné fait des choix différents, mais nous restons tous le regard rivé sur l'Europe, sachant que l'Europe reste notre avenir et, pour ma part, je ne renonce, ni à l'Europe politique, ni à l'Europe fédérale, même si nous savons qu'il faudra repartir d'un socle beaucoup plus modeste, ni à l'harmonisation fiscale, ni à l'harmonisation sociale.

Et je vois grandir la nécessité d'une protection minimale, en tout cas en un mot je suis pour l'Europe, comme vous toutes et tous, mais je n'ai pas de l'Europe la même vision que celle de M. Mandelson et il faudra bien là, mes chers camarades, qu'entre nous nous tranchions, nous choisissions car nous ne pouvons en permanence pratiquer une sorte de schizophrénie qui fait que l'on finit par se poser beaucoup de questions, ou même tout simplement par ne plus se poser de questions du tout.

Il y a aussi la question de la démocratie sociale, celle du partage de la valeur ajoutée des salaires et le devenir de notre démocratie et de ses institutions.

En matière de démocratie et d'institutions, ce qui est inacceptable dans le régime tel que nous le vivons aujourd'hui, c'est qu'une fois qu'un homme ou une femme a été portée à la présidence de la République, nous avons, non pas le sentiment mais la certitude qu'il s'installe dans l'irresponsabilité.

Et c'est la raison pour laquelle M. Chirac peut tranquillement s'asseoir sur tous les votes des Français, qu'il s'agisse des élections locales, des élections européennes, qu'il s'agisse des référendums. Il est là pour cinq ans. C'est la raison pour laquelle il peut s'asseoir sur les aspirations de la jeunesse. C'est pourquoi il peut s'asseoir sur les mouvements sociaux. Et là, convenons-en tous ensemble, il y a quelque chose qui ne va pas, quelque chose d'insupportable, quelque chose d'inadmissible à l'époque où nous vivons.

Et cette discussion-là, mes chers camarades, si nous voulons retrouver la faveur des Françaises et des Français, il faudra que nous la menions de manière convaincante.

Oui, mes chers camarades, notre peuple veut connaître le chemin. Il veut savoir vers où et vers quoi nous nous proposons de l'amener. C'est à la Commission des résolutions ce soir d'approfondir ces questions. Nous essaierons de le faire dans un esprit constructif avec la volonté d'aboutir car on sait bien ce que sont les discussions, elles peuvent être menées avec a priori l'esprit de ne pas aboutir ou a priori l'esprit d'aboutir. Je le dis à notre Premier secrétaire, présent au premier rang, nous avons le souci d'aboutir. Nous pensons que le rassemblement est important, François, mais nous sommes convaincus aussi que la clarté de la ligne politique est capitale pour retrouver la faveur et la confiance des Français.

Nous devons aussi, mes chers camarades, réfléchir. Ce n'est pas l'objet de la Commission des résolutions, mais nous devons le faire en toute hypothèse, réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour donner à notre rôle d'opposants un nouveau souffle à la mesure des provocations que le gouvernement actuel multiplie, qu'il s'agisse d'état d'urgence un jour ou de bouclier fiscal le lendemain.

C'est pied à pied que nous devons résister et répondre. C'est pied à pied que nous devons faire des propositions. Nous devons aussi, mais je crois que là-dessus, à part quelques voix très isolées qu'on n'a d'ailleurs pas entendues dans ce congrès, nous devons aussi rapidement poser les jalons du rassemblement de la gauche sans laquelle, nous le savons bien, nous n'avons aucune chance d'offrir une alternative à notre peuple.

Nous devons enfin nous interroger sérieusement sur les moyens de resserrer les liens avec l'opinion publique qui sont tout de même assez distendus. Une grande partie de cette opinion publique garde ses distances, non pas seulement vis-à-vis de nous, mais vis-à-vis des partis politiques, voire de la politique. Ils doutent quand ils ne sont pas indifférents. Je l'ai dit pour ma part dès le 30 mai, je pense qu'un des moyens de renouer ces liens, de retrouver cette confiance, passe par l'organisation d'une véritable primaire dans ce pays parce que c'est le moyen de permettre à des millions de citoyennes et de citoyens aujourd'hui dans l'expectative ou le renoncement de se réapproprier la politique.

Je n'ignore pas plus que vous ou pas plus que chacune ou chacun d'entre nous la difficulté de la tâche, les contradictions que cela implique, mais je souhaiterais vraiment que notre Parti se penche sérieusement sur cette question, qu'il en devienne le promoteur. Et je suis sûr qu'il en retirerait non seulement pour lui, mais pour la politique en général, de grands bénéfices car, mes chers camarades, quand on veut, on peut. Or, il nous faut, d'une manière ou d'une autre, ouvrir les portes et ouvrir les fenêtres.

Voilà, mes chers camarades, quelques réflexions faites pour rassembler et non pour diviser. Certes, cela a été dit, l'unité de notre Parti n'est pas en cause. Certes, des divergences existent et elles ne vont pas se résorber par enchantement, mais que ceux qui aiment la bataille, et vous savez que j'en suis, se rassurent, ce deuxième combat de la gauche tout à l'heure dont je parlais, qui est celui que le socialisme doit mener pour qu'on évite de le liquider au nom de la liberté en faisant fi de la justice sociale et de l'égalité, cette bataille-là va prendre du temps et les occasions ne vont pas manquer, ni les occasions de débat, ni les occasions d'affirmer ses positions, ni les hauts, ni les bas.

Nous n'en sommes pas là, c'est le début aujourd'hui d'une période qui va être lourde de responsabilités, lourde de sens pour les mois qui viennent et que nous devons toutes et tous aborder dans cet esprit-là.

Répondre à la double exigence du rassemblement et d'une politique claire et volontariste n'est pas, après des mois de discussion, voire d'affrontements, une chose facile. Pourtant, mes chers camarades, il faut s'y essayer pour rendre espoir au peuple de gauche, il faut s'y essayer pour rendre espoir à la France.

Merci.


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