Il faut déplacer à gauche le centre de gravité du PS



 Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes,
 Entretien paru dans le quotidien Libération daté du 12 septembre 2002
 Propos recueillis par Renaud Dely




 

Vous vous alliez avec la Gauche socialiste: vous avez pris goût à votre statut de minoritaire ?
Douze ans après le congrès de Rennes, il est temps de refaire de la politique. Il faut redonner une capacité majoritaire à la gauche, et donc la rassembler. Or, elle ne peut pas être rassemblée sur une ligne sociale-libérale qui exclut le PCF, n'est pas celle des Verts, encore moins celle des mouvements dits antimondialistes, et qui est même rejetée par au moins la moitié du PS. Il faut déplacer le centre de gravité politique du PS. A Argelès, nous ne constituerons pas un simple courant, nous bâtirons une motion qui a vocation à être majoritaire. Quant à ceux qui nous renvoient à l'aile gauche, ils se situent ainsi eux-mêmes à l'aile droite.

S'il faut réancrer le PS à gauche, c'est parce que sa dérive à droite a causé la perte de Lionel Jospin ?
Les causes sont nombreuses. Mais évoquer la dispersion de l'offre politique ou la mécanique enrayée de la gauche plurielle ne suffit pas à répondre à deux questions majeures : pourquoi plus de gens ont-ils voté pour un autre candidat de gauche que pour le candidat socialiste ? Et pourquoi a-t-on tant reculé dans des catégories populaires qui ont, notamment, rejoint en masse le FN ? Feindre d'ignorer que notre orientation politique est une des sources essentielles de notre échec serait une grave erreur. La législature précédente a connu deux périodes : la première, incontestablement réformiste, autorisait Lionel Jospin à dire que son gouvernement était le plus à gauche d'Europe. A partir de l'année 2000, les réformes se sont arrêtées. Nous sommes entrés dans une période gestionnaire à dominante sociale-libérale. Elle s'est traduite par la baisse de l'impôt sur le revenu et de la fiscalité sur les stock-options, la création d'un impôt négatif baptisé prime pour l'emploi, l'abandon des syndicats dans la tourmente de la refondation sociale du Medef ou encore le refus d'une grande conférence salariale que nous réclamions lors du congrès de Grenoble de novembre 2000.

L'année 2000, c'est aussi celle de l'entrée au gouvernement de Laurent Fabius. Un hasard ?
Je ne m'intéresse qu'aux orientations politiques, pas aux personnes. On ne peut prétendre que la dépolitisation est une grave menace pour la gauche et évacuer le débat en notre sein par des caricatures du genre " archaïsme " contre " modernité ". Dans les années 70, la " deuxième gauche " employait déjà ces arguments pour combattre la politique d'union de la gauche. Allons au fond des dossiers pour analyser nos divergences.

Par exemple ?
Si «réconcilier les couches populaires avec la modernité», comme le souhaitent certains de mes camarades, c'est aller vers davantage de flexibilité et remettre en cause le droit du travail, je m'y opposerai. Il faut que le PS combatte résolument la mondialisation libérale qui se déploie sous leadership nord-américain. Nous avons prétendu que l'Europe était le niveau pertinent pour résister à la mondialisation libérale. Or, alors que 11 gouvernements de l'UE sur 15 étaient dirigés par des sociaux-démocrates, l'Europe est devenue le bras armé de cette mondialisation, comme l'ont illustré les Sommets de Nice en décembre 2000, puis de Barcelone en mars 2002. Il faut changer notre projet européen. Et seule l'Europe fédérale peut recréer des liens démocratiques entre les opinions et les pouvoirs.

Comme l'a dit Laurent Fabius à l'université d'été de La Rochelle, être fédéraliste, c'est condamner vos revendications sociales à être minoritaires dans une Europe de droite ?
Les socialistes se posaient une question similaire au début du XXème siècle à propos de la participation gouvernementale. Fallait-il jouer le jeu d'institutions dans lesquelles on est minoritaires ? La réponse est oui, si l'on a l'objectif de devenir majoritaires. Nous devons mener un combat politique à l'intérieur de la social-démocratie européenne. Se rallier à l'économie de marché ne signifie pas s'y plier et y adhérer sans réticences. L'Europe doit s'opposer à la marchandisation de la culture, de la vie, de la santé, de l'éducation, ou encore de la brevetabilité du vivant. Que ceux qui pensent que le socialisme n'est plus que la béquille du libéralisme économique assument leurs renoncements sans nous accuser d'être démagogues ou populistes.

Et mollétiste ?
Je ne suis pas favorable à un discours pseudo-révolutionnaire de " rupture " mais à une opposition déterminée à la mondialisation libérale. Quant à la pratique de Guy Mollet, c'était celle de l'alliance avec le centre droit. Ce n'est pas ma tasse de thé. En faisant un peu d'introspection, ceux qui nous font ce reproche trouveront peut-être en eux quelques signes de consanguinité avec cette stratégie.

Vous réclamez un " congrès de Metz ", du nom de celui qui opposa en 1979 Mitterrand et Rocard. Vous pensez faire du neuf avec du vieux ?
Ce congrès avait tranché entre ceux qui étaient pour l'union de toutes les forces de gauche, y compris communistes, et ceux qui prônaient en réalité une alliance entre le centre gauche et le centre droit. Le même problème se pose de nouveau : l'avenir de la gauche est-il dans une alliance entre les socialistes dits modernes, c'est-à-dire libéraux, et le centre droit éclairé qui se retrouverait au sein du " cercle de la raison " ? Résumer la politique à une alternance entre technocrates bleus et technocrates roses, c'est fabriquer de l'abstention à chaque scrutin. Et courir le risque que le futur challenger de la droite, ce ne soit plus la gauche, mais durablement l'extrême droite.

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