L'aspiration égalitaire


Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000,
présentée par Henri Emmanuelli.
Henri Emmanuelli


 

I - Un débat possible,
un débat nécessaire

  1. Un Débat possible

    Aux deux tiers d'une législature de cohabitation, à la veille d'une période qui verra se succéder les échéances politiques décisives, la prudence militerait pour un débat réduit au strict nécessaire.

    Plusieurs considérations, pourtant, plaident pour l'ouverture d'un véritable débat. Un bon bilan apprécié par les Français, une majorité plurielle cohérente malgré sa diversité, un parti apaisé et une réhabilitation sérieuse de l'action politique permettent en effet d'ouvrir la discussion dans les meilleures conditions.

    1. Un bon bilan

      Si l'on veut bien se souvenir que la dissolution fut justifiée, en son temps, par les difficultés prévisibles inhérentes à la mise en oeuvre de l'entrée de la France dans la monnaie unique, les résultats de l'action gouvernementale, après trois années d'exercice, n'en sont que plus exceptionnels.

      La France se situe dans le peloton de tête de la croissance européenne, le chômage recule et repasse, après 25 années de progression continue sous la barre des 10 % et d'importantes réformes de structure ont d'ores et déjà été menées à terme.

      Malgré le scepticisme des partisans de la politique de l'offre, le triptyque croissance, emploi, réformes de structures fonctionne, entraînant un recul sensible du chômage, une réduction mécanique des déficits publics, ouvrant la possibilité, politiquement assumée, d'une réduction de la pression fiscale. La croissance, sauf resserrement injustifié d'une politique monétaire échappant désormais à tout contrôle démocratique, devrait se maintenir.

      La relance de la demande interne par une amélioration sensible du pouvoir d'achat, la création de 250 000 emploi jeunes, la suppression de l'impôt sur l'emploi que constitue la base salaire dans la taxe professionnelle et la réduction du temps de travail à 35 heures sans baisse de salaire sont autant d'éléments qui ont contribué efficacement à ce retournement de tendance. Et s'il est vrai que la conjoncture a été favorables, comme ne cessent de le répéter les adversaires de la gauche pour minorer sa performance, c'est aussi parce que le gouvernement a su prendre les mesures appropriées, le bon cap, que les vents ont été favorables.

      L'inflation, malgré l'angoisse structurelle des gardiens de Francfort qui veillent obsessionnellement sur l'évolution des salaires, sans jamais rien voir venir du côté de la spéculation financière, reste au-dessous du seuil de 2 % dont personne, d'ailleurs, ne saurait justifier, sérieusement, le caractère fatidique.

      Dans le contexte de ce retournement positif de tendance, d'importantes réformes ont été engagées. La Couverture Maladie Universelle concerne plus de 6 millions de personnes. La loi contre les exclusions engage 50 milliards de francs sur 5 ans. La modernisation de la vie politique, la parité, la réforme de la justice, le rétablissement du droit du sol en matière de nationalité, le PACS témoignent d'une volonté réformatrice appréciée par les Français. Rien ne doit laisser penser que les 2 années à venir seraient à priori perdues pour poursuivre sur cette lancée.

      L'optimisme retrouvé, la popularité du Premier ministre Lionel Jospin et de son gouvernement en général, mesurent la popularité de ce bilan, malgré les inévitables turpitudes de la vie politique.

      Cette approbation, loin de nous confiner dans une autosatisfaction qui n'est pas de mise, doit au contraire nous encourager à poursuivre l'action.

    2. La réhabilitation du discours politique.

      Par delà les succès conjoncturels et les réformes engagées, le succès principal de ce gouvernement repose sur une triple démonstration dont l'exemplarité doit être soulignée :

       le credo libéral de l'inéluctabilité du chômage et de la disparition du travail salarié a été infirmé. Non, on n'avait pas tout essayé et le travail reste la seule méthode d'intégration sociale réelle face aux prétendues formules de substitution qui n'ont jamais été sérieusement définies.

       le retour à la croissance et à l'emploi ne s'est pas fait au détriment de la protection sociale et de la solidarité mais, au contraire, dans le contexte d'un renforcement de la protection sociale et d'une extension de la solidarité, n'en déplaise aux libéraux et aux promoteurs de la " Troisième Voie " et du " Nouveau Centre ".

       la main invisible du marché n'a pas rendu obsolète le volontarisme politique et ce n'est pas " la fin de l'histoire ".

      Cette réhabilitation de l'action politique, rendue possible par une morale de l'action (faire ce que l'on dit, dire ce que l'on va réellement faire) est à porter au crédit de Lionel Jospin et du gouvernement et doit encourager celles et ceux qui croient à la prédominance de la volonté humaine sur les lois aveugles du marché.

    3. Une majorité cohérente bien que diverse.

      La cohérence de la majorité plurielle face à l'épreuve du pouvoir n'était pas évidente. Pourtant, malgré les annonces bimensuelles de déstabilisation, force est de constater que sa diversité a constitué un atout positif plutôt qu'un élément de fragilité.

      La concertation et le dialogue permanent, les contradictions surmontées, ont permis à cette majorité de mieux refléter l'opinion et les attentes de nos concitoyens et de mieux y répondre. Nous savons désormais que la formule est efficiente au point d'intéresser des pays voisins. Nous devons aussi comprendre que pour être durable, elle implique un débat permanent dont la dynamique est nécessaire à sa poursuite.


  2. Un débat nécessaire :

    La réalité immédiate comme les défis à surmonter appellent une action courageuse, parce qu'il reste beaucoup à faire, qu'un bilan ne suffit pas et qu'un projet reste nécessaire. Et que le socialisme souffre d'une réelle crise d'identité.

    1. Parce qu' il reste beaucoup à faire

      Au-delà des chiffres et du mode de calcul conventionnel du chômage, il existe une zone grise, des situations incertaines qui font dire au CERC que plus de 6 millions de personnes étaient, il y a peu, directement touchées par les difficultés de l'emploi. Trop souvent le retour à l'emploi est marqué par la précarité ou des conditions de travail dégradées.

      En 1999, 7 embauches sur dix (dans les entreprises de plus de 10 salariés) ont été réalisées en CDD. Le temps partiel touche désormais 1/3 des emplois féminins et 5 % des emplois masculins. Les travailleurs non qualifiés du secteur tertiaire et les jeunes sont particulièrement victimes de cette précarisation et cette dégradation de l'évolution du travail : nos concitoyens sont aujourd'hui de moins en moins égaux face à l'emploi. La montée en puissance de l'intérim et des CDD rend plus fréquent le passage par des périodes de chômage, transférant sur la collectivité une flexibilité de fait, alors que les entreprises, via la réduction du temps de travail ou les possibilités offertes par des groupements d'employeurs auraient la possibilité d'organiser différemment le marché du travail. Sans parler d'abus manifestes dans certains secteurs qui appellent un examen particulier.

      Après 20 ans de crise et de chômage massif, le nombre de bénéficiaires du RMI et des divers minima sociaux témoigne encore de l'effort à poursuivre après trois années de croissance.

      Les inégalités restent fortes et ont tendance à croître.

      Le réveil encore timide mais réel des mouvements sociaux en témoigne. Certes, les 35 heures sont porteuses d'une nouvelle dynamique. Mais au-delà de "l'effet 35 heures", 1999 aura vu l'émergence de nouvelles sources de conflits : l'engagement des salariés contre l'utilisation abusive du travail précaire (Brossard, Textile Cévennol, PQR,...) contre les fusions-acquisitions dans lesquelles ils n'avaient pas leur mot à dire (BNP/Société Générale, Elf/Total) ou contre la filialisation d'activité (Sernam, Bull).La mobilisation a aussi vu le jour dans des secteurs où les conditions de travail sont particulièrement dégradées, notamment les entreprises de sous-traitance (ONET, Penauille). Tout comme les conflits suscités par les licenciements massifs.

      Parallèlement le mouvement des chômeurs se manifeste, traduisant l'amertume mais aussi la combativité des exclus du travail. Des aspirations profondes s'expriment qui doivent être prises en compte et relayées par les socialistes. Après deux années de pause, la question des salaires est devant nous. Celle de la faiblesse des salaires réels non qualifiés par rapport à leur coût global aussi. Celle du développement de la précarité également. Et les préoccupations nouvelles qui montent avec force dans les mouvements qui s'opposent aux effets négatifs de la mondialisation, d' ATTAC à la Confédération Paysanne, de Seattle à Millau, ne doivent pas être considérées par les socialistes avec suspicion mais au contraire comme une régénérescence à la foi idéologique et militante. Toute affirmation d'une volonté de reprise en main de leur propre destin par des femmes et des hommes face à la main invisible du marché est bonne à prendre pour la pensée et la dynamique socialiste. Se contenter d'opposer à ces aspirations légitimes le réalisme des contraintes de la gestion serait une erreur grossière.

      Bien d'autres sujets, comme la modernisation de l'Etat et du service public, la sécurité sous toutes ses formes, l'indépendance des moyens d'information, la qualité de la vie, et l'équilibre des territoires, l'éducation et la formation, etc...peuvent et doivent être l'objet d'une réflexion approfondie pour aller de l'avant.

    2. Un nouveau projet

      Quelle que soit l'excellence du bilan, elle ne dispensera pas les socialistes de l'élaboration d'un nouveau projet.

      A l'opposé du schéma démocratique " allégé " prôné par les adeptes de la " démocratie de marché " (un leader, une équipe, un projet ), dont les Etats Unis offrent aujourd'hui le triste mais très coûteux spectacle, les socialistes doivent s'efforcer de redonner force à la réflexion collective et au volontarisme politique qui n'est jamais que l'affirmation selon laquelle il n'y a rien au-dessus de l'homme. C'est tout l'intérêt d'un débat qui ne doit pas être une simple formalité institutionnelle.

      C'est une nécessité, tant il est vrai que face à la poussée de l'idéologie dite libérale, l'identité du socialisme s'est dissoute.

    3. La crise d'identité du socialisme

      A la fin d'un siècle qui le vit investir la pensée politique et la vie publique, au début d'un nouveau millénaire dans lequel ses adversaires ont cru pouvoir déceler le terme de son histoire, c'est à dire la victoire irréversible du modèle libéral, la crise d'identité du socialisme est patente.

      En situation d'échec pour les uns, obsolète pour d'autres, ne gouvernant, pour d'autres encore, que dans la mesure où il aurait renoncé à être lui-même en devenant un simple filet de sécurité contre les abus sociaux du libéralisme économique, le socialisme serait une idée dépassée.

      Sans entrer dans une analyse historique et théorique qui n'a pas sa place ici, force est de constater que depuis 20 ans, le socialisme démocratique paraît hésiter entre la pratique honteuse d'un libéralisme officiellement répudié et des références théoriques purement abstraites, quand il ne rend pas purement et simplement les armes comme l'a démontré le médiocre débat sur la "  Troisième Voie " et le "  Nouveau Centre ".

      Jugé inapte à proposer un " modèle alternatif " le socialisme n'aurait d'avenir, que dans la culture d'une nostalgie ou le renoncement.

      Cette vision négative, cette position défensive expliquent pour une large part la diminution de son potentiel de séduction, d'entraînement et d'innovation. Sa capacité à transformer la société s'en trouve sérieusement réduite.

      Or, 54 % des Français pensent que les inégalités sont plus fortes aujourd'hui qu'il y a 20 ans ; 69 % estiment que le phénomène ne peut que s'aggraver. Et 4 Français sur 5 pensent que les gouvernements peuvent, s'ils le veulent réduire sensiblement ces inégalités, ce qu'ils souhaitent majoritairement. Il y a , dans cette perception de la réalité contemporaine un risque majeur pour le socialisme, mais aussi un encouragement exceptionnel à cultiver sa spécificité et à reprendre l'offensive.


  3. L'identité du Socialisme

    1. Le faux débat

      Parce qu'il n'aurait plus la capacité de proposer un "modèle alternatif" à celui que constitue l'association du capitalisme financier et de l'économie de marché, le socialisme serait condamné.

      Enfermé à tort dans la conception globale d'un système construit autour de l'appropriation collective des moyens de production et de planification dont le marxisme fut l'expression la plus dogmatique, il serait aujourd'hui en situation de faillite.

      Ce serait vrai si le socialisme était un dogme, un système ou un modèle préconçu. Mais les temps ne sont plus où, face à des représentations théologiques enracinés dans le conscient et l'inconscient collectif, la " pensée nouvelle " se devait de créer des systèmes ou des modèles concurrents achevés, allant de l'explication des origines à la définition d'une eschatologie propre, comme l'a tenté le marxisme.

      Au contraire, le siècle précédent a démontré la dangerosité de tout système global, dès lors qu'on le laisse évoluer jusqu'aux limites extrêmes de la logique qui le porte, dérive dans laquelle réside la véritable explication du totalitarisme. Mais le XX° siècle a démontré, avec autant de force, que la renonciation aux principes fondamentaux de la démocratie pouvait être périlleuse.

      En réalité, le socialisme n'a pas à proposer un " système alternatif " parce que compte tenu de la diversité de ses sources d'inspiration et de la variété de ses expériences il n'est pas réductible à un dogme, un modèle ou un système. Le croire, c'est confondre les moyens et les fins. C'est penser que l'appropriation collective des moyens de production constituait la finalité du socialisme alors que l'objectif était la justice, la dignité, le bien-être pour le plus grand nombre. De même réduire le socialisme à l'étatisme, c'est encore confondre les moyens et les fins.

      Il faut en terminer avec ce genre de confusion qui permet aux adversaires du socialisme de le déconsidérer à bon compte, à ses partisans de se tromper de combat et à certains corporatisme de le détourner à leur profit.

    2. Le But du Socialisme

      Le but du socialisme c'est la recherche du progrès et la concrétisation de l'aspiration égalitaire dont les composantes - égalité juridique, égalité politique et égalité sociale - sont indissociables et inopposables entre elles.

      Le progrès, c'est la recherche continue par l'être humain d'une maîtrise croissante sur son propre destin qui ne se réduit pas à l'accumulation de richesses. Quant à l'aspiration égalitaire, elle synthétise les valeurs humanistes qui fondent le primat de la conscience humaniste- de la justice, de la paix- sur les rapports de force injuste et violents inhérents aux inégalité de l'ordre naturel. Ces valeurs sont aussi celles de la modernité politique, de la démocratie, laquelle implique leur respect simultané, leur équilibre permanent.

      Dès lors, la question n'est plus d'accepter l'économie de marché ou de refuser la société de marché, ce qui n'est pas évident, mais de promouvoir le progrès et les valeurs égalitaires. C'est d'accepter, dans l'économie de marché et la société ce qui va dans le sens du progrès et de l'égalité et de combattre, dans l'économie de marché et dans la société ce qui contrarie le progrès et génère l'inégalité. Ce qui implique le contrôle, la limitation — la régulation — de l'économie de marché par la seule force qui lui soit légitimement et efficacement opposable : le suffrage universel, expression de la volonté générale, fondée sur l'égalité politique. Et la définition de l'organisation sociale par ce même suffrage universel.

      De même, le problème n'est plus de quantifier a priori l'égalité sociale, mais de confier au débat public et au suffrage universel le soin d'en apprécier, en permanence, les minima dans un contexte donné. Car il est peu probable que le plus grand nombre s'exprime durablement contre ses propres intérêts.

      C'est la raison pour laquelle, au cours du siècle passé, démocratie et justice sociale ont progressé ensemble. Et c'est la raison pour laquelle, dans le dernier quart du XX° siècle, l'inégalité sociale et la régression démocratique ont évolué simultanément, bousculant le mythe de l'irréversibilité du progrès social.

      Le progrès scientifique et technologique, lui, a poursuivi sa marche en avant rapide. Mais, privé de référents autres que la recherche du profit, il a été subordonné à l'idéologie inégalitaire du capitalisme au point de lui servir d'alibi.

      C'est cette inversion du cours des choses, ce double repli - démocratique et social - et le détournement du progrès scientifique au profit de l'argent et de valeurs rétrogrades qui expliquent, pour l'essentiel, la crise d'identité du socialisme. Parce que ce double recul et cette inversion l'atteignent au cœur même de sa spécificité.

    3. La régression sociale : mondialisation et forme inégalitaire

      Le retour en force de l'inégalité est incontestable ; entre continents, entre pays et à l'intérieur d'un même pays. Criante dans les pays en voie de développement, elle n'épargne pas les pays développés se réappropriant l'ensemble du champ économique et social concerné par la mondialisation.

      En France, l'écart s'est sensiblement accru entre revenu du travail et revenu du capital et 10 % des Français détiennent 50 % de l'ensemble du patrimoine national. D'évidence les conflits d'intérêts entre salariés et non salariés subsistent et se sont même amplifiés ces dernières années, avec le développement des marchés financiers et la persistance de taux d'intérêts élevés sur une longue période. Et l'origine sociale demeure, malgré l'accès massif de tous à l'éducation, un facteur fondamental de sélection pour les parcours individuels.

      Mais, à ces facteurs classiques et mesurables d'inégalités, sont venues s'ajouter d'autres réalités moins perceptibles mais tout aussi fondamentales.

      Le projet central de nos sociétés, l'égalité des chances par l'éducation et la redistribution, la constitution d'une grande classe moyenne homogène a été remis en question par cette évolution. Le chômage de masse et la précarité ont été décisifs dans cette remise en cause.

      Au sein même du salariat et à l'intérieur d'une même catégorie, sont apparues de fortes divergences. Entre les salariés d'une PME et ceux d'une grande entreprise, entre salariés de secteurs économiques en déclin et salariés moins exposés, entre ceux bénéficiant d'un CDI et d'une possibilité d'évolution de carrière et ceux qui vivent dans la précarité d'un CDD, de l'intérim, les trajectoires diffèrent sensiblement rendant difficile l'expression de revendications communes et leur organisation dans un même champ politique ou syndical. Le sentiment d'inégalité et d'injustice s'accroît chez celles et ceux qui font le constat d'une grande disparité de situation, de salaire et d‘évolution de carrière à partir d'une même qualification ou d'une même formation. Même si les ouvriers et les employés continuent à représenter respectivement 26,4 % % et 29 % de la population active, il devient difficile d'appréhender leur sort de manière homogène. A ces inégalités intra-catégorielles, s'ajoutent bien d'autres facteurs qu'exacerbent le sentiment d'injustice : inégalités géographiques, entre milieu urbain et milieu rural, discriminations persistantes faites à l'encontre des femmes, entre générations, face à la retraite.

      Le manque de lisibilité de notre système fiscal et de nos prestations sociales et les effets de seuil peuvent également générer un sentiment d'injustice entre personnes actives du bas de l'échelle salariale et bénéficiaires de minima sociaux.

      Ces hétérogénéité nouvelle affaiblit sensiblement l'expression des solidarités catégorielles et renforce l'opinion que les possibilités d'ascension sociale procèdent désormais exclusivement d'une démarche individuelle et que l'action collective et les institutions traditionnelles sont impuissantes ou aveugles face à ces nouvelles injustices. Particulièrement fort dans la jeunesse, ce sentiment mine notre démocratie.

      Au total, malgré la résistance parfois vive des salariés concernés, on observe bel et bien les premiers effets d'une dérégulation du marché du travail voulue par les promoteurs et les bénéficiaires du libéralisme économique.

      Ce retour en force de l'inégalité a correspondu à la montée en puissance de ce qu'il est convenu d'appeler la " mondialisation ", habilement présentée comme une sorte de fatalité scientifique consécutive au développement des nouvelles technologies de l'informatique et de la communication. Comme si ces nouvelles technologies n'auraient pu, a l'inverse, devenir des instruments sophistiqués de régulation.

      En fait la mondialisation, l'émergence d'un marché mondial à la mesure des ambitions de l'économie de marché et du capitalisme financier a toujours été l'objectif du capitalisme. Schumpeter, après d'autres, l'avait déjà analysée. Elle n'est pas la première tentative du genre, toute proportion gardée, et n'est pas aussi globale qu'on veut bien le répéter. Le " village planétaire " ignore plus de la moitié de ses habitants et dans l'autre moitié, le quart le plus riche exploite cyniquement le quart le plus pauvre.

      Certes, elle n'est pas uniquement négative dans la mesure où la multiplication des échanges a toujours été un facteur de progrès et d'apaisement. Mais elle est aussi un puissant agent d'uniformisation qui suscite en retour des réflexes identitaires dont l'actualité nous démontre qu'ils ne sont pas à négliger. Bref elle pourrait être en elle même semblable à la langue d'Eusope, si elle n'était pas sous-tendue, portée, par un projet politique puissant dont elle est à la fois l'objectif et le moyen.

      La mondialisation, en réalité, a été le moyen pour le libéralisme économique et l'économie de marché de rechercher la meilleure rentabilité pour le capital et d'imposer le système de valeurs qui la justifie et la rend possible. Elle n'a pu y parvenir qu'en s'affranchissant des limites et des contraintes du suffrage universel qui s'exprimait dans le cadre géopolitique des Etats-Nations. La mondialisation c'est peut être avant tout cela : une vaste stratégie de débordement qui débouche, au bout du compte, sur une capitulation des valeurs démocratiques face à la puissance de l'argent.

      Le marché tend à transformer l'ensemble des relations humaines et sociales en relations monétaires et la croissance économique est devenue l'objectif central, pour ne pas dire unique, des sociétés contemporaines. Les arguments économiques s'imposent à toute autre considération politique ou morale. De l'Erika à la vache folle, en passant par les OGM, le saccage de notre environnement ou l'exploitation cynique d'une bonne partie de l'humanité, les exemples de cette évolution régressive ne manquent pas.

      Mondialisation, dérégulation et compétitivité sont les véritables causes du retour en force de l'inégalité et des choix , des valeurs, de l'organisation sociale que postule le capital souverain.

      Elle n'a été possible que par la conjonction de l'effondrement du communisme et l'évolution des démocraties de masse vers des formes de régimes oligarchiques dans lesquels les apparences de la démocratie sont sauves, voire exaltées, mais ou la réalité du pouvoir est confisqué, dans les faits, par des technostructures élitistes qui monopolisent les pouvoirs publics et privés.

      La remise en cause du rôle de l'état et des services publics - traditionnellement garants de l'intérêt collectif, de l'intérêt général et moyens de l'action publique - est, dans ses systèmes oligarchiques, d'autant plus vive, que le transfert de pouvoir entre secteur public et secteur privé est avancé.

    4. La Démocratie Oligarchique

      Alors même que la démocratie semble triompher, on assiste à une remise en cause subtile des principes qui la fondent, à un rétrécissement continu du champ politique qui a pour conséquence — la seule qui vaille — une réduction croissante de la souveraineté du peuple. Plusieurs facteurs ont concouru et à cette régression.

       La remise en cause insidieuse mais directe de la pertinence du Suffrage Universel, accusé à tort, par de subtils théoriciens ne craignant pas de malmener l'histoire, d'être à l'origine des débordements tragiques du siècle passé.

       La remise en cause indirecte de sa légitimité, par l'émergence, sans fondement théorique, de légitimités concurrentes : principes supérieurs ou généraux du droit limitant le domaine de la loi et donc, la capacité législative de la souveraineté populaire qui se voit opposer des principes qui la transcendent. Société Civile, aux contours et au contenu indéfini, opposé a la sphère du politique, à " la classe politique ", etc.

       Transfert de blocs de souveraineté, au nom de l'indépendance supposée et de la technicité présupposée, à des organes internationaux ou nationaux n'ayant pas de responsabilité politique directe. Le plus marquant de ces transferts de souveraineté, sous la pression conjointe des libéraux et des marchés financiers, est évidemment celui de la monnaie qui érige en pouvoir indépendant l'une des principales attributions du pouvoir au bénéfices de structures cooptées, garantes d'une gestion conforme aux intérêts du capital. Il ne fait aucun doute que la gestion de la stabilité monétaire (garantie de l'épargne et du capital) prime, pour les autorités monétaires indépendantes, sur la croissance, sur le niveau de l'emploi, sur le pouvoir d'achat et sur la pérennité des systèmes de protection sociales. Sur ce terrain, les européens, paradoxalement, sont allés beaucoup plus loin ( avec l'aval de la social-démocratie) que les Anglo-Saxons. Comme si, en réalité, la gestion monétaire commune avait été choisie comme instrument privilégié pour imposer un modèle libéral face au résistances du modèle social européen.

       L'amputation grandissante du pouvoir législatif expression de la souveraineté populaire, par le haut et par le bas. Par le haut, la norme européenne assimilée à une règle de droit international s'impose à la législation alors qu'elle n'est pas élaborée selon les principes de la démocratie. De même, la jurisprudence européenne, qui s'impose à la loi, procède d'un droit dérivé dont le lien avec la souveraineté populaire est très lointain. Par le bas, le démembrement du pouvoir législatif prôné au nom de la spécificité où de la régionalisation devrait amener ses promoteurs, souvent sincères, à s'interroger sur la capacité de cette souveraineté réduite à imposer des règles de régulation. Si les états- nation n'ont plus la taille pertinente pour opposer la force collective du suffrage universel à la puissance du marché, comment, les régions dans l'Europe- qui n'est pas démocratique- y parviendraient-elle mieux ? On peut comprendre que les libéraux soient pour une " Europe des régions " qui abandonnerait les " choses sérieuses à la main invisible du marché " et la gestion culturelle locale à des entités réduites. Mais prétendre s'opposer à la mondialisation et s'en remettre à l'Europe des régions pour le faire, mériterait sans doute une analyse plus approfondie  que l'invocation d'une pseudo modernité qui, en l'occurrence, ressemble beaucoup à l'air du temps.

       La démocratie est également mise en cause par des mouvements nationalistes, à connotation ethnique, qui prétendent ériger la violence en processus de décision contraignant le suffrage universel. La démocratie ne peut et ne doit pas accepter qu'une minorité s'arroge le droit d'imposer par la violence ses décisions à la majorité, sauf à nier ses propres fondements. La recherche de la paix civile mérite des sacrifices. Mais on ne peut sacrifier l'essentiel.

      La liste n'est pas exhaustive. Bien d'autres éléments concourent à creuser le fossé qui sépare gouvernants et gouvernés : Ambiguïté et illisibilité des niveaux et des centres de responsabilités ; resserrement de l'origine des cercles dirigeants et professionnalisation de la gestion publique ; l'interprétation régressive de l'article 34 par les gouvernements ; dépendance croissante des moyens d'information qui pose un problème central, en démocratie, mais qui semble aujourd'hui curieusement évacué du débat politique (quel est le degré d'indépendance du média dépendant pour l'essentiel, de donneur d'ordre ou publicité, sur certains sujets économiques et sociaux ?) ; personnalisation médiatique du débat public au détriment de la réflexion collective .

      Le dernier avatar en date est celui de la dissociation entre " démocratie politique " et " démocratie sociale " que professent officiellement et doctement le M.E.D.E.F, mais aussi malheureusement d'autres organisations, dont l'attachement à la démocratie n'est pas à mettre en doute. Selon le M.E.D.E.F, la démocratie politique reposerait sur la loi, alors que la démocratie sociale dépendrait de la négociation, l'actuelle négociation sur l'U.N.E.D.I.C. étant l'illustration de ce redoutable distingo. Il faut remonter à l'idéologie de certains régimes corporatistes, qui n'étaient pas précisément démocratiques, pour chercher la justification d'une conception qui prétend retirer au champ politique, et donc à la souveraineté populaire le pouvoir d'organisation sociale et économique. Certes la négociation entre partenaires sociaux est nécessaire et doit avoir une place privilégiée dans une démocratie pluraliste. Mais introduire dans un accord négocié une " clause d'autodestruction " qui annulerait ledit accord si le suffrage universel, s'exprimant par le biais du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif en modifiait la moindre clause, théoriser le primat de l'accord négocié entre organisations professionnelles sur la loi ou le décret est une provocation où une grave malentendu sur l'origine du pouvoir dans une démocratie qui peut laisser songeur sur la dérive conceptuelle d'une époque.

      Bref, si les apparences sont bien celles de la démocratie, la réalité est de plus en plus à celle d'un pouvoir économique et d'une oligarchie qui en sauvegarde les apparences mais confisque le pouvoir du peuple.

      Or, l'égalité ne se divise pas. Démocratie politique et égalité sociale, qui avaient progressé de concert au cours du XX° ont reculé simultanément tout au long des 20 dernières années. Le retour et la poussée des valeurs inégalitaires a nécessité, puis nourri, le rétrécissement du champ politique, la réduction du pouvoir du suffrage universel, la neutralisation partielle de la souveraineté populaire.

      C‘est pourquoi, contrairement à ce que pouvait laisser croire " l'économisme " hérité de la vulgate marxiste, le socialisme, s'il veut œuvrer à la concrétisation de l'aspiration égalitaire doit, aujourd'hui, s'impliquer prioritairement dans la reconquête de la démocratie.

      Il est peu probable, en effet, qu'il puisse exister une législation sociale européenne si elle n'est pas imposée par le suffrage universel. Il tout aussi improbable que la mondialisation soit maîtrisée si les peuples restent confinés dans le rôle de producteur ou de consommateur, sans possibilité d'exprimer leur citoyenneté, sans retrouver la plénitude des droits politiques que la morale et la philosophie politique internationale leur reconnaît mais que les comptes d'exploitation leur dénient.

      Sur un autre plan, cette question centrale, celle de la démocratie n'épargnera pas indéfiniment le problème du pouvoir dans l'entreprise.

      Proclamer haut et fort les " droits de l'homme " au point de se reconnaître, en certaines circonstances, la prérogative de les imposer par la force, et maintenir le pouvoir absolu du capital dans l'entreprise est, de tous les archaïsmes, celui qui concerne le plus de femmes et d'hommes sur notre planète. La manière dont les propriétaires fonciers brésiliens traitent leur main d'œuvre n'a rien à envier aux méthodes de M. Milosevic. Mais elle semble, avec beaucoup d'autres, invisible pour les modernisateurs libéraux, voire hélas, aux yeux de l'Internationale Socialiste, qui faute de référents précis, se transforme peu à peu en un vaste club de partis de gestion gouvernementale dans un contexte libéral, plutôt qu'en force organisée de progrès susceptible de redonner un minimum d'espoir à la majorité de l'humanité qui en est cruellement dépourvue et se tourne, faute de mieux, vers l'intégrisme religieux et le fatalisme.

      La question du partage du pouvoir entre capital et travail est d'autant plus présente que l'affaissement de la démocratie traditionnelle, faute d'organisation adéquate d'une part, et la concentration capitaliste d'autre part, vont faire resurgir des contradictions insupportables au regard des principes proclamés par ailleurs. Les formules d'association capital-travail, réservées a certains créneaux du marché du travail où la pénurie existe, et la substitution d'un " capitalisme managerial " au vieux modèle du capitalisme familial ne changent la donne qu'en apparence, si l'on veut bien regarder les chiffres, analyser les conjonctures et observer les comportements. Au contraire, ce nouveau capitalisme distend d'avantage encore les liens entre la grande entreprises et les territoires, entre le capital et les salariés de plus en plus éloignés des centres de décisions économiques qui régentent leur destin.

      Les séminaristes de Davos s'étant inquiété de tout cela, il serait peut être temps que l'Internationale Socialiste et le Parti Socialiste Européen s'y intéressent sérieusement.


II - Un projet offensif

  1. Redonner du sens

    La recherche du progrès, défini comme la maîtrise croissante de l'être humain sur sa propre vie et la volonté de concrétiser l'aspiration égalitaire sous ses diverses formes doivent être les principes positifs qui guident la réflexion des socialistes. Certes, ces deux exigences n'incluent pas à elles seules l'ensemble des problématiques politiques et sociales. Mais elles sont de nature à redonner au socialisme démocratique une capacité nouvelle de mobiliser les consciences et à apporter un éclairage nécessaire sur les aspirations nouvelles qui se font jour, souvent dans la plus grande confusion.

    Sur la question de l'aspiration des individus à davantage d'autonomie, les socialistes, sans la nier ou la négliger en tant que revendication d'une plus grande liberté, doivent aussi rappeler qu'il s'agit bien souvent d'une volonté de s'affranchir des charges de la solidarité collective.

    Sur la problématique, si importante aux yeux des promoteurs éphémères de la Troisième Voix, de la responsabilité des citoyens se substituant à " l'état providence ", à l'ancien compromis entre Travail Capital et Etat élaboré au milieu du siècle précédent, les socialistes ne doivent ni se laisser duper, ni même impressionner : force est de constater que cet appel à la responsabilité d'une citoyenneté réputée nouvelle, est, pour l'instant, synonyme de flexibilité et de démantèlement de la protection sociale dans le temps même où les dirigeants s'entourent de matelas sécuritaires (de stock-option) et se fabriquent des " parachutes en or ", selon l'expression consacrée (n'ayant plus, lorsqu'il s'agit de dirigeants de grandes sociétés, le risque de la faillite ou de la ruine qui pesait sur le capitalisme familial. De récents exemples ont au contraire démontré que l'on pouvait ruiner une grande société, ou même la faire disparaître et encaisser, pour toute sanction, un véritable pactole. Est-ce là la responsabilité nouvelle qu'invoque M Antony Guiddens ?).

    Sur des sujets très différents, comme la recherche génétique sur l'embryon humain, la brevabilité du vivant, ou sur les OGM, la recherche du progrès dans la sécurité doit primer : la maîtrise croissante de son propre destin par l'homme doit primer sur les inhibitions et les tabous hérités d'une vision théologique ou passéiste " d'un homme achevé " devenu intangible. Achevé par rapport à quoi, par rapport à qui ?

    Sur la difficile question de la justice rendue au nom du peuple, la démocratie exige que la décision de gracier ou de ne pas gracier un coupable soit prise par une autorité publiquement responsable devant ce peuple, et non par un collège spécialisé et irresponsable (c'est à dire indépendant) quelle que soit par ailleurs la qualité de ce collège.

    On ne peut déplorer l'absence de repère, ou de sens, et s'en remettre aux pulsions du marchés ou à la morale de l'utilitarisme, dans une Europe qui, à juste titre, à toujours préféré l'impératif Kantien ; sans s'efforcer de réfléchir aux moyens de pallier cette carence.. La double recherche du progrès comme outil de maîtrise de son propre destin par l'homme et de l'égalité comme principe d'organisation politique sociale, au nom de la justice, sont de nature à dissiper beaucoup de confusions et à orienter les choix. Encore faut-il en débattre. 

  2. La Reconquête de la Démocratie

    Redonner vigueur à la démocratie pour combattre les inégalités, combattre les inégalités pour accomplir la démocratie.

    1. En France

      L'indifférence qui précède le référendum sur le raccourcissement du mandat présidentiel est révélatrice du malaise que suscitent aujourd'hui les Institutions de la Vème République. En réalité, il semble bien que la prétendue popularité d'une cohabitation chronologiquement inversée ne repose que sur des sentiments négatifs. La neutralisation du pouvoir politique par lui même, le mythe récurent de l'union nationale, exprime davantage une forme de défiance envers la politique que d'adhésion à la formule. Seule parmi les nations développées, la France pratique aujourd'hui le confusionnisme d'un exécutif à deux têtes et d'un système aberrant qui permet d'institutionnaliser simultanément, et sans délimitation précise, les décisions successives et contradictions du suffrage universel. Conçues dans un contexte donné, en 1958, mais privées de l'esprit de responsabilité politique qui les avait inspiré, ces institutions sont aujourd'hui à bout de souffle, induisant au plus haut niveau de décision (Elysée-Matignon) un jeu pervers obligatoire qui se situe à l'opposé de la transparence démocratique. Cela nous vaut l'imbroglio d'un chef d'état élu au suffrage universel, chef des armées et garant des institutions qui se dépense sans compter pour être ….le leader de l'opposition ! Cette situation conflictuelle au sommet - ne s'y trompe que celles et ceux qui ne veulent pas le voir - déséquilibre encore davantage, si besoin était, le rapport de force entre exécutif et législatif. Déjà très réduit par la constitution de la Vème République (article 49-3 et article 40 et 44, etc...) le pouvoir législatif, prisonnier de cette dualité ambiguë (qui joue pour les deux camps : majorité et opposition) s'efforce vainement de compenser par le renforcement d'un pouvoir de contrôle insuffisant sa faiblesse intrinsèque lestée par la cohabitation.. Sans aller plus avant dans la description d'un système qui appellerait d'autres observations (représentativité du Sénat et prime structurelle au conservatisme inhérent à son mode de désignation ; rétrécissement sociologique constant de l'accès aux fonctions électives ; sur- concentration du pouvoir, malgré la décentralisation, au niveau des directions d'administration centrales ; imbroglio des niveaux de décisions : certains projets font intervenir cinq niveaux de financements croisés pour leur réalisation ; absence de droit de vote pour les étrangers aux élections municipales ; etc…) il devient urgent de faire un choix clairs entre le régime présidentiel ou le régime parlementaire.

      L'élection du Président de la République au suffrage universel étant devenue incontournable, il ne reste, en fait, qu'à structurer le régime présidentiel autour d'un mandat raccourci. Au président élu et privé du droit de dissolution le soin d'assumer l'exécutif. Au parlement rénové dans ses pouvoirs le soin de contrôler et de légiférer. L'éventuelle introduction de la proportionnelle, ou d'un système mixte, permettrait de surcroît d'assurer la parité entre hommes et femmes sans recourir à des distorsions théoriques et pratiques des conditions d'exercice du suffrage universel.

      La réflexion doit également porter, rapidement, sur le rétablissement d'un lien de responsabilité politique lisible entre tout organe investi de l'exercice d'une partie de la souveraineté populaire et le suffrage universel ou ses mandants. L'indépendance des autorités monétaires elle même, décidée sous les pressions simultanées de l'idéologie libérale et des marchés financiers, est injustifiable d'un point de vue démocratique. Voir des présidents de banque centrales cooptés interpeller des responsables politiques démocratiquement désignés sur la politique fiscale, salariale, sociale, sans la moindre réaction du corps politique, en dit long sur l'étendue de la régression démocratique. Cette construction anti-démocratique ne résistera pas, dans le temps, à la première crise sérieuse, qu'elle soit financière, politique ou sociale.

      La difficile question de l'indépendance de la justice, rendue au nom du peuple, n'échappe pas à cette problématique. Elle y échappera d'autant moins qu'elle se déroule dans la confusion en superposant la légitimité de garanties démocratique à des survivances archaïques du pouvoir régalien transcendant (Instruction inquisitoriale, autorité de la chose jugée, etc.) L‘imbrication de ces deux conceptions antagonistes débouche, là encore, sur des ambiguïtés regrettables dont la dérive pourrait être lourde de conséquence. C'est à la réflexion politique et au suffrage universel de trancher ces questions plutôt que d'en abandonner le règlement aux contingences de l'air du temps : un procureur a-t-il oui ou non le droit de parler au nom du peuple français sans être responsable directement ou indirectement devant lui ? Il paraît difficile d'un point de vue démocratique (article 3 de la déclaration des Droits de l'Homme) d'apporter à cette question une réponse positive.

      Quand à ce qu'il est convenu d'appeler la modernisation de la vie politique, la réflexion ne peut se satisfaire des attentes formelles de l'opinion. Dans un pays où l'expérience quotidienne continue à démontrer que la très grande majorité des problèmes locaux n'ont de solution qu'au niveau des administrations centrales, quand ce n'est pas dans les cabinets ministériels, la réflexion et l'action justifiée contre le cumul des mandats est indissociable d'une véritable déconcentration du pouvoir. Sauf à commettre le regrettable contresens de renforcer le pouvoir central au profit des technostructures et au détriment des élus locaux que l'on prétend responsabiliser. De même, franchir une nouvelle étape de la décentralisation, c'est transférer de véritables blocs de compétence et les recettes correspondantes, et non multiplier les responsabilités et les financements croisés qui se traduisent le plus souvent par des transfert de charges de l'état vers les collectivités locales. Le processus est désormais connu : pour déborder les contraintes budgétaires qu'ils rencontrent au niveau national, un nombre croissant de ministères initient des actions dont le financement est d'abord partagé, puis ensuite abandonné aux collectivités. Le ministre " annonce ", le terrain paye ! Ce qui justifie, ensuite, de " judicieux " commentaires sur la maîtrise de la pression de la fiscalité de l'état et sur la gabegie des dépenses locales.

      La reconquête de la démocratie dans notre pays ne se limite pas au terrain institutionnel.

      Le liberté et le pluralisme de l'information semble avoir disparu du débat public, où il a si longtemps occupé une des premières places, au moment même ou la concentration des moyens d'information et leur contrôle par des puissances financières dépendantes de la logique et des intérêts du marché s'en assurent le quasi monopole. Malgré d'innombrables rapports et prises de positions théoriques successives, le secteur public de l'audiovisuel reste co-financé par des recettes publiques et privées, qui l'obligent à introduire dans ses critères les préoccupations du financement privé (Audimat, recettes publicitaires) alors qu'il devrait offrir une alternative pluraliste, pédagogique et culturelle de référence dégagé de ces contraintes. L'affirmation selon laquelle l'irruption d'Internet en particulier et des T.IC en général rendrait ce type de débat caduc peut être infirmée, si le débat avait lieu, par une conclusion inverse : le soucis de voir s'instaurer, dans la déferlante mercantile, des sites sous contrôle public, offrant des garanties et constituant des références, dont le secteur privé à lui aussi besoin pour se prémunir contre ses propres débordements.

      De même, à ce jour, l'utilisation des T.I.C pour améliorer le fonctionnement de la démocratie ne fait l'objet d'aucune réflexion spécifique ni d'aucune expérimentation sérieuse.

      S'il n'y a pas plusieurs formes de démocratie, comme le professe le président du M.E.D.E.F, et donc pas de " démocratie sociale " s'opposant à la " démocratie politique ", il y existe, en revanche une dimension sociale de la vie démocratique, sans laquelle la démocratie ne serait que cette caricature d'elle même dont rêvent, justement, les prétendus libéraux. Cette dimension sociale de la démocratie exige une meilleure protection des élus et des représentants syndicaux, mais aussi un renforcement de la protection des salariés face à des comportements de pression et de répression qui ont tendance à s'étendre dans certains secteurs. Elle justifie l'extension des droits des salariés dans l'entreprise ; le renforcement des moyens de contrôle de l'inspection du travail ; le refus de valider des accord d'entreprises qui n'ont pas reçu l'aval d'une majorité de salariés ; l'amélioration de la présence et le renforcement du pouvoir des représentants du personnel dans les conseils de surveillance.

      Elle implique aussi un renouveau syndical que les socialistes se doivent de favoriser par la mise en place d'un financement public : après les partis politiques de gauche, les syndicats ne doivent pas devenir les victimes expiatoires de l'hypocrisie face à la problématique des moyens financiers. D'une manière générale, confronté au nouveau capitalisme financier, à la puissance que représentent les multinationales, le syndicalisme doit s'interroger sur son organisation et ses moyens d'actions ; sur ses divisions ; sur son organisation encore trop timide à l'échelon européen. Face à un actionnariat international volatile, anonyme, les moyens de luttes traditionnels ont perdu beaucoup de leur efficacité. Mais de nouvelles formes d'actions peuvent s'avérer tout aussi efficaces : la labellisation sociale, le boycott par les consommateurs, l'action juridictionnelle en tant qu'actionnaire minoritaire…

      La place et le rôle de l'état et des services publics se situe à la charnière de la reconquête de la démocratie et de la transformation sociale. L'état et les services publics ne sont que des moyens. La pensée socialiste les à parfois abusivement positionné dans son discours, au point de laisser croire que leur importance était, en elle même, une fin. Mais, bien qu'ils ne soient que des instruments, ils sont néanmoins les moyens privilégiés de l'action publique, elle même garante de l'intérêt général. Dans une démocratie, sans l'état et son administration, le suffrage universel est désarmé, la loi inopérante, les régulations et la redistribution nécessaire à l'égalité impossible. Sans l'état et les services publics, qu'il ne faut pas confondre, la sécurité collective (sous toutes ses formes), la solidarité et la cohésion sociale sont irréalisables. Le libéralisme ne s'y trompe pas et les englobe dans une même réprobation. La lutte contre le " trop d'état " ou contre les services publics, accusés de tous les maux, est une constante du libéralisme qui oppose l'individu à l'état comme il oppose la liberté, fruit de l'égalité politique, à l'égalité sociale.

      D'où la nécessité, pour celles et ceux qui aspirent à une société juste et solidaire, de veiller à l'efficacité de l'état, à son niveau de performance, à sa transparence, à sa modernisation, ainsi qu'à l'adéquation du service public avec ses objectifs, qui ne peuvent être confondus avec le simple intérêt de ceux qui les incarnent.

      Le domaine du service public n'est pas défini une fois pour toutes. Il peut varier en fonction des contextes sociaux, économiques et technologiques. Les socialistes ne doivent pas s'interdire d'imaginer que, demain, la maîtrise de l'eau, ou l'accès aux technologies nouvelles de l'information et de la communication ne constitueront pas de nouveaux champs pour l'action publique.

    2. La laïcité

      Présentée comme un des éléments constitutifs de la République, la laïcité est avant tout la garantie de " la liberté de conscience ". Sans elle, la démocratie, fut-elle affichée formellement, perd son authenticité. Sans elle, l'égalité politique devient conditionnelle, assujettie, et donc fictive.

    3. En Europe

      Alors qu'elle a vocation à constituer le cadre gèo-politique idéal d'une reconstruction démocratique à l'échelle des nouveaux rapports de force mondiaux, l'Europe, tout au contraire, devient symbole d'impuissance politique et d'atrophie démocratique. Elle ne constitue pas un nouveau cadre d'expression structuré qui permettrait de rendre au suffrage universel sa puissance, pour équilibrer le pouvoir économique et légitimer les nouvelles régulation qui assureraient la primauté de l'homme sur la logique du marché (Sécurité alimentaire, protection de l'environnement, législation sociale), mais au contraire un imbroglio juridique et institutionnel qui fait la part belle aux lobbies et permet d'imposer les idées libérales en restant hors d'atteinte du contrôle de la souveraineté populaire.

      Aucun organe politiquement responsable n'aurait pu affirmer, sans risques, que " la libre circulation des marchandises " primait sur " la sécurité des personnes ", comme cela a été le cas dans l'affaire de la vache folle ou des O.G.M, ou déclarer que le travail était " une marchandise comme les autres ", comme l'a fait la cour de justice européenne en s'appuyant sur le droit dérivé des traités. Sur le continent même où est née la démocratie, cette régression démocratique inadmissible justifie l'indifférence croissante des peuples, quant ce n'est pas leur hostilité pure et simple. Les véritables adversaire de la construction politique européenne ne sont pas, aujourd'hui, ceux qui la combattent ouvertement mais ceux qui tolèrent que perdure une situation qui la disqualifient en tant que projet politique moderne, c'est à dire démocratique. Les lendemains de Maastricht n'ont pas tenu leur promesses sur le plan politique. L'indifférence, la crédulité, l'inertie même, ont des limites avec lesquelles il serait sage de ne pas trop jouer. La fin de la cogestion ambiguë des institutions européennes, promise lors de la dernière campagne européenne mais toujours en vigueur; la désignation par défaut d'un président de commission décevant à tous égard; le confusionnisme institutionnel érigé en principe de contournement des opinions publiques.( " C'est pas nous, c'est Bruxelles ! "), tout cela est mauvais pour l'Europe et son avenir.

      Certes, unifier 15 pays différents (plus nombreux encore demain) et leurs histoires n'est pas simple.

      Mais on peut se demander si les forces économiques et les technostructures publiques et privées ne s'accommodent pas avec satisfaction d'une situation qui, au bout du compte, leur laisse le champs libre pour œuvrer, a l'abri des turbulences et des exigences du suffrage universel, à l'élaboration du bonheur des peuples malgré eux ! L'Europe serait alors l'instrument privilégié du lobbying des grands groupes financiers et le terrain de prédilection du vieux fantasme élitiste, habillé de neuf pour la circonstance, par l'auto- proclamation du " cercle de la raison ", digne successeur des " rois - philosophes ". 

      Face à cette impasse politique, à ces graves distorsions, la carence de la pensée socialiste sur la problématique européenne, cyniquement récupérée par ceux qui parlaient du " parti de l'étranger ", est fortement regrettable. Elle est avant tout imputable à l'inefficacité du Parti Socialiste Européen qui continue à fonctionner, à l'image du conseil des ministres de la communauté, comme une conférence diplomatique intergouvernementale et non comme une instance démocratique. ( Congrès sans vote, désignation des instances par cooptation, élaboration de textes de synthèses dont la méthode d'élaboration est la négation même des règles élémentaires du débat démocratique )

      Le choix des socialiste doit être clair : celui d'une Fédération Européenne dotée d'institutions démocratiques légitimes et efficaces, dont il leur appartient de fixer, par le débat, les contours. Que signifie un " processus suis generis " ? Que veut dire " Fédération d'Etats-Nations " au moment ou tout le monde épilogue sur le démembrement, le dépassement ou la non pertinence des Etats Nations face à la mondialisation de l'économie ?

      Qu'il s'agisse de la monnaie, l'Euro, ou de la Défense et de la Diplomatie, l'Europe restera un nain politique à la remorque des U.S.A tant qu'elle ne sera pas dotée d'instances démocratiques fédérales (Exécutif responsable, bicaméralisme parlementaire, etc.…). De même, il ne sert pas à grand chose d'épiloguer sur le modèle social ou culturel européen en l'absence d'institutions politiques démocratiques indispensables pour légitimer et imposer les régulations nécessaires. Sans la résistance et l'expression des populations concernées, c'est la course au moins disant social et fiscal, justifiée par la concurrence intra-européenne et mondiale qui l'emportera inéluctablement ; c'est le marché et ses règles de compétitivité, la loi de l'argent, qui décideront et imposeront leurs règles.

      Prendre prétexte de la difficulté et de la complexité de la réalisation de l'objectif pour ne pas le désigner, c'est condamner la construction politique européenne à ne jamais voir le jour en tant que communauté de destin et en tant puissance internationale. C'est théoriser l'impuissance. C'est aussi prendre le risque de voir se multiplier l'émergence des réflexes identitaires négatifs, version contemporaine des nationalismes qui lui l'ont ensanglantée dans le passé. Le choix est entre la dynamique d'une action universaliste ou les risques " d'une précipitation " (au sens chimique du terme) des singularités( des communautés) que d'aucun nous présentent comme une formule d'avenir mais qui fleure souvent, en réalité, de vieilles réminiscences.

      Le projet des socialistes sur l'Europe doit être clair et ambitieux. Il doit constituer le cœur de notre réflexion et ne saurait se limiter a des commentaires d'approbation ou de désapprobation relatifs a des projets venant d'autres horizons.


III - La concrétisation
de l'aspiration égalitaire,
la société solidaire



Ni la mondialisation, ni l'économie de marché ne rende obsolète ou désuète la recherche de l'égalité. Elles impliquent en revanche de nouveaux moyens et de nouvelles solutions, une réflexion sans concessions et sans confusion sur les moyens et les fins.
  1. Priorité à l'emploi

    La priorité à l'emploi, proclamée et réaffirmée à juste titre par le premier ministre, offre un terrain de choix pour ce type de réflexion nouvelle.

    Croissance retrouvée, réduction du temps de travail et action volontariste ont permis d'inverser sensiblement la tendance sur le marché du travail. Au point de réactualiser, de manière crédible, le débat sur le plein emploi, dont des esprits empressés de minimiser les dégâts de la poussée libérale nous avait annoncé l'irréversible disparition.

    Crédible, parce qu'une vision purement mécanique des paramètres démographiques incite à l'optimisme. Alors que dans les années 90, 150 000 jeunes supplémentaires se présentaient chaque année sur le marché du travail, ils ne seront plus que 100 0000 entre 2000 et 2005, avant que la tendance ne s'inverse pour devenir négative, - 100 000 chaque année, à partir de 2006. Si la croissance actuelle se maintenait à son rythme actuel pendant la période, la France verrait son taux de chômage se réduire de 0,8 % par an jusque en 2005, puis de 1,( par an au delà de cette échéance. Le retour au plein emploi, c'est à dire au taux de chômage incompressible de 4 à 5 %, serait donc possible à l'horizon 2010.

    Mais ce pari ne peut être le nôtre. Ce scénario, en effet, n'intègre pas les effets du vieillissement de la population qui ne peuvent être neutres sur les comportements d'épargne et de consommation, ni sur le dynamisme de notre économie. Les effets d'éventuelles fortes progression de la productivité, consécutives notamment à la généralisation et à l'évolution des nouvelles technologies, ne sont pas prises en compte, pas plus que le retour sur le marché de l'emploi de personnes jusqu'ici découragées, notre pays ayant un faible taux d'activité( 69,6 %). De plus tout laisse à penser que les nouveaux besoin seront en priorité des emplois à qualification croissante, ce qui justifie un effort soutenu en matière d'éducation et de formation. Mais de plus, et peut être surtout, l'horizon peut paraître lointain pour ce qui vivent des situations difficiles d'intégration, notamment dans la jeunesse (le chômage continue à concerner un jeune sur quatre), ou qui subissent la relative précarisation d'un C.D.D. (En I999, 7 embauche sur dix, dans les entreprises de plus de 10 salariés, ont été réalisées en C.D.D et le temps partiel touche désormais 1\3 des emplois féminins).Une étude récente de l'O.F.C.E à démontré, si besoin était, combien il est vain d'attendre du marché les seuls ajustements nécessaires et combien il serait illusoire d'espérer de " la flexibilité ", c‘est à dire du démantèlement du code du travail, comme nous y engage le MEDEF mais aussi certains camarades européens, la création d'emplois en nombre suffisant.

    Lionel Jospin a eu raison de redonner à notre pays la perspective du plein emploi et cet objectif est à notre portée. Mais il ne sera atteint que si nous poursuivons la politique engagée en 1997. Il ne sera possible que par la poursuite résolue du mouvement de réformes déjà engagée.

    La voie du soutien à la croissance, du volontarisme, comme nous y invite notre camarade Eric Besson, dans le droit fil des principes qui ont justifié la création des emplois jeunes, doit rester la nôtre parce qu'elle correspond à l'attente d'une majorité de nos concitoyens. Elle n'est pas contradictoire avec des projets de réformes qui pourraient la rendre moins nécessaire, ou moins onéreuses.

    1. Un triple choix au service de l'emploi

      Si la priorité reste effectivement l'emploi, il faut y choisir.

      Choisir entre la diminution de l'impôt ou celles des cotisations sociales. Choisir entre une assiette de cotisations patronales qui défavorise l'emploi, ou une assiette qui le favorise en déconnectant la charge salariale de la masse salariale. Choisir entre une fiscalité qui favorise les dividendes distribués et les bénéfices ou une fiscalité favorable à l'emploi et à la production de richesse.

    2. Choisir entre la diminution de l'impôt et celle des cotisations sociales

      Si le débat sur les prélèvements obligatoires était possible dans une relative sérénité, nul ne devrait ignorer que ce qui pose problème dans le total des prélèvements français, ce n'est pas ( nonobstant la problématique propre à la fiscalité) le taux de pression fiscale (le montant du prélèvement fiscal sur le PIB) mais celui des cotisations sociales qui constitue, de surcroît, une part importante du coût salarial. Le coût de la main d'œuvre en France est dans la bonne moyenne européenne, inférieur à ce qu'il est dans les pays nordiques. Mais à la différence de ce qui se passe ailleurs, la répartition entre salaire direct et salaire indirect, entre salaire versé et coût pour l'employeur ( le fameux " coin salarial ") est doublement pénalisante pour l'emploi : salaires réels insuffisant, pénalisation lourde du " facteur travail " qui sert d'assiette exclusive aux cotisations sociales alors que le " facteur de production capital " y échappe complètement.

      C'est donc en priorité à la réduction de la facture sociale que devrait être réservé les marges de manœuvre générées par la croissance, réduction dont les effets cumulés (la hausse du niveau de l'emploi produit des recettes et diminue les charges) permettrait, dans un second temps, de réduire la pression fiscale. Sous la pression de campagnes politiques savamment orchestrée, jusque dans nos rangs, c'est pourtant la baisse des impôts qui est traitée en priorité.

    3. Choisir une assiette de cotisations patronales qui favorise l'emploi

      Déconnecter la facture sociale de l'employeur de la masse salariale aurait des effets mécaniques et psychologiques important sur le niveau de l'emploi, contrairement a ce qu'affirme certains rapports, contredits par d'autres études. Qui peut en douter, après avoir entendu la litanie des employeurs qui n'embauchent pas par crainte d'un retournement de conjoncture qui les laisserait en tête à tête avec leurs charges sociales ? Le choix de la valeur ajoutée comme assiette de cotisations sociales changerait fondamentalement la problématique du coût salarial.( Participation du capital au paiement de la facture sociale ; ajustement de cette facture sur le niveau réel d'activité ; réduction du coin salarial ; augmentation des salaires réels ; arbitrages différents dans le choix des facteurs de production en faveur de l'emploi ; allégement sensible de la facture pour les entreprises incorporant beaucoup de main d'œuvre, etc.) La principale difficulté réside dans les transferts important qui se produirait entre les divers secteurs d'activité( pénalisation des entreprises incorporant beaucoup de capital et peu de main d'œuvre au bénéfice des entreprises employant beaucoup de personnes). C'est pourquoi cette réforme essentielle, qui va dans le sens de l'efficacité et de la justice sociale ne peut être engagée que dans un contexte de baisse du niveau global des charges, afin que les entreprise à haute valeur ajoutée ne soit pas trop fortement pénalisée : d'où la priorité à donner à la baisse des cotisations sociales.

      Le dernier argument en date, mais non le moindre est constitué l'apparition et le développement de formes de rémunérations qui, au nom de nouvelles formule d'association capital-travail prétendent échapper aux cotisations sociales. C'est le cas des stock-options aujourd'hui, ce pourrait être celui de l'épargne salariale demain. Qui peut imaginer que seule les formes traditionnelles du salariat, dans les secteurs les plus difficiles, paieraient des cotisations sociales, alors que les nouvelles formules, dans les secteurs les plus porteurs, n'en paieraient pas ? Ce type de question aujourd'hui sans réponse ne se poserait plus si l'assiette des cotisations sociales était constituée par la valeur ajoutée.


  2. Choisir une fiscalité favorable à l'emploi

    Malgré la suppression progressive de la base salaire dans la taxe professionnelle( qui était un impôt sur le salaire à la charge de l'employeur) notre fiscalité relative à la taxation des bénéfices continue à privilégier les " plus values " (qui se situent à un niveau comparatif tout à fait convenable) par rapport à la création de richesse.. La " création de " valeur financière " est mieux traitée que la création de " valeur ajoutée "). Par ailleurs, un bénéfice spéculatif sera taxé de la même manière qu'un processus impliquant l'intégration sociale ( par le travail) de nombreux salariés. La réflexion pourrait être menée sur la différenciation de l'impôt sur les sociétés en fonction de la part prise par les salaires dans la formation de la valeur ajoutée. Si le contribuable français paye pour les plans de licenciements massifs ( Préretraites, etc. ) on ne voit pas pourquoi les entreprises qui concourent à l'intégration sociale ne serait pas, elles, favorisées. Cette prime à l'emploi pourrait être financée par le relèvement du taux de certaines plus values financières, purement spéculatives.

    Ce triple choix pour l'emploi, qui s'inscrit dans la logique des 35 heures, conforterait indubitablement la volonté d'une volonté claire de donner la priorité au plein emploi.

  3. Une fiscalité plus juste

    Le débat fiscal est récurent. Malgré l'évidence d'une priorité à la baisse des cotisations sociales, il occupe aujourd'hui le devant de la scène politique, porté par les catégories sociales les plus à même de s'exprimer dans le débat public. La baisse des impôts, dans un contexte de croissance qui augmente sensiblement les rentrées fiscales( La Cagnotte), monopolise l'attention et le débat public, bien que les sondages réaffirment invariablement la préoccupation prioritaire des françaises et des français pour l'emploi. Après deux baisses successives pour l'année 2000 ( 40 Milliards au budget initial et 40 Milliards en collectif de printemps, soit 80 Milliards en un an ! ) l'annonce d'un nouveau dispositif de baisse de 120 Milliards sur trois ans est perçue comme un virage politique.

    S'il est vrai que certains processus de cumul (Impôt sur la fortune + tranche supérieure de l'I.R + impôt sur les plus values) peuvent aboutir, pour un nombre très réduit de contribuables, à une imposition supérieure à leurs revenus, du fait de la suppression du plafonnement global décidé par le gouvernement d'Alain JUPPÉ, notre système fiscal, loin d'être écrasant, réduit peu les inégalités de revenu et de patrimoine.

    La fiscalité indirecte( T.VA, T.I.P.P) la plus injuste et la moins redistributive continue à dominer notre système. La fiscalité directe, la plus redistributive, représente 23,9 % en Allemagne, 39 % aux Etats-Unis, 26,6 en moyenne dans les pays de l'O.C.D.E. et… 14 % en France où, il est vrai, près de la moitié des foyers fiscaux sont exonérés de l'impôt sur le revenu. L'imposition du patrimoine représente 2,7 % en R.F.A, 10,7 aux U.S.A, 5,4 en France, 5,5 dans l'O.C.D.E.

    Nous sommes loin du matraquage fiscal qui fait régulièrement la une de nos hebdomadaires ou de nos quotidiens. Qui font les gros titres sur la baisse de la tranche supérieure de l'I.R. en Allemagne, sans s'apercevoir qu'elle se situe désormais au niveau de la française si l'on tient compte des abattements forfaitaires de 10 et 20% !, sans parler de l'incidence du quotient familial.

    Cela ne signifie pas que notre système doive rester en l'état. Injuste et compliqué (alors que généralement, la complexité se justifie par le soucis d'une meilleure justice) il mériterait d'être profondément réformé.

    Et d'abord, par la réintégration de tous les revenus dans l'assiette de l'I.R., a partir du premier franc, dans le cadre d'un système de prélèvement à la source. Modulé en tranches et mis en perspective avec la fiscalité locale, archaïque et injuste, ce système permettrait sans aucun doute de mieux assurer la progressivité de l'impôt et sa fonction redistributive.

    Ensuite en modulant les effets de seuil pour éliminer ce qu'il est convenu d'appeler les trappes à pauvreté, pour encourager les reprises d'activité. Enfin, en supprimant tous les mécanismes d'exonération qui sont une prime aux plus haut revenus capables de s'offrir un bon conseiller fiscal.

    Mais en l'absence de retenu à la source, c'est à dire de généralisation de l'I.R., auquel incomberait la progressivité, il faut être conscient de ce que la C.S.G et l'I.R ne pourront être traités séparément : la baisse de la C.S.G est aujourd'hui le seul moyen simple et digne d'associer les catégories qui ne paient pas l'impôt sur le revenu à " la baisse des impôts ". " L'impôt négatif ", importé des pays anglo-saxons où il a été conçu comme un filet de sécurité pour pallier les effets les plus extrêmes de la flexibilité dans le cadre d'une conception de la solidarité qui n'est que la traduction laïcisée de la charité, ne correspond en rien à notre système de valeurs. Ajouter aux Rmistes une nouvelle catégorie de " salariés-assistés " serait contraire à nos principes et à la dignité des intéressés, dangereux pour le S.M.IC qui se verrait peu à peu substituer une nouvelle référence inférieure, et d'une inexplicable complexité (Prélever d'abord, pour rendre ensuite !).

    De même, si l'épargne salariale bénéficiait d'avantages fiscaux supérieurs au salaire, l'effet de substitution serait dangereux pour les salaires dans les milliers d'entreprises où le salarié n'est pas en position de discuter le niveau et les modalités de sa rémunération.

    Sur un autre plan, celui de la fiscalité des entreprises, une réflexion incluant la baisse de l'I.S et la suppression simultanée de l'avoir fiscal serait de nature à simplifier notre système tout en renforçant notre compétitivité fiscale !

    Bien d'autres suggestions pourraient être étudiées. Mais l'essentiel reste l'affirmation de la vocation redistributive de l'impôt et de la simplification d'un système qui collectionne les " usines à gaz ".

  4. Plus d'égalité dans la distribution des revenus

    1. Les salaires

      Globalisation financière et compétitivité exacerbée ont pour conséquence un recul régulier de la part des salaires dans la richesse produite. A cette pression extérieure se sont ajoutés en France les effets modérateurs de la mise en œuvre des 35 heures pour creuser au delà du raisonnable l'écart déjà important qui se creuse entre revenu du travail et revenu du capital, notamment revenus financiers. Les revenus salariaux stagnent ou progressent faiblement tandis que la capitalisation boursière de la place de Paris dépasse les dix mille milliards de Francs ( soit un chiffre supérieur au P.IB alors qu'elle ne représentait que 35 % en 1985. De tels écarts pèseront lourdement sur l'évolution des inégalités.

      Dans un tel contexte, force est de constater qu'à la " progression maîtrisée des salaires " ne correspond pas une évolution modérée de la spéculation. La négociation salariale appartenant aux partenaires sociaux, il incombe en revanche à l'état de tenir compte de ces évolutions dans la fixation des minima sociaux et de veiller à ce que la mise en place de l'épargne salariale, dont il faut rappeler qu'elle ne correspond pas à une demande émanant des salariés, ne joue pas contre la nécessaire progression des salaires.

    2. Les revenus de substitution et les retraites

      Fidèles aux régimes de retraites par répartition, seul compatibles avec la recherche d'un minimum d'égalité, les socialistes ne doivent pas céder aux fortes pressions du marché qui les poussent à la mise en place, directe ou indirecte, de ces Fonds de Pensions qui sont aujourd'hui les maîtres des marchés financiers auxquels ils imposent leurs exigences ( une création de valeur sans aucune autre considération humaniste) mais qui pourraient aussi, demain, en être les premières victimes. Si l'épargne doit être orientée vers les entreprises, ce qui est souhaitable, c'est en direction de l'assurance vie ( 4000 Milliards de Francs qu'il faut regarder) plutôt que vers l'épargne salariale qui ne représente que 300 Milliards, ou vers des fonds de pension qui n'existent pas, et dont la mise en place, en toute hypothèse, ne correspondrait pas chronologiquement, à nos problèmes. La mise en place de l'épargne salariale doit être sans ambiguïté sur le sujet, et déboucher exclusivement sur une sortie en capital, comme le souhaite les organisations syndicales. Sur le sujet, outre les annonces faites par le gouvernement, il faut rappeler que c'est le niveau de l'emploi qui reste le meilleur garant de la solvabilité du système dans l'avenir. Un avenir où, sortant enfin de l'hypocrisie du mythe de l'immigration zéro, on aura mis en place des politiques d'immigration organisées qui vont s'avérer indispensable. Le choix ne sera pas entre immigration ou refus de l'immigration, mais entre immigration organisée ou immigration sauvage.

      Quand aux système de protection sociale collectif, il faut le défendre avec fermeté contre la tentative du M.E.D.E.F de le démanteler au profit d'un système d'assurances privées sélectif ( Santé, accident du travail, chômage) et de la mise en place de Fonds de pension, sur la ruine du régime de retraites par répartition. Derrière le front syndical qui s'est constitué pour contrer cet assaut libéral, le gouvernement et la majorité plurielle doivent rester incontournables.


  5. L'égalité entre les peuples

    Proclamer, au nom de la tradition internationaliste, la solidarité entre les peuples et la nécessité d'aider les pays en voie de développement est bien. Mais surveiller le niveau du budget de la coopération, qui diminue sensiblement, serait mieux. S'en remettre au F.MI., à ses notation, à ses cotation, à ses programmes d'assainissement censés attirer les grâces de la main invisible du marché ne semble pas produire de grands effets et offre une substitut peu onéreux à ce que devraient être de véritables politiques de coopération. L'Afrique, sous nos yeux, s'enlise dans la violence et dans la misère. Croulant sous le poids d'une dette à prix exorbitant, qui absorbe l'essentiel de ses ressources au détriment de l'investissement, elle redevient la proie d'une exploitation cynique de ses ressources à mesure que la véritable coopération recule( Coton en côte d'ivoire). Sur d'autres continents, la " mondialisation heureuse " s'accommode fort bien de ce que plus de 1milliard de personnes vive avec moins d'un dollar par jour.

    L'Internationale Socialiste devrait être le lieu privilégié de réflexion et d'action

    de cette solidarité. Or force est de constater que c'est par d'autres réseaux, d'autres mobilisations que s'organise la résistance. Ce n'est pas le drapeaux de l'I.S qui flottait a Seattle, mais celui d'un rassemblement hétéroclite, ressemblant pour partie à ces femmes et hommes que "  l'Internationale " glorifiait sous le vocable " damnés de la terre ".

  6. Les nouvelles formes d'égalité

    Le combat pour la liberté, pour la maîtrise toujours inachevée de nôtre destin, ne cessera jamais. A chaque étape du progrès, de nouveau défi surgiront pour l'égalité. Aujourd'hui, c'est l'égalité numérique qui devrait retenir notre attention : rien ne justifie que certains soient privés de l'accès au savoir et des possibilités de communication qu'il représentent. En quoi seraient-ils moins nécessaires que ne l'étaient hier le téléphone ou le livre ? Et pourquoi les sommes considérables dégagées par les nouvelles technologies ( UMTS , Télévision Numérique, boucle locale,) ne seraient-elles pas consacrées à la mise en œuvre de cette égalité numérique ?

    Comment répondre demain aux risque d'inégalité génétiques ?


Conclusion



Après des années de posture défensive, retrouver une volonté offensive ne dépend que de nous. La pérennité du socialisme en tant que pensée de l'action, au service du progrès et de l'aspiration égalitaire, aussi. Le libéralisme n'avance en Europe- et souvent " grâce " à l'Europe- que dans la mesure où la social-démocratie recule. Elle aurait, si elle ne se repliait idéologiquement, les moyens de préserver et d'améliorer ce qu'il est convenu d'appeler " le modèle social européen " qui répond à l'aspiration majoritaire des peuples qui la composent. Encore faut-il qu'elle en ait la volonté et que le débat reprenne en son sein.

En France, prendre prétexte des inévitables contraintes de l'action gouvernementale pour laisser le social- libéralisme déporter insensiblement notre partie vers le centre menace son leadership sur l'ensemble de la gauche et présente, à terme, un risque de fracture pour cette dernière.

La majorité plurielle aujourd'hui, comme l'union de la gauche hier, est une rassemblement potentiellement instable qui ne peut trouver d'équilibre qu'autour d'un parti socialiste suffisamment représentatif, sur le plan politique et électoral, pour décourager les tentations permanentes de division inhérente à la gauche. De même, l'élection présidentielle, nécessite, d'abord, le rassemblement de l'ensemble de la gauche.

Traumatisé par des querelles anciennes, qui servent aujourd'hui de prétexte à l'étiolement du débat, notre parti ne peut, sans risques, sombrer dans un consensus érigé en principe qui rétrécit sa représentativité politique et sociologique. Il doit être au contraire un pôle de rassemblement et de référence pour l'ensemble des sensibilités progressistes avec lesquelles il doit rechercher le dialogue. Beaucoup d'authentiques militants sont aujourd'hui hors nos murs. Il fait peu de doute qu'un débat maîtrisé en ramènerait un certain nombre.

Affronté au défi d'une offensive sans précédent du capitalisme financier et des valeurs inégalitaires qui le portent, nous avons la responsabilité d'opérer les rassemblements les plus larges possibles au service des valeurs égalitaires. L'espoir est à ce prix.

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