Non au libéralisme
new look



Tribune signée par Henri Emmanuelli, député des Landes, parue le vendredi 12 janvier 2001 dans les pages " Rebonds"  du quotidien Libération.


 
Jean Pisani-Ferry a, dans un rapport très médiatisé, dressé un bilan flatteur de la politique économique du gouvernement Jospin et tenté d'esquisser la voie à suivre pour retrouver rapidement le plein-emploi. Il dessine ainsi la nouvelle orthodoxie sociale-libérale, prouvant une fois de plus que dans notre pays le clivage entre libéralisme et socialisme se situe au sein même de la social-démocratie, et non pas entre la gauche et la droite.

En résumé, l'histoire que nous raconte ce rapport est assez simple. En raison des politiques économiques inadaptées des gouvernements qui ont freiné la demande dans les années 90, la France avait accumulé un retard de croissance important et un chômage conjoncturel élevé. Le gouvernement Jospin a habilement su changer de cap en stimulant la demande et en premier lieu le pouvoir d'achat des salariés. Mais la France bute sur un chômage structurel car les entreprises ne trouvent plus la main-d'œuvre dont elles ont besoin. Il faut donc refermer la parenthèse ouverte en 1997. La priorité est à la réforme du marché du travail: politique de formation pour adapter les salariés aux exigences de l'entreprise, poursuite de la baisse des charges sociales sur les bas salaires pour augmenter le nombre d'emplois peu qualifiés, arrêt des politiques malthusiennes qui ont conduit à évincer du marché du travail les plus jeunes et les plus de 50 ans, et surtout création d'un impôt négatif pour inciter les chômeurs et RMistes à reprendre un emploi ce qu'ils n'auraient pas, aux dires du rapport, d'intérêt à faire aujourd'hui.

En d'autres termes, il ne faut plus toucher au partage de la valeur ajoutée, alors que la part des profits demeure à son niveau le plus élevé depuis quarante ans, et la progression salariale doit rester modérée (moins de 2 % par an), afin de ne pas pénaliser la création d'emplois. Les salariés sont prévenus: s'ils demandaient plus, ils seraient responsables du chômage, selon la vieille rengaine libérale considérant que la feuille de paie est l'ennemie de l'emploi. L'importance des recommandations pour la prochaine législature nécessite que l'on s'interroge sérieusement sur le constat qui les motive.

Les entreprises n'arriveraient plus à trouver d'employés prouvant ainsi que notre pays a atteint un seuil de chômage structurel, les offres d'emploi ne correspondant plus aux demandes. Ce diagnostic ne me paraît pas fondé. Comme le professeur Malinvaud le rappelle, ce niveau de chômage structurel est inconnu et ne cesse d'être révisé à la baisse au fur et à mesure de la décrue du chômage (12 %, puis 10 %, et 8-9 % aujourd'hui). Que les entreprises qui avaient pris l'habitude de recevoir 100 candidats surqualifiés pour une offre d'emploi et qui n'en reçoivent plus aujourd'hui qu'une dizaine ressentent de plus grandes difficultés à recruter n'est pas surprenant. Que des secteurs comme celui des nouvelles technologies, qui représentent une part très minoritaire de l'emploi, éprouvent à l'instar de tous les grands pays industrialisés une pénurie de main-d'œuvre ne suffit pas à fonder un constat général. Pour preuve: le phénomène de surqualification des salariés dans les postes qu'ils occupent n'a régressé que pour les seuls bac + 5; les augmentations de salaire restent faibles pour une période de reprise; et 35 % des salariés à temps partiel souhaitent sans succès trouver un emploi à temps plein.

Sur la base d'un constat erroné, Jean Pisani se fait ensuite l'apôtre de l'impôt négatif, déjà expérimenté aux Etats -Unis et en Angleterre, bizarrement présenté comme la vraie mesure de gauche. Le capitalisme anglo-saxon aurait fait du socialisme sans le savoir. L'idée est sur le principe assez simple: l'écart entre les prestations sociales et le Smic à mi-temps est trop faible pour inciter les chômeurs à reprendre un emploi, il faut donc encourager la reprise d'activité en accordant à ces personnes une allocation complémentaire à leur salaire et de manière dégressive.

Un impôt négatif me semble aux antipodes d'une politique de gauche. Il a été instauré dans des pays qui ont dérégulé le marché du travail et où les prestations sociales sont bien plus faibles qu'en France. L'impôt négatif entérine une nouvelle norme du marché du travail, qui ne serait plus le Smic à temps plein mais le Smic à mi-temps, et pérennise les travailleurs pauvres. Il aura des conséquences potentiellement dangereuse sur le devenir du Smic et les négociations salariales. Cette mesure crée de fait un statut de salarié assisté alors que les entreprises se voient déchargées de toute responsabilité économique et financière dans le développement de la précarité et de la pauvreté au travail. Mieux: le recours au temps partiel sous-payé sera encouragé.

Enfin, l'impôt négatif n'est pas adapté au constat que dresse le rapport. Alors que ce dernier insiste sur les pénuries de main-d'œuvre dans les emplois qualifiés, l'impôt négatif vise à inciter les travailleurs peu ou pas qualifiés à se porter sur le marché du travail. Or il ne me semble pas que notre pays souffre de pénuries de main-d'œuvre non qualifiée, alors même que leur chômage est encore de 16 %. En définitive, l'impôt négatif risque de déséquilibrer durablement le marché du travail en faveur des employeurs, alors même que ses effets supposés ne résoudraient en rien les difficultés supposées de recrutement.

Il faut que la gauche en finisse avec les tentations d'un libéralisme new look. Les stock-options pour les riches, l'impôt négatif pour les pauvres sont les facettes d'une même politique. Pour remporter la guerre contre le chômage, le gouvernement doit poursuivre une politique de croissance soutenue par la progression du pouvoir d'achat des salariés et de l'investissement. Ce qui n'exclut ni une politique de formation, ni des mesures spécifiques et coûteuses pour que les blessés de la crise retrouvent le chemin de l'emploi. Gageons qu'en ce domaine, la seule incitation financière est loin d'être à la hauteur du défi..
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