Une primaire pour la victoire


Point de vue signé par Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidien Libération daté du 12 décembre 2005


 
La proposition de mettre en place une « primaire » pour la désignation d'un candidat(e) à l'élection présidentielle ­ qu'il ne faut pas confondre avec l'investiture donnée par un parti ­ n'est pas une futilité de circonstances. Au contraire, ce nouveau mode de sélection impliquant une large partie du corps électoral par-delà les seuls militants ­ après que chacun des partis concernés eut accompli le choix de son compétiteur(rice) ­ pourrait devenir un outil puissant et novateur de rassemblement de la gauche dans une phase dangereuse de notre histoire.

Dangereuse parce que notre république se voit confrontée au défi majeur de l'échec de l'intégration des populations issues de l'immigration, échec dont nul ne doit sous-estimer le potentiel de désintégration de notre pacte citoyen. Dangereuse parce que dans un contexte de crise sociale grave qu'elle a elle-même créée, la droite, renouant avec les pires travers de son histoire, s'efforce, pour assurer son salut, d'instrumentaliser cet échec et la problématique de l'immigration pour réaliser sa jonction idéologique avec l'extrême droite. De cette collusion recherchée, notre république ne sortirait pas indemne.

Ignorer la dangerosité de la situation, c'est se voiler la face. Rien ne serait pire, dans ces conditions, que la division de la gauche face au danger potentiel qui menace les fondements politiques de l'humanisme.

En faisant cette proposition de primaire le 29 mai, dès la proclamation des résultats du référendum, j'ignorais à quel point la pente allait devenir périlleuse. Mais il existait déjà de bonnes raisons d'y penser sérieusement.

D'abord, l'échec du 21 avril 2002, qui, sonnant le glas de la gauche plurielle et de la prédominance incontestée du PS comme rassembleur du second tour dans ce scrutin décisif, ouvrait de facto, une potentialité de dislocation dans laquelle se sont réinstallées les tentations récurrentes d'une partie de la gauche d'échapper aux forces gravitationnelles qui l'ont structurée depuis près de trente ans. Qu'il s'agisse de constituer un « grand parti de gauche » sur la gauche du PS ou de rêver à nouveau d'une hypothétique alliance du centre gauche et du centre droit.

Ensuite l'inversion « sèche » du calendrier qui transforme, de facto, le premier tour de la présidentielle en «primaire par défaut» de la gauche, avec tous les risques que cela représente dans le dispositif institutionnel actuel. Pour exister aux législatives, il faut concourir à la présidentielle. Mais il le faut aussi pour simplement perdurer quand on ne peut accéder au Parlement. Certes, les législatives sont à deux tours, et le premier de ces deux tours pourrait jouer le rôle d'indicateur du rapport de force en application simple du seul principe de désistement républicain. Sauf que, en l'absence de proportionnelle et sans accord préalable sur les investitures, certaines formations pourtant essentielles à la constitution d'une majorité de gauche se trouveront éliminées de facto. Si l'on ajoute à ces considérations celles qui relèvent des modalités de financement public des partis politiques, on mesure toute la nocivité d'une réforme inopinée et inachevée.

Enfin, le référendum sur l'Europe. Quel qu'en soit le résultat, il ne pouvait déboucher, compte tenu de la diversité des positions adoptées par les différents partis, syndicats et mouvements, que sur une fracture de l'électorat de gauche. Fracture sérieuse, compte tenu de l'importance du sujet, de l'intensité de la campagne et de l'ampleur de la participation.

D'où l'idée que pour échapper à la somme de tous ces handicaps, il fallait créer les conditions d'une sortie par le haut. C'est-à-dire proposer une véritable primaire susceptible de devenir l'outil démocratique d'une nouvelle dynamique de rassemblement, ce nécessaire rassemblement sans lequel la gauche reste condamnée aux comptabilités mesquines, aux supputations infinies ou aux rages impuissantes. De surcroît, une telle démarche ne pourrait que contribuer à réduire l'inquiétante distance qui s'est créée entre les citoyens et la politique, en constituant pour eux un moyen concret de réappropriation de la vie publique en phase avec l'aspiration proclamée à la démocratie participative. Et sa capacité d'impulsion pour le candidat(e) sélectionné(e) serait considérable.

Mais une telle démarche ne prend tout son sens, ne déploie toute sa potentialité que si elle repose sur l'élaboration concomitante d'une nouvelle plate-forme programmatique capable d'offrir une véritable alternative au modèle néoconservateur anglo-saxon que l'on tente de nous imposer au nom de la mondialisation libérale. Plate-forme qui, en toute hypothèse sera indispensable à un moment ou à un autre, mais qui n'aurait pas beaucoup de crédibilité élaborée à la sauvette entre les deux tours des législatives en cas d'échec à la présidentielle et encore moins en cas de succès. C'est pourquoi mieux vaudrait ne pas attendre et s'inscrire dans cette démarche le plus rapidement possible. Car s'il est légitime que chaque organisation veuille établir son propre programme pour préserver sa spécificité, il n'est pas certain que cela soit vécu positivement par nos concitoyens qui payent durement le prix de la politique actuelle et manquent cruellement d'espérance.

Certes, les obstacles ne manquent pas, qu'il s'agisse de l'absence de précédent, des divisions inhérentes à notre histoire, des ambitions légitimes de chaque organisation, des prérogatives des militants, de la «charte d'Amiens», et bien d'autres encore. Mais que l'on veuille bien réfléchir au sort qui attend toutes ces légitimes motivations si la gauche devait connaître un deuxième séisme. Que l'on mesure bien, avant de se cabrer devant l'effort de dépassement demandé à tous, les risques politiques d'une nouvelle défaite. Que l'on pense surtout au prix qu'aurait à payer le peuple de gauche, le peuple de France et notre république.

Au Mans, le Parti socialiste ne s'est pas prononcé sur une telle démarche. A ce stade, ces propos n'engagent donc que leur auteur. Mais j'ai la faiblesse de croire que je ne suis pas seul à croire chaque jour davantage à cette possibilité et à la vouloir. Pas seul non plus à savoir, que par-delà le poids des intérêts strictement partisans, une négociation globale sur l'ensemble des questions posées serait préférable à la course d'obstacles dans laquelle la gauche est en train de s'engager faute d'audace et de véritable ambition.
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