Ne pas mélanger Ushuaïa avec la Constitution



Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 28 février 2005
Propos recueillis par Vianney Aubert


 

Que voterez-vous sur le traité européen et la charte de l'environnement ?
Sur l'Europe, les 58 députés et sénateurs socialistes du camp du non ont choisi l'abstention mais personne ne fait mystère que son abstention est liée à son opposition au traité constitutionnel. Quant à la charte de l'environnement, il y a eu débat, mais la majorité du groupe socialiste y est hostile. Nous déciderons ce matin de l'attitude à adopter mais, au mieux, nous déciderons de nous abstenir, et sinon de voter contre. Du moins, je l'espère. Car ne pas participer au vote, comme je l'entends dire, serait en réalité voter pour, compte tenu du mode de comptabilisation des votes.

Les fabiusiens penchent pour un vote pour la charte afin de ne pas mécontenter l'électorat écologiste. Ne craignez-vous pas que votre attitude soit mal comprise ?
Il ne faut pas sous-estimer l'opinion. Elle sait très bien que la majorité actuelle ne s'est guère souciée de l'environnement, que c'est une charte de circonstance. C'est une façon médiatique de faire de la politique comme en témoigne la façon dont s'est passée la convocation du Congrès. On a appris l'avancée de quinze jours du Congrès en pleine séance parlementaire par une dépêche de l'Agence France-Presse, et on a ajouté la charte de l'environnement sans crier gare. Même Jean-Louis Debré n'en avait pas été informé. Ce sont des méthodes de hussard qui dénotent une certaine fébrilité. C'est également avec M. Chirac une habitude qui veut que la fin justifie les moyens.

Votre opposition à la charte n'est-elle pas de pure forme ?
Il ne faut pas confondre l'opposition systématique avec l'opposition résolue qui consiste à ne rien laisser passer. Sur l'Irak, nous ne nous sommes pas opposés. Nous étions d'accord avec le président de la République.

Pourquoi s'opposer alors à ce texte ?
On ne peut pas mélanger « Ushuaïa » avec la Constitution. Constitutionnaliser le principe de précaution est la porte ouverte à tous les recours. On a déjà vu quelqu'un passer en procès car il avait laissé boire des amis chez lui. Au nom du principe de précaution, on risque d'assister à une dérive procédurière : on pourra tout condamner. Les élus et les industriels vont commencer à avoir très peur dans ce pays. Ce n'est plus le législateur qui va faire la loi mais la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il faut bannir ces textes de circonstance faits pour flatter l'opinion et non pour servir le droit.

Comment expliquer que le principe de précaution soit devenu aujourd'hui si populaire ?
Nous sommes dans une société imprégnée de culture chrétienne. Pendant des siècles, nous nous sommes réfugiés sous la protection de la divine providence. Mais, avec le recul de la foi, elle a disparu. Il faut donc trouver des responsables, et si possible des coupables, à l'insupportable, car on n'accepte plus que les choses demeurent sans explication. C'est une laïcisation de la transcendance.

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