On vole leur vote aux Français



Entretien avec Henri Emmanuelli, député des Landes, paru dans le quotidien Le Monde daté du 10 juin 2005
Propos recueillis par Isabelle Mandraud et Sylvia Zappi


 

Comment jugez-vous la réaction du gouvernement après la victoire du non ?
C'est stupéfiant. On aurait pu s'attendre à ce que le président en tire des conséquences sérieuses, comme avancer la date de l'élection présidentielle. Mais cela supposerait que M. Chirac eût de la dignité. C'est un vœu pieux.

Au lieu d'une réaction à la hauteur de ce vote exceptionnel, le président réagit en chef de clan assiégé en nommant un gouvernement composé de sa garde rapprochée : Dominique de Villepin, ancien secrétaire général de l'Elysée, à Matignon, Catherine Colonna, ancienne attachée de presse, aux affaires européennes...

Et que fait ce premier ministre qui n'est là que par le fait du prince : il annonce aux élus du suffrage universel qu'il va légiférer par ordonnances, c'est-à-dire sans eux ! Pire, le président utilise le gouvernement pour en faire le champ clos des querelles de la droite...

Quelle conclusion en tirez-vous ?
On vole aux Français leur vote. On s'assoit dessus, et c'est risqué. Personne, et surtout pas de Gaulle, n'aurait fait preuve d'un tel mépris. Je ne laisserai pas piétiner ce vote par des personnes qui essaient, de surcroît, d'en dévoyer la signification.

Vous dénoncez une crise de régime ?
C'est grave. Certes, les institutions sont exsangues, car nous n'avons pas été au bout de la réforme du quinquennat. Mais on assiste aussi à une perte de conscience inquiétante de ce que sont les principes de base d'une démocratie. La rupture est complète entre les pratiques du monde politique et les exigences minimales de la démocratie. Les Français le mesurent.

Vous critiquez aussi la réaction du PS...
Oui. La majorité du PS se trompe. Je ne comprends pas qu'elle traite le suffrage universel de cette façon. Le 21 avril 2002, c'était la même chose : on nous a expliqué qu'il ne s'était rien passé, que l'électorat avait été inconséquent. Cette fois, les mêmes ne veulent pas reconnaître leurs erreurs et nous expliquent que le peuple s'est trompé, s'est laissé aller à ses mauvais penchants, ses peurs, sa xénophobie. C'est en tout cas la thèse de François Hollande, qui estime que le vote est une " addition de peurs " .

Quant à Dominique Strauss-Kahn, il parle de " balle perdue de la colère " . Ça me rappelle Benjamin Constant, le père du libéralisme, qui, en 1815, s'opposait au suffrage universel en disant que le peuple n'était pas conscient de ses intérêts, et a fortiori de l'intérêt général ! Par ailleurs, les partisans du oui disent : " Bravo, avec le non, on a maintenant Villepin et Sarkozy. " Mais qu'aurions-nous eu si le oui l'avait emporté ? Raffarin IV ? Moi, Chirac, je ne lui ai jamais fait confiance et je n'ai pas fait campagne avec lui.

Comment envisagez-vous la suite au sein de votre parti ?
Il faudrait prendre le temps de comprendre et d'analyser ce qui s'est passé. Au lieu de cela, on s'imagine qu'on va répondre à ce qui est apparu comme une insurrection électorale tranquille par une manoeuvre d'appareil, avec un congrès vite expédié. En espérant que les trois ou quatre grosses fédérations s'exprimeront massivement comme elles ont l'habitude de le faire. Et certains pensent que tout pourra continuer comme avant.

Que voulez-vous dire ?
Depuis plusieurs années, le parti s'autoverrouille. Il me paraît de plus en plus regrettable que le poids de l'appareil place systématiquement le PS à côté des craintes et des espérances de sa base sociale. La solution à cette distorsion n'est pas de fermer les portes et les fenêtres, mais, au contraire, de les ouvrir en grand.

Comment ?
Je souhaiterais que ceux et celles qui se sont impliqués dans la campagne aient la possibilité d'être partie prenante de notre projet. La direction ne le veut pas : c'est pour cela qu'elle veut aller vite. Pour ma part, le 18 juin, je vais réunir les collectifs du non socialiste.

A cette occasion, nous lancerons un appel à tous les minoritaires du PS qui ont voté non et qui ont vocation à se rassembler pour présenter une motion commune pour le congrès et réorienter le parti sur une position europrogressiste.

Cela peut-il déboucher sur un candidat du non à l'élection présidentielle ?
J'aimerais que l'on cesse de réduire la politique française à la présidentielle. Moi, j'ai proposé une méthode : l'organisation de primaires à gauche. Tout le monde, tous les partis de gauche qui le souhaitent doivent pouvoir y participer et prendre part à la préparation d'un programme de législature et ensuite à la primaire.

Cela permettrait que le candidat ne dépende pas des jeux d'appareil et qu'il soit désigné par les électeurs de gauche. Cela aurait tout de même une autre allure qu'un Sarkozy autodésigné par sa seule ambition !

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