Courir derrière l'extrême gauche ?

Claude Estier
par Claude Estier,
président du groupe socialiste au Sénat


 Point de vue paru dans les pages " Horizons " du quotidien Le Monde daté du 25 mai 2001

 
Depuis quelques semaines, un thème répétitif est apparu dans les médias : la progression de l'extrême gauche constatée lors des élections municipales inquiéterait gravement Lionel Jospin, dont les chances à la présidentielle seraient compromises si les voies obtenues par Arlette Laguiller ne se reportaient pas sur son nom au second tour.

Dans la mesure où tout ce qui peut gêner le premier ministre est bon à prendre, plusieurs de ces médias se livrent à une véritable promotion de la responsable de Lutte ouvrière ainsi invitée à s'exprimer plus souvent qu'à son tour. Sans d'ailleurs que ceux qui l'interrogent se demandent eux-mêmes ce qu'il adviendrait de l'économie française si les dogmes qu'elle assène avec constance depuis un quart de siècle devenaient un jour réalité. Ce nouvel avatar de la pensée unique appelle pourtant plusieurs remarques.

D'abord, s'il est vrai que les listes d'extrême gauche ont marqué quelques points en mars 2001 - ce qui était déjà vrai aux dernières européennes qui ont envoyé Laguiller et Krivine au Parlement européen -, la progression n'est pas telle qu'elle bouleverse autant que certains le disent - ou le souhaitent - l'échiquier politique français.

En deuxième lieu, ce n'est pas d'aujourd'hui que Lutte ouvrière refuse officiellement de choisir entre la gauche et la droite au nom d'une prétendue pureté révolutionnaire qui, concrètement, favorise la seconde.

Le fait nouveau est qu'Alain Krivine, qui jusqu'ici savait faire la distinction, serait tenté d'adopter la même position " blanc bonnet, bonnet blanc " qui serait à mes yeux la négation du combat mené depuis si longtemps par la Ligue communiste révolutionnaire. Encore n'est-il pas certain que les électeurs, aussi bien de LO que de la LCR, ne sauraient pas choisir le moment venu ce qui serait, même pour eux, le moindre mal.

Une troisième remarque concerne plutôt le comportement actuel du Parti communiste, critique à l'égard de Lionel Jospin mais soudain bienveillant envers l'extrême gauche, qu'il vouait naguère aux gémonies. On voit bien ce que peut être l'inquiétude de Robert Hue à la lecture des sondages, qui placent Arlette Laguiller devant le candidat du PC à la présidentielle. Mais ne voit-il pas qu'en courant derrière elle, en défilant à ses ôtés - jusqu'à Londres -, il ne fait que lui apporter une caution qui profite plus à elle qu'à lui dans la mesure où des électeurs communistes protestataires peuvent y trouver - certains l'ont déjà fait - une justification rendue "respectable" par leur propre parti.

L'extrême gauche a toujours existé en France avec des hauts et des bas. Mais qui peut penser qu'elle ait la moindre chance d'accéder au pouvoir - ce qu'elle ne désire d'ailleurs pas ?

Dès lors, l'alternative est simple : ou bien la gauche plurielle, forte de sa diversité, retrouve très vite la cohérence qu'elle a su garder pendant quatre ans autour de Lionel Jospin et elle l'emportera l'an prochain grâce à sa capacité d'entraînement ; ou bien la droite reviendra au gouvernement en remettant en cause les réformes sociales réalisées depuis 1997 et qu'elle n'a jamais acceptées.

On entrerait alors dans une nouvelle période de régression, ce qui n'empêcherait pas Arlette Laguiller d'être à nouveau candidate en 2007.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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