Parti socialiste :
pour relever les défis

par Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Eric Besson, député de la Drôme, Bertrand Delanoë, maire de Paris, Claude Estier, président du groupe socialiste au Sénat, Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées, Elisabeth Guigou, députée de la Seine-Saint-Denis, Bruno le Roux, député de la Seine-Saint-Denis, Martine Lignières-Cassou, députée des Pyrénées-Atlantiques, François Rebsamen, maire de Dijon, Daniel Vaillant, député de Paris et Manuel Valls, maire d'Evry, député de l'Essonne.

Point de vue paru dans le quotidien Le Monde daté du 18 octobre 2002

Jean-Marc
Ayrault


Eric
Besson


Bertrand
Delanoë


Claude
Estier


Jean
Glavany


Elisabeth
Guigou


Bruno
Le Roux


Martine
Lignières-Cassou


François
Rebsamen


Daniel
Vaillant


Manuel
Valls





Des socialistes les Français attendent désormais à la fois de la détermination dans l'opposition au gouvernement Raffarin et de l'imagination pour dessiner les contours d'un projet de société qui leur redonne de l'espoir et suscite leur adhésion.

Mais ce double impératif ne nous exonère pas de l'analyse de notre défaite. Malgré un candidat respecté et un bilan plus qu'honorable, la gauche a subi l'un des plus sévères échecs de son histoire.
Aux causes immédiates, désunion de la gauche plurielle, manque de dynamisme de la campagne, impasse politique sur le premier tour de l'élection présidentielle, se combinent des causes profondes : des silences révélateurs sur des questions de fond que se posent nos concitoyens, un projet qui parlait peu aux couches populaires - aux salariés singulièrement -, une incapacité à tracer les lignes de force d'un grand dessein pour notre pays. Si 1997 avait révélé une sorte d'osmose entre la gauche et la société française, 2002 apparaît, après coup, comme la sanction d'une rupture entamée sans doute quelques années auparavant.

Evitons d'abord l'erreur qui nous guette à chacun de nos échecs : nous jouer la grande scène du " plus à gauche que moi, tu meurs ", quitte à puiser dans une dialectique révolutionnaire plutôt navrante.

Depuis Jaurès, le Parti socialiste a toujours porté l'idéal d'une gauche réformiste. Cessons de croire que le pouvoir nous corrompt. En un siècle, nous avons donné à la République ses plus grandes réformes sociales : il est donc temps de sortir de ce " complexe réformiste " et de veiller à répondre aux questions que pose réellement la société d'aujourd'hui.

Sans doute faut-il partir de la globalisation libérale, qui transforme peu à peu en société de marché ce qui n'était auparavant qu'économie de marché. Un nouveau capitalisme s'affirme, mondialisé et dominé par la finance, dans lequel la rémunération de l'actionnaire l'emporte sur la production et l'emploi, contribuant aux dérèglements de la situation du monde.

Qui ne voit l'accentuation des inégalités, la récurrence des crises financières, le basculement de continents entiers dans la pauvreté et la dégradation de leurs conditions sanitaires, l'aggravation des risques écologiques pour la planète... ? Le tout s'inscrivant d'ailleurs dans une instabilité grandissante du monde et une très forte poussée de l'unilatéralisme américain, que le 11 septembre 2001 ne peut expliquer à lui seul. Une autre évolution du monde est possible. Mais elle suppose de profondes réformes.

Ne nous berçons pas d'illusions. Nous ne pourrons résister à cette mondialisation libérale, contrebalancer l'influence du géant américain, que si nous parvenons à construire une Europe forte, capable à la fois de préserver les principaux acquis de son modèle social et de peser sur la scène internationale, parlant d'une seule voix, en se dotant rapidement d'une politique extérieure et même d'une défense communes. Quitte à ce que ces nouvelles fonctions soient assurées dans un premier temps par un noyau restreint de pays.

Nous assistons aussi à la dislocation de la société industrielle et du pacte social des " trente glorieuses ".

Le salariat a profondément changé. Beaucoup plus atomisé que par le passé, ce qui contribue à sa perte d'identité et de force collectives, fragilisé par une instabilité professionnelle grandissante, il a besoin d'un nouveau statut garantissant une forme de sécurité professionnelle et de nouvelles chances en cas de perte d'emploi. Cela passe, entre autres, par une refonte de notre système de formation continue.

Aujourd'hui, pour la plupart des salariés qui gagnent entre 1 000 et 2 000 euros mensuels, la perspective de progression de rémunération au cours de la vie professionnelle est d'un tiers inférieure à ce qu'elle était il y a vingt ans. Pour les salariés les moins bien payés, la frontière entre le travail et l'assistanat s'estompe et nourrit au mieux une incompréhension, au pire un rejet de nos conceptions sociales.

Il faut donc s'atteler à la fondation d'une nouvelle société du travail, dépassant notre objectif d'une société de plein-emploi, qui reste par ailleurs pertinent, mais que le gouvernement Raffarin a d'ores et déjà abandonné. Le chemin à emprunter passe par une profonde rénovation de notre démocratie sociale, un compromis historique entre l'Etat et les forces sociales, qui va bien au-delà du nécessaire, mais traditionnel, dialogue social.

L'inégalité des chances est un mal profond qui désespère nos concitoyens, au premier rang desquels les femmes, principales victimes du chômage et de la stagnation professionnelle.

L'espoir a quitté certains territoires, soit urbains parce qu'ils sont durement frappés par une certaine forme de relégation de la société, soit ruraux parce qu'ils se vident de leurs populations. Nous devons renouveler notre approche de cette ségrégation territoriale en combinant politiques d'urbanisme, de sécurité, de logement, de transport et de présence des services publics. Ces derniers, garants de la cohésion sociale et de l'égalité des chances, doivent être au cœur de notre projet. A condition qu'on leur en donne les moyens et qu'on en définisse les missions mieux qu'on ne l'a fait par le passé.

D'autre part, nous ne ferons pas l'économie d'une réflexion en profondeur sur nos institutions. Nous avons l'impérieux devoir de redéfinir les pouvoirs dans notre République, d'y restaurer le principe de responsabilité et d'élargir la participation des citoyens aux décisions publiques.

La loi " Démocratie de proximité ", élaborée par la gauche, offre des instruments utiles dans l'élaboration des décisions, garants d'une proximité accrue et d'une meilleure implication du monde associatif et citoyen dans la vie de la cité. Mais, au-delà, c'est toute notre vie publique qui doit être remodelée : non-cumul des mandats, parité, contrôle démocratique des élus, y compris au plus haut niveau de l'Etat, et, bien entendu, représentativité et rôle des assemblées.

C'est aussi dans une opposition déterminée et responsable que nous trouverons le chemin de l'avenir. En ce début d'automne, chacun peut mesurer les priorités du gouvernement Raffarin : priorité à la défense et aux prisons plutôt qu'à l'éducation, aux 39 heures plutôt qu'aux 35, aux plus fortunés plutôt qu'aux bas salaires. La liste est longue. Face à cette politique, notre ambition est de remettre la gauche debout autour d'un projet et d'une stratégie politiques.

Rien ne sera possible sans la construction de nouvelles relations avec le mouvement social, sans une gauche rassemblée, capable d'allier diversité, créativité et liberté, mais dans la cohérence et la confiance. Parce que nous en sommes la composante la plus importante, nous devons être le pivot de ce rassemblement, qui passera nécessairement par un accord politique, programmatique et électoral, condition d'une future coalition de gouvernement.

Le congrès des socialistes du printemps prochain devra être le congrès de la clarté. Nous devons passer d'une forme de conformisme à une phase féconde d'élaboration collective. Nous devons faire de vrais choix et tracer des orientations conformes à notre idéal d'un humanisme contemporain et populaire.

Réduire la question de notre identité à un duel entre "social-libéralisme" et "social-gauchisme" relève d'un manichéisme révolu et inopérant. L'exigence est de retrouver notre cohérence, sans préjugés ni tabous. Cela suppose de sortir des fausses synthèses, des rafistolages et des replâtrages de façade. Faisons vivre le débat, ne craignons pas la confrontation d'idées et sortons de la logique des courants d'hier qui ne correspondent plus aux questions d'aujourd'hui. Rénovons en profondeur le fonctionnement du PS à l'heure où les militants sont en attente d'une démocratie interne renouvelée et d'une organisation plus ouverte, redonnant à notre famille sa dimension populaire et progressiste.

Déjà, certains sont tentés de s'inscrire dans une pure logique de pouvoir en mettant en cause les personnes, avant que n'ait eu lieu un véritable débat avec tous les militants. Ce n'est pas notre conception de la démocratie, et ceux qui s'y emploient ne renforcent ni le PS ni la gauche. Il n'est pas bon de remettre en cause ce qui nous rassemble.

Pour relever les défis qui nous attendent, nous estimons nécessaire de répondre à l'appel de François Hollande, pour rassembler sur des orientations claires, ancrées à gauche, toutes celles et tous ceux qui entendent conjuguer au présent et au futur un socialisme ambitieux et créatif.

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