Chirac : Un expert dans l'art de l'amnésie

Laurent Fabius

Entretien avec Laurent Fabius, député de Seine-Maritime, paru dans Le Parisien daté du 2 avril 2004.
Propos recueillis par Philippe Martinat
 

Le président a-t-il, comme il l'assure, entendu le message des Français ?
Je n'en suis pas convaincu. L'expression qui revenait le plus souvent dans sa bouche, c'est « il faut, il faut, il faut » ou encore « ce n'est pas acceptable ». Chez moi, en Normandie, on dit : « Grand diseux, petit faiseux. » Il y a chez Jacques Chirac une sorte de dédoublement de responsabilité, comme s'il venait d'arriver au pouvoir. Or cela fait des années qu'il est là : c'est lui qui porte la responsabilité essentielle de la situation actuelle. Le président est devenu un expert dans l'art de l'amnésie.

Les socialistes partageraient la responsabilité de l'aggravation des déficits publics...
C'est faux. Lorsque nous étions aux responsabilités - et notamment quand j'étais aux Finances -, nous avons diminué la dette publique. Celle-ci a beaucoup augmenté depuis, en particulier cette année, parce que les déficits sont devenus considérables. Chirac travestit la réalité.

Le chef de l'Etat n'a-t-il pas reculé sur plusieurs points ?
Oui, et je me disais que c'est un hommage indirect rendu à l'opposition. J'ai le souvenir des critiques véhémentes que nous avons portées à l'encontre de l'action du gouvernement, par exemple sur la modification de l'allocation spécifique de solidarité. Aujourd'hui, il semble que l'on reconnaisse enfin que c'est une injustice majeure. Sur les intermittents, Chirac oublie que son gouvernement a approuvé la convention passée : il ne peut donc se dédouaner derrière les partenaires sociaux. Sur la recherche, le propos est celui que nous avons tenu très souvent. Mais c'est bien le gouvernement qui a amputé les crédits de la recherche. Certes, Chirac recule dans le discours, mais il faudra voir comment cela se traduit dans les faits : comment seront dégagés les financements nécessaires ?

Jacques Chirac reste fidèle au credo de la baisse des impôts, comme vous-même naguère...
Cela n'a rien à voir ! Les baisses d'impôts que nous avons réalisées étaient justes car elles favorisaient plus les petits que les gros. Là, c'est l'inverse : le gouvernement ne dote pas les services publics comme il le faudrait. Il ne réussit pas à alimenter la croissance. Les baisses d'impôts qu'il opère sont très injustes et illusoires car les taxes augmentent. Chirac fait de l'équilibrisme verbal : dire que l'on va augmenter les dépenses alors qu'on se situe dans une croissance faible, que l'on va réduire le déficit et l'endettement et diminuer les impôts, c'est la vieille stratégie du Père Noël qui se transforme ensuite en Père Fouettard.

Comment avez-vous trouvé le président ?
Je l'ai trouvé globalement à l'aise dans son expression, avec quelques moments où il ne se rappelait plus la question qui venait de lui être posée quelques secondes auparavant.

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