Il serait irresponsable de baisser l'impôt

Laurent Fabius
Entretien avec Laurent Fabius, député de Seine-Maritime, paru dans le quotidien Le Monde daté du 16 septembre 2005.
Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué, Isabelle Mandraud et Sylvia Zappi


 

Malgré le succès du non au référendum, votre popularité ne décolle pas dans l'opinion...
Vous connaissez la fiabilité des sondages de moyen terme : avec eux, Edouard Balladur était président de la République ; et le oui faisait 70 % au référendum constitutionnel... L'essentiel, pour moi, est de poursuivre le chemin du rassemblement à gauche. Ce n'est pas facile, mais c'est le seul qui permette de battre la droite et de changer vraiment de politique.

Une partie de la gauche doute pourtant de votre sincérité et votre image de grand bourgeois vous dessert. Que dites-vous ?
C'est un " classique " qui a déjà beaucoup servi, et dans des cas plus illustres : Blum, Mitterrand, et d'autres. La vérité, c'est qu'on est politiquement ce qu'on a choisi. Moi, mon choix a toujours été socialiste. Quant aux interrogations sur la politique du dernier gouvernement de gauche, où je ne me souviens pas d'avoir siégé seul, il n'y a que les huîtres et les autosatisfaits qui ne bougent jamais.

Oui, j'ai évolué sur certains points parce que j'ai beaucoup réfléchi sur nos succès et sur nos échecs, parce que j'écoute les gens et que je mesure les bouleversements du contexte.

Lorsque vous étiez ministre de l'économie, vous avez baissé les impôts et refusé d'alourdir la fiscalité sur les stock-options. Là aussi vous avez changé ?
J'ai aussi, avec tout le gouvernement, baissé la TVA injuste, supprimé la part régionale de la taxe d'habitation injuste, décidé la création utile d'Areva - groupe nucléaire né de la fusion en 2001 de la Cogema, de Framatome et de CEA Industries - , préparé utilement l'euro, etc. De toutes façons, lorsque, comme aujourd'hui, notre pays croule sous l'endettement et que les services publics sont exsangues, est-il responsable de baisser l'impôt ? Je réponds : non. Quand la crise du logement est si massive, peut-on conserver les approches classiques ? Non. Quand la mondialisation libérale menace de balayer notre construction européenne, faut-il faire comme si de rien n'était ? Non.

Mes valeurs n'ont pas changé : justice, liberté, fraternité, laïcité. Je crois plus que jamais à la social-écologie. Mais il faut savoir aussi se remettre en cause. Je le fais.

Vous avez été chahuté à la Fête de L'Humanité. N'est-ce pas un mauvais signe pour le rassemblement à gauche ?
Il y avait effectivement à l'entrée un petit commando anti-unitaire, abondamment filmé. Mais ensuite le millier de participants à notre débat, jamais retransmis, ont été attentifs, fraternels, et clairement désireux du rassemblement à gauche. On ne peut pas faire ce rassemblement dans son bureau.

Avec quelles propositions du PCF et de l'extrême gauche êtes-vous d'accord ?
C'est d'abord aux socialistes à définir leur propre position. Je crois qu'il faut nous centrer sur quatre priorités, pas quarante : l'emploi et le pouvoir d'achat ; le logement ; la formation et la recherche ; les protections (sociale, sanitaire, environnementale et de sécurité publique). Il sera impérieux d'améliorer le pouvoir d'achat pour relancer la consommation, la croissance et l'emploi, donc revaloriser les salaires, et notamment les plus petits. En matière d'énergie, nous devrons économiser, diversifier massivement, donner un coup d'arrêt aux privatisations qui n'ont qu'une logique financière et peuvent porter atteinte à la sécurité. S'agissant du logement, une mesure simple sera de supprimer toute subvention publique, quel que soit le projet concerné, aux communes qui refusent de s'engager dans la construction de 20 % de logements sociaux, comme l'exige la loi. Vous verrez que cela bougera !

Au PS, vous n'êtes pas parvenu à rassembler les partisans du non pour le prochain congrès. Comment gagner le parti dans ces conditions ?
Nous avons réussi un premier rassemblement sur une motion commune avec des responsables qui historiquement n'ont pas le même cheminement : André Laignel, Jean-Luc Mélenchon, Marie-Noëlle Lienemann, Alain Vidalies, Jean-Pierre Balligand, beaucoup d'autres. Avec certaines autres motions, il y a des convergences. Ce sont les militants qui trancheront.

Pourtant, il semble que dans les fédérations le rapport de forces continue de favoriser la direction ?
Etrange conception d'annoncer les résultats avant les votes ! J'entends qu'on insiste beaucoup sur une prétendue "stabilité". Mais quelle stabilité, outre les compétitions intestines féroces, si les principaux soutiens de la ligne autoproclamée majoritaire prônent, selon les lieux où ils s'expriment, le régime parlementaire ou le régime présidentiel, le développement durable ou le tout-nucléaire, la justice fiscale ou la hausse de la TVA, le rassemblement de la gauche ou le parti unique... Le choix lors du congrès du Mans sera entre ceux qui sont plus ou moins résignés à une approche néolibérale et ceux qui pensent qu'un vrai changement est nécessaire et encore possible.

La candidate du PS a été éliminée au premier tour de la législative partielle dans le Nord. N'est-ce pas inquiétant ?
Ce n'est pas un bon signe. Le PS doit tenir un langage national ferme et ne pas laisser une pseudo-opposition au sein de la droite accaparer le débat. Il ne s'agit pas de prendre un virage irresponsable mais d'avoir une ligne de gauche claire et de s'y tenir.

La concurrence s'accentue entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy. Lequel préféreriez-vous affronter en 2007 ?
On dit que l'un pratique plus volontiers la natation et l'autre le cyclisme, ce ne sont pas des différences politiquement déterminantes. Tous deux entourent Jacques Chirac depuis dix ans. Leur compétition est factice d'une certaine façon, mais elle est aussi dangereuse car elle mène à une surenchère idéologique. Leur bilan commun, ce n'est pas celui des 100 jours mais des " 3 ans et 100 jours " : inégalités, précarité, morosité. Ce qui est à l'oeuvre, c'est une démolition systématique des bases sociales de notre pays.

Vous avez dénoncé ceux qui au PS "veulent chercher l'appoint ailleurs". Vous les accusez de préparer une alliance avec l'UDF ?
J'écoute et je lis. On ne peut séparer la ligne politique et les alliances auxquelles elle conduit. Aujourd'hui, au sein du PS, le vrai débat n'est nullement entre réformisme et radicalité mais entre une ligne de gauche, que je soutiens, revendiquant le rassemblement à gauche, et une autre, plus floue, plus libérale quoiqu'elle s'en défende. Si le PS, même sous un autre terme, choisissait la voie néolibérale, ce serait une erreur gravissime.

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