Être à la hauteur de l'attente des Français

Laurent Fabius
Intervention de Laurent Fabius, député de Seine-Maritime, lors du Conseil national du Parti socialiste du 4 juin 2005.


 
Chers camarades,

avons-nous, oui ou non, bien entendu le vote du 29 mai. Voulons-nous, oui ou non, le rassemblement du Parti socialiste ?

Ces deux questions nous sont posées aujourd’hui. Les Français nous attendent et nous devons chercher à être à la hauteur de cette attente.

D’abord pour la France.

Le nouveau gouvernement ne remplace pas le précédent, il le replâtre. Désormais, la France a deux premiers ministres, à vrai dire deux demi-premier ministre : le président du parti majoritaire est nommé ministre de la police et des élections.

On savait M. Chirac spécialiste de l’affaiblissement d’institutions à bout de souffle, désormais il les achève.

L’orientation politique prise par cette troïka de fin de règne contredit de plein fouet la volonté populaire. Là où nos concitoyens souhaitent la relance, la croissance, l’alternance et de nouvelles réponses sociales, il leur est imposé un brouet tiédasse et droitier.

La panne qui bloque la France ne sera pas réparée, ni la crise profonde affrontée.

Plus que jamais, dans ces conditions, notre tâche doit être une opposition frontale, c’est-à-dire qui ne louvoie pas, qui assume pleinement les différences entre la gauche et la droite, entre une vision sociale et une vision libérale. Là où ils sont aveugles et sourds, nous devons écouter le message populaire ; là où ils se déchirent, nous unir. Je pense que c’est cela, aujourd’hui, qu’on attend de nous.

S’agissant de l'Europe, les non décidés par les peuples français et néerlandais, écartent l’hypothèse d’une application du texte telle quelle. On nous avait dit qu’à coup sûr la France serait seule à voter non.

Quelles leçons devons-nous tirer de ce scrutin ?

La première, me semble-t-il, c’est que le non qui l’a emporté en France est largement de gauche. Il est social, il est majoritaire dans l’électorat socialiste, il est majoritairement pro-européen, d’autant plus si on y ajoute les oui de gauche.

Les ouvriers ont voté non à 80 %, les employés à 60 %, les jeunes, les couches populaires et moyennes des secteurs privés et publics. Il existe certes des différences entre zones géographiques, en particulier dans plusieurs grandes villes, où le oui socialiste a été fort, mais la tendance est là et elle est générale.

C’est la crise européenne qui a entraîné le non, plus que l’inverse. Le contexte a joué, comme dans tout scrutin, mais le vécu de l'Europe, avec ses plus de 20 millions de chômeurs et sa compétition de plus en plus farouche entre salariés et entre systèmes de protection sociale, ainsi que le texte proposé ont été également décisifs. À cet égard, je ne suis pas sûr que soit bien démocratique la thèse suggérée ici et là selon laquelle les électeurs qui ont voté non n’auraient pas compris le texte. Un débat approfondi a eu lieu, la participation a été élevée, les enjeux ont été posés, le résultat peut être interprété mais il ne peut pas être récusé.

Dans nos rangs, beaucoup, et de part et d’autres, ont effectivement très mal vécu les différences exprimées entre partisans du oui et du non.

Au lieu de nous diviser à nouveau sur cette question, je pense que notre tâche est d’essayer de comprendre, et en particulier de comprendre le point de vue de l’autre. Il était évidemment très difficile, pour les partisans du oui, d’entendre des camarades défendre le non, surtout après le vote interne, mais il était aussi très difficile, pour les partisans du non, se sentant en écho avec l’électorat populaire, traités de qualificatifs injustes et parfois même injurieux.

Plutôt que de nous séparer sur le oui ou le non, désormais tranché par le suffrage universel, il serait préférable à mon sens d’essayer de nous rassembler sur des propositions d’avenir correspondant aux souhaits de nos électeurs.

Sur le plan européen, et on y a fait bien sûr allusion, plusieurs initiatives pourraient être prises. Dans les rediscussions qui, d’une façon ou d’une autre, vont intervenir, nous inspirer en ce qui nous concerne des positions que nous avions nous-mêmes adoptées à l’unanimité il y a je crois un an en fixant notre ligne politique qui comportait une série d’exigences, sans attendre, soumettre à nos partenaires un plan de soutien économique et de solidarité. On a parlé d’un plan Marshall en direction des pays de l’élargissement afin d’aider le développement tout en luttant contre le dumping fiscal et social, et de soutenir toute la croissance européenne.

Ces initiatives concrètes, nous devrions chercher à les partager avec les socialistes européens, et notamment allemands.

Dans l’immédiat, exiger que le gouvernement français s’oppose aux directives européennes litigieuses, et que Jacques Chirac soit tenu responsable de la défense vigilante des intérêts français sur les différents dossiers qui sont aujourd’hui sur la table.

Notre Parti socialiste a, dans la période qui vient, au moins trois priorités d’action : d’abord, j’y ai fait allusion, mener une opposition frontale contre la droite. Avec 2,5 millions de chômeurs, un million d’enfants pauvres, la stagnation du pouvoir d’achat, des logements de plus en plus chers, avec une Éducation nationale et une recherche scientifique minorées, des services publics menacés, les mobilisations en France ne vont pas manquer.

Politique sociale injuste, politique éducative et culturelle inégalitaire, politique économique inefficace, politique scientifique myope, politique d’aménagement du territoire incantatoire, politique des libertés régressive, politique des institutions lamentable, politique des petits clans et des petits coups faits pour servir les privilèges et demeurer au pouvoir, au mépris de l’intérêt général et du crédit de la France, nous devrons dénoncer tout cela, et chasser l’idée fausse, au sein même de la droite qu’il existe rait une alternative. Leurs appétits sont concurrents, mais finalement leurs programmes seront convergents.

Dès maintenant, nous devons réclamer le dialogue social, refuser les régressions qui se préparent, soutenir les mobilisations légitimes avec les syndicats et les associations, et nous devons proposer.

Précisément, la deuxième priorité de notre Parti doit être l’affirmation de nos propositions et de notre projet. Celui-ci devra être enrichi substantiellement notamment parce que le 29 mai, et d’autres échéances l’avaient précédé, confirme une réalité sociale plus tranchée que celle que nous avions esquissée, proche de ce que, avec d’autres, j’ai appelé les deux France, séparées par un fossé profond avec, pour les uns, une confiance forte dans le progrès et dans l’avenir, mais pour les autres, comme seul horizon, la désespérance. Il nous faut avancer de grands objectifs aussi simples que possibles et des propositions précises.

Voici soixante-dix ans, c’était le pain, la paix et la liberté. Aujourd’hui, de tout ce que nous entendons autour de nous, c’est : un emploi, un logement, un savoir.

Voilà un socle simple d’espérances concrètes dans une société et dans une Europe qui doit à la fois protéger et progresser, où nos grands idéaux continuent de s’appeler, l’approfondissement d’une démocratie laïque est beaucoup plus vivante, la recherche de la paix, la mise en œuvre de davantage de justice et un développement vraiment durable ; objectifs et idéaux qu’une approche libérale ne permettra en aucun cas d’atteindre.

S’agissant de notre Parti socialiste, les priorités me paraissent être d’écouter bien sûr nos électeurs, d’adopter un positionne ment politique sans ambiguïté à gauche en recherchant d’abord le rassemblement du Parti socialiste, puis le rassemblement autour du Parti socialiste dans le respect de nos partenaires.

J’imagine que nous éviterons les débats artificiels. Personne ne pense que la ligne du Parti socialiste doit être déterminée ailleurs qu’au Parti socialiste.

Mais qui, sauf à envisager une alliance de revers, pourrait croire que demain nous pourrions gagner sans rassembler toute la gauche ?

Souvenons-nous de notre accablement à tous au soir du 21 avril. Il n’y aura pas de victoire sans une gauche et des Verts rassemblés. Et il n’y aura pas de gauche et des Verts rassemblés sans refus du tout-libéral. Nos élus et nos militants devront être associés de près à chaque étape de cette démarche. Voilà quelques principes simples parmi d’autres qui pourraient nous inspirer si nous voulons être à la hauteur de l’espérances car, dans le vote du 29 mai, il y avait à la fois de la désespérance et de l’espérance.

Chers camarades, je disais en commençant que deux questions principales étaient posées à notre Conseil national : celle de l’écoute et celle du rassemblement.

Dans la situation présente, je crois qu’il y a pour notre Parti une solution bonne et une autre qui ne le serait pas. Celle qui ne le serait pas consisterait, selon des procédures certainement impeccables, à nous replier sur nous-mêmes, à céder à la tentation qui existe toujours de la division. Et, même si on l’appelle autrement, au désir de régler des comptes.

L’affaiblissement, la déception, voire l’échec, risqueraient d’être au bout du chemin.

La bonne solution me paraît plutôt celle qu’attendent beaucoup d’élus, de militants, de Français qui ne supportent plus, ni la politique de la droite, ni ses dirigeants. Ils veulent une alternance et celle-ci passe nécessairement par le Parti socialiste.

Cela suppose, ayant analysé sans complaisance ce qui vient de se passer, ayant établi les tâches qui nous attendent, d’aborder ces tâches ensemble pour tracer un chemin de volonté et d’espérance. C’est, je crois, le souhait de l’immense majorité des femmes et des hommes de gauche dans notre pays, et c’est aussi le mien.

L’alternance est à notre portée. Une mauvaise orientation pourrait la menacer, une bonne orientation, au contraire, je crois, la prépare.

Mais cela exige de notre part à tous, quels qu’ai été nos votes, du courage, de l’écoute, de la sagesse et une vraie volonté d’unité.

Merci.

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