Pour répondre au désarroi,
il faudra parler précis

Intervention de Laurent Fabius, député de Seine-Maritime, lors du Conseil national du Parti socialiste du 7 octobre 2006.


 
C’est une première, non seulement pour les autres camarades qui se sont exprimés, non seulement pour celui qui vous parle, mais pour notre parti. Sauf erreur de ma part, c’est la première fois qu’il y a trois candidats en lice. Il aurait pu y en avoir davantage, cela signifie que nous devrons faire preuve collectivement d’une maîtrise particulière.

C’est une première parce que, même si ce fut le cas à une ou deux reprises dans des circonstances différentes, le Premier secrétaire de notre parti n’est pas candidat, ce qui exigera, pour des raisons évidentes, un soin particulier d’impartialité.

C’est une première parce que cette désignation coïncide avec l’adhésion dont il faut se féliciter de nombreux nouveaux militants, ce qui rend encore plus indispensable l’organisation de débats, qui ne sont pas, sauf pour ceux qui les affronteront, une épreuve, mais une nécessité démocratique et une tradition du Parti socialiste qui remonte à Jaurès, à Guesde, à Jospin et à beaucoup d’autres.

C’est une première, parce que nous engageons cette période avec un projet, voté quasiment à l’unanimité, qui, si on entend les interventions de ce matin, est commun, mais qui m’avait personnellement paru, au cours des derniers mois, dans des commentaires faits ici ou là, un peu moins commun.

Et c’est une première aussi parce que tout cela intervient dans un contexte radicalisé, où la situation du pays est mauvaise, où nous aurons vraisemblablement en face de nous un candidat principal de la droite, qui est encore plus à droite, si on peut dire, qu’une certaine tradition, et où nous aurons affaire à des défis majeurs, ce qui signifie qu’il faudra veiller à ne pas séparer le débat interne que nous avons et ce qui se passe dans la société.

Pour prendre le seul exemple de cette semaine, la privatisation de GDF trouve sa réponse dans notre projet, si on le lit bien et qu’on le respecte. Ce qui s’est passé à Airbus et qui est scandaleux d’une certaine façon, trouve aussi sa réponse dans une nouvelle orientation européenne. Le scandale lié à M. Redecker et à la façon de s’attaquer à lui trouve aussi sa réponse dans notre projet et une défense stricte de la laïcité.

Je pourrais dire tout simplement, mais ce serait trop court, que ma candidature, elle est totalement en ligne avec le projet socialiste, que c’est non seulement comme on l’a défini d’une façon trop courte, une candidature du pouvoir d’achat, mais la candidature d’un homme qui veut défendre et améliorer le pouvoir d’achat et préparer le futur de la France.

Nous aurons affaire à plusieurs défis énormes. D’abord, tout simplement répondre au désarroi, à la précarité, à la difficulté de vivre, économique et sociale, et je suis de ceux qui pensent qu’il faudra parler précis.

Notre projet dit : 1 500 €, j’ai ajouté, personnellement : dès notre arrivée au pouvoir, 100 €, et je dis, on verra si c’est adopté par l’ensemble des compétiteurs. A la question précise : « si on vote pour vous, qu’y a-t-il comme augmentation salariale ? », si on répond : « on verr »a, la réponse de beaucoup d’électeurs le moment venu sera : « on verra ».

Je demande donc qu’on soit précis, non seulement pour ces augmentations-là, mais pour l’ensemble des salaires, pour les retraites, pour le logement, et qu’en même temps, on sache lier l’immédiate augmentation du pouvoir d’achat qui ne devra pas être en monnaie de singe, qui devra durer, et la préparation d’un nouvel élan qui passe, je crois que tout le monde le reconnaît maintenant, par l’éducation, par la recherche, par l’innovation, encore faut-il, là aussi, être précis, je l’ai été, je le serai à nouveau, c’est le premier défi.

Le deuxième, on y a fait allusion, et là-dessus, je trouve, je le dis, le projet est un peu court, c’est l’allongement de la durée de la vie, avec toutes les conséquences que cela comporte, qui ne vaut pas simplement en France, qui vaut dans toute l’Europe, et d’ailleurs dans le monde entier. Ca va changer beaucoup de choses, non seulement pour la retraite bien sûr, mais aussi pour l’organisation de la société et pour beaucoup d’autres aspects.

Le troisième défi, que je ne veux pas appeler environnemental parce qu’il laisse entendre que l’environnement, ce serait la périphérie alors qu’il est central, est celui de l’écologie. Là-dessus, reconnaissons que le Parti socialiste, longtemps, a un peu traîné les pieds, que certains présents dans cette salle dont je suis aussi, ont avancé sur ce terrain, et qu’aujourd’hui, il est criant que c’est un aspect central qui devra innerver la totalité non seulement de notre projet général, mais de nos propositions. Et c’est peut-être le domaine où il est le plus clair que le libéralisme ne peut rien fournir comme réponse, et qu’en revanche, le socialisme a de vraies réponses à fournir.

Puis, il y a le défi républicain, qu’il s’agisse de l’intégration, qu’il s’agisse de la sécurité, qu’il s’agisse de la démocratie sociale, de la démocratie culturelle, de la laïcité, et d’abord d’une République parlementaire nouvelle. Le projet socialiste a fait un choix, et je m’inscris dans ce choix, je dis même concrètement que c’est à l’automne 2007 que les citoyens devront être saisis par référendum, non pas après un vaste débat entre spécialistes qui déterminera quelle est notre position. Ma position est claire, ce sera une République parlementaire nouvelle. Et l’une des premières conséquences de cette république parlementaire nouvelle, parce que le problème posé est celui de la responsabilité politique, c’est que le nouveau Premier ministre qui sera nommé devra, chaque année, présenter son programme et le compte-rendu d’exécution de ce programme pour un vote devant l’Assemblée nationale. Là, cela commence à être de la responsabilité politique.

Enfin, le dernier défi, plusieurs y ont fait allusion en des termes fort justes, c’est toute la question de la France et de l’Europe face à la mondialisation financière, avec les réorientations indispensables, avec la relance européenne. Le Président de la République ne sera pas le seul à opérer cette relance, il faudra compter avec le gouvernement, compter arec le Parlement, compter avec les syndicats, compter avec les forces sociales. Il faudra tenir compte des votes qui ont été émis, il faudra aussi savoir dépasser. Mais le Président de la République sera en première ligne, et il n’aura pas à attendre, ce sera juin, avec le premier sommet sous présidence allemande, et ce sera le deuxième semestre 2008 où il a été confié à la France le soin d’avancer sur la renégociation.

Voilà l’ordre du jour. Il y a entre nous, évidemment, beaucoup de convergences, mais il y a aussi des différences et des désaccords. J’en ai noté quelques-uns au cours de ces semaines, nous sommes tous pour la régionalisation et pour la décentralisation, mais je l’affirme clairement, il faut qu’il y ait un rôle essentiel de l’État, et je ne suis pas personnellement pour la régionalisation ni des prisons ni de la politique d’immigration, ni des universités, il faudra en débattre.

La question de la mixité sociale est posée. Elle est complexe, elle n’est pas simplement scolaire, elle est d’abord dans l’urbanisme, mais là aussi, il y a des différences d’approches ou des quiproquos, dans ce cas-là, qu’on les lève. Puis, il y a la question des primo délinquants, question très difficile, comment on traite cela. On l’a entendu, des propositions, on les a rejetées, elles reviennent. Mettons-nous d’accord. Puis il y a la question institutionnelle. J’ai le sentiment qu’un certain nombre de compétiteurs restent encore sur un régime présidentiel, semi-présidentiel, je suis pour une République parlementaire. Puis il y a la question du rôle des citoyens, du rôle des responsables, du rôle des partis, du rôle par rapport à l’opinion. Tout cela doit être traité. Nous avons une période de débats. Il ne faudrait pas qu’il y ait la période qui vient de s’écouler où on a entendu une série de choses, qu’il y ait la période des débats, ou comme les militants vont voter, à ce moment-là, on sort le petit livre rose du Parti socialiste, du projet socialiste, et on le répète. Puis, une fois la désignation opérée, qu’on reparte dans la première phase. La première rénovation de la politique, c’est de dire la même chose quand on est loin des militants ou quand on est près des militants.

Je vais ajouter, pour terminer, deux notations. D’abord, la question de la stratégie politique. Ne raidissons pas la diversité de nos choix, mais plusieurs camarades y ont fait allusion. Nous allons avoir en face de nous Nicolas Sarkozy, lui-même court après l’extrême droite. Il ne faut pas que nous-mêmes courions après Nicolas Sarkozy.

Il y a deux stratégies possibles. Certains disent ou pensent : comme c’est Sarkozy en face de nous et que la gauche ne peut pas voter pour lui, pas besoin de s’occuper de la gauche, occupons-nous davantage de l’image.

Si nous faisons cela, je pense que la réussite ne sera pas au rendez-vous. Il faut que nous menions campagne sur nos thèmes. Bien évidemment, il faut répondre sur la totalité des thèmes, mais nos thèmes s’appellent d’abord le social, l’économique, la République, l’écologie, et c’est sur ces thèmes que l’on pourra gagner car ce sont ces thèmes qui font profondément écho non pas à ce que Jaurès appelait les huées fanatiques, mais à la réalité de ce qu’est le peuple et de ce qu’est la gauche.

Le dernier point, c’est pour dire que, dans cette salle, beaucoup ont déjà pris position, pas tous en ma faveur, mais ça n’empêche pas les liens d’amitié et d’estime et de respect, et même d’affection. D’autres n’ont pas encore pris position, et ils s’interrogent en disant : la ligne politique, on voit bien, pencherait du côté de notre cœur.

Mais nous ne voulons pas je ne sais quel embrigadement, enrégimentement. Il ne s’agit pas d’un congrès, il ne s’agit pas d’un vote de motion. Il s’agit d’une décision qui est à la fois la plus collective et la plus individuelle. Il n’y a pas plus collectif que le choix que nous allons faire, parce qu’il s’agit de choisir le Président ou Présidente de la République française, et en même temps, celui ou celle qui va mener le combat en notre nom. En même temps, il n’y a rien de plus personnel, parce que c’est quelque chose qui est difficile, et qui parfois coûte de se lancer dans la mêlée et de savoir qu’on va fendre l’armure.

Alors, la question vous est posée, il faut que vous tranchiez, non pas en fonction de tel ou tel cheminement, mais en fonction de ce qui est votre intime conviction.

Vous allez probablement choisir, non pas seulement notre candidat, mais la personne qui sera le prochain Président de la République. Je veux vous dire tout simplement que je ferai tout ce qui est en mon possible pour être digne de votre choix. Merci.

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