Je revendique une gauche décomplexée

Entretien avec Laurent Fabius, député de Seine-Maritime, paru dans l'hebdomadaire Lyon Capitale daté du 31 octobre 2006
Propos recueillis par Philippe Chaslot


 

Ségolène Royal semble toujours la favorite et Dominique Strauss-Kahn son challenger. Croyez-vous toujours pouvoir vous imposer ?
Bien sûr ! Est en train de se former autour de ma candidature un vaste rassemblement de militants de sensibilités diverses qui souhaitent que notre candidat défende vraiment le projet socialiste et s’engage pour une alternative politique claire à la mondialisation libérale en tirant toutes les leçons de l’expérience. Les débats commencent à briser le bruit médiatique et l’enfumage sondagier. La gauche, c’est la liberté de penser, pas le bourrage de crâne ! Un an avant l’élection de 1981, François Mitterrand - j’étais alors son jeune collaborateur - n’était pas en tête dans les enquêtes d’opinion. Mais il a tenu bon et défendu ses convictions. J’en fais de même et j’ai bon espoir de gagner.

Vous avez été le plus pugnace lors du dernier débat. Très Mitterrandien. Mais vous semblez incarner un Président “ à l’ancienne ”, alors que Royal et DSK semblent plus “ modernes ”...
N’est-ce pas plutôt l’inverse ? Elire un président, c’est choisir une personnalité, mais c’est avant tout vouloir un projet politique.Or, le projet que je défends est le seul à dire pourquoi et comment relever les défis du futur, défi écologique, celui de l’éducation, celui de l’allongement de la durée de la vie, celui de la relance et de la réorientation européenne. Si je suis élu, je proposerai une République parlementaire nouvelle. Mes deux camarades ont une vision nettement plus présidentialiste. Même relooké « moderne », un monarque à l’Elysée reste un monarque... A mes yeux, le Président doit cesser d’être le dirigeant irresponsable qu’il est aujourd’hui, exprimer le long terme, défendre les valeurs républicaines, ne pas court-circuiter le Parlement et le Premier ministre. Il doit savoir anticiper, résister, connaître et aimer la France et les Français. C’est mon cas. Et c’est tout à fait moderne.

Peut on dire que Royal, c’est la participation, DSK la négociation et vous la loi ?
Ce serait une caricature ! Je crois à la démocratie participative, à condition qu’elle soit au service des citoyens et pas une simple opération de communication. Je crois aussi au contrat - je l’ai d’ailleurs souvent pratiqué dans les fonctions que j’ai occupées. Mais par expérience, je sais que la loi peut protéger et l’absence de loi asservir. C’est une vision superficielle de la société de penser que, parce qu’on va asseoir les syndicats et le Medef face à face, les salaires vont augmenter comme par enchantement. S’il n’y a pas un gouvernement de gauche qui avance des objectifs et utilise les instruments à sa disposition, rien de positif ne se passera pour les salariés, ni pour les petits entrepreneurs d’ailleurs. Avec la mondialisation financière et une société minée par la précarité, plus que jamais l’impulsion et le cap doivent venir du politique !

À plusieurs reprises, vous avez accusé Ségolène Royal de " faire le lit de l’extrême-droite ". La trouvez-vous dangereuse ?
Nous sommes tous membres du PS et je veille à ne pas attaquer mes compétiteurs. Plutôt que de chercher à développer un contre-projet au moyen d’un concours Lépine des idées choc, parfois peu réalistes, parfois inefficaces, pour moi l’idée la plus nouvelle, c’est d’appliquer le projet socialiste qui seul peut rassembler la gauche, rassemblement qui conditionne la victoire. Les militants n’ont pas voté pour une copie du programme de Tony Blair... Et quand ces idées ont été présentées au congrès du PS, elles ont fait 2 % !

Les idées de Ségolène Royal sur les camps militaires ou les jurys populaires marquent-elles un point de rupture par rapport aux valeurs de gauche ?
Je doute que ces positions permettent de rassembler la gauche. Ne relèvent-elles pas surtout d’une stratégie de communication ? Il s’agit, après un sondage et avant un débat télévisé, de rendre publique une idée pour susciter une controverse dans l’opinion. Si ça accroche on continue, si ça décroche on fait marche arrière et on change de thème. L’encadrement militaire des primo-délinquants devient un encadrement humanitaire. Vous croyez que l’armée a les moyens d’encadrer 48 000 jeunes ! Quant au Conseil des ministres, si vous le rendez public, vous en faites une scène médiatique, c’est-à-dire le contraire de ce qu’il doit être : un lieu de travail et de délibération.

Ségolène Royal a l’argument d’être une femme...
C’est incontestable ! Je suis à 100 % pour que les femmes aient un rôle beaucoup plus important notamment en politique et je crois être le seul à avoir proposé que le gouvernement soit strictement égalitaire entre les femmes et les hommes. Mais je ne crois pas que l’on détermine son vote uniquement en fonction du sexe.

En quoi êtes-vous meilleur pour battre Nicolas Sarkozy, lui aussi très fort pour susciter le débat ?
Je le battrai en me situant sur les terrains concrets de préoccupation de l’électorat populaire et des couches moyennes : le pouvoir d’achat, le logement, l’éducation, la santé, les services publics - dont la sécurité fait partie. En répondant aussi aux grands problèmes qui sont devant nous.

Sous Jospin, vous étiez perçu comme un Tony Blair français. Comment croire à votre revirement antilibéral ?
Après le séisme du 21 avril 2002, après Le Pen au 2ème tour de la présidentielle, après les bouleversements de la mondialisation financière, après les gravissimes menaces écologiques, si vous n’adaptez pas votre logiciel, c’est que vous vivez sur la planète Mars ! Je garde les valeurs qui ont toujours été les miennes, mais sur certaines solutions, j’ai évolué, je l’assume, et je ne crois pas un instant qu’on puisse arriver à redonner une perspective de progrès avec une vision tiède de la gauche. Le discours de gauche est régulièrement dénigré comme étant « archa ïque », comme si les valeurs de gauche étaient d’un autre temps. Des mesures rétrogrades deviennent des « remises en cause courageuses » ! Et bien, moi, j’appelle un chat un chat. Je revendique une gauche décomplexée.

On a le sentiment que des passerelles se créent entre vous et DSK. Y aura-t-il un accord de désistement ?
J’apprécie ses qualités, mais il y a aussi des points de divergences. Je pense que la gauche doit porter un changement plus important que la « social-démocratie » à l’ancienne. Quelle est la réponse social-démocrate à la mondialisation ? La transformation ou la résignation. A ce stade du débat, on ne sait pas vraiment.

Alors que les Allemands ont décidé de passer l’âge de la retraite de 65 à 67 ans, le PS veut la maintenir à 60 ans. N’est-ce pas irresponsable ?
Ce droit doit être maintenu, mais le système actuel n’est pas financé et il est injuste. La loi Fillon aboutit à des pensions trop faibles, en particulier pour les femmes qui ont accompli des carrières courtes. Il faudra trouver de nouvelles recettes, tenir compte de la pénibilité et fixer une retraite minimum. Tout cela demandera une vaste négociation. Nous devrons ouvrir cette discussion rapidement.

Des entreprises chinoises rachètent des pans de notre industrie, comme Rhodia à Lyon. Faut-il s’inquiéter du développement de la Chine, ou se réjouir de le voir sortir du tiers-monde ?
Les deux ! Mais le problème, c’est l’absurdité de la politique européenne de concurrence. Et la faiblesse de notre politique commerciale, industrielle, monétaire et de recherche. Lorsque les États-Unis n’ont pas voulu que les chinois achètent une de leur société pétrolière, ils l’ont empêché. Lorsqu’ils souhaitent être offensifs, ils le sont. En Europe, on tergiverse. Je veux que l’Europe propose une autre perspective de développement où l’humain passe avant le marché. Je veux que l’Europe soit généreuse et ouverte, je ne veux pas qu’elle soit offerte.

Si vous étiez Président, à quel pays réserveriez vous votre première visite officielle ?
L’Allemagne d’abord, pour la relance de l’Europe. Et ensuite l’Afrique noire, parce que la question du développement est une question majeure et qu’il faudra en finir avec ce qu’on appelle la “France-Afrique”. Je connais bien les africains et je les aime. La France doit être à l’avant-garde pour les aider à développer leurs projets et leur continent.

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