Pourquoi il faut dire non à la Constitution européenne

Laurent Fabius



Point de vue signé par Laurent Fabius, député de Seine-Maritime, paru dans le quotidien Libération daté du 23 novembre 2004


Préambule
S'inspirant des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'Etat de droit (...) Persuadés que les peuples d'Europe, tout en restant fiers de leur identité et de leur histoire nationale, sont résolus à dépasser leurs anciennes divisions et, unis d'une manière sans cesse plus étroite, à forger leur destin commun (...).

 
Passage très général, bien sûr. Sa principale nouveauté est la mention des héritages « religieux », avec une tentative de compromis entre les camps laïc et clérical. La suite du texte ajoute deux références à la religion : l'article I-52 institutionnalise « un dialogue régulier » entre l'Union et les Eglises, qui se voient placées au cœur de la vie démocratique de l'Union, au même titre que les partenaires sociaux. L'article II-70, lui, garantit à chacun la liberté de «manifester sa religion, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques». Cette rédaction pourrait exposer la France à des recours devant la Cour de justice des communautés européennes concernant la loi sur les signes religieux à l'école.

D'une façon générale, si la religion est mentionnée à trois reprises dans la Constitution, la laïcité ne l'est jamais. Dans un contexte où M. Buttiglione prononce les déclarations que l'on sait aux côtés de M. Barroso, et où M. Sarkozy propose la modification de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat, on comprend la préoccupation de tous les défenseurs de la laïcité.

Article I-3 : les objectifs de l'Union
L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée.
L'Union œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. (...)
Elle combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociale, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant. (...)

 
Cet article juxtapose des objectifs qui n'ont pas grand-chose en commun, comme la stabilité des prix et les droits de l'enfant. Ils peuvent même devenir antagonistes dans leur mise en œuvre : entre la concurrence libre et non faussée et le développement durable ; entre l'économie sociale de marché et la recherche d'une haute compétitivité. La troisième partie du texte donne la clef : ce qui renforce la concurrence et le marché est célébré ; ce qui concerne la solidarité et la croissance est minoré. Les expressions «économie sociale de marché» et «plein emploi» apparaissent une seule fois dans le texte, 27 fois la « concurrence » et 78 fois le « marché ». Pour « attirer » l'électeur social-démocrate, on lui concède des objectifs sociaux, mais quand il s'agit des politiques concrètes, le libéralisme est gravé dans le marbre.

Article I-20 : le Parlement européen
Le Parlement européen exerce, conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonctions de contrôle politique et consultatives conformément aux conditions prévues par la Constitution. Il élit le président de la Commission (...).

 
L'extension du domaine de la «codécision », qui requiert l'accord du Conseil des ministres et du Parlement européen, renforce le rôle du Parlement et c'est une bonne chose. Mais, sur trois points clés, l'avancée reste faible. Le Parlement n'aura toujours pas l'initiative des lois, monopole de la Commission : c'est un comble pour un Parlement ! Dans le domaine budgétaire, il ne se voit attribuer qu'un pouvoir d'amendement, sans droit au dernier mot. Enfin, s'il procède à l'élection du président de la Commission, c'est sur la base d'une proposition du Conseil européen (I-27), en tenant compte des résultats des élections au Parlement, ce qui est déjà le cas. C'est bien le moins.

Article I-25 : la majorité qualifiée
La majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d'entre eux et représentant des Etats membres réunissant au moins 65 % de la population de l'Union. Une minorité de blocage doit inclure au moins quatre membres du Conseil (...) Lorsque le Conseil ne statue pas sur proposition de la Commission ou du ministre des Affaires étrangères de l'Union, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 72 % des membres du Conseil, représentant des Etats membres réunissant au moins 65 % de la population de l'Union. (...)

 
L'influence d'un Etat au Conseil dépendra plus directement qu'avant de son poids démographique. Cette règle simplifie les situations et il ne sera pas nécessaire de la revoir à chaque élargissement, mais il faut avoir à l'esprit que :
     En fonction de ce critère, si la Turquie entre dans l'Union, elle sera le pays le plus influent au Conseil.
     La Conférence intergouvernementale a relevé les seuils de majorité qualifiée par rapport à ce qu'avait prévu la Convention. Cela rendra d'autant plus difficile l'émergence de majorités.
     Le projet étend insuffisamment le domaine des politiques décidées à la majorité qualifiée et non à l'unanimité. C'est un gros handicap. Pour le social et le fiscal, l'unanimité reste la règle. Le Parti socialiste avait explicitement demandé l'inverse. A 25 pays, bientôt à 30, c'est un vrai risque d'impuissance et de concurrence par le bas.
     Ces dispositions ne prendront effet que le 1er novembre 2009 (protocole annexe 34). Argument supplémentaire en faveur d'une renégociation.

Article I-28 :
le ministre des Affaires étrangères de l'Union
Le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, avec l'accord du président de la Commission, nomme le ministre des Affaires étrangères de l'Union. (...) Le ministre des Affaires étrangères de l'Union conduit la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union. (...) Il agit de même pour la politique de sécurité et de défense commune. Le ministre des Affaires étrangères de l'Union préside le conseil des affaires étrangères. Il est l'un des vice-présidents de la Commission. (...)

 
La création d'un ministre des Affaires étrangères de l'Union doit être approuvée mais la pratique a toutes chances de décevoir, puisque, là aussi, ce qui touche à la diplomatie et à la défense se décidera à l'unanimité. Concrètement, le nouveau ministre risque d'être « Monsieur plus petit dénominateur commun ». Quand on connaît l'inclination proaméricaine des Britanniques et de plusieurs autres, l'unanimité ne permettra pas à l'Europe de prendre des positions fortes. Le PS avait demandé que la majorité qualifiée devienne la règle pour la politique étrangère et de sécurité commune. C'est nécessaire pour permettre à l'Europe de peser sur la scène internationale. Gare à une Europe impuissance !

Article I-30 : la Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne et les banques centrales nationales (...) conduisent la politique monétaire de l'Union. (...) L'objectif principal du système européen des banques centrales est de maintenir la stabilité des prix. (...) La Banque centrale européenne (...) est indépendante dans l'exercice de ses pouvoirs et dans la gestion de ses finances. Les institutions, organes et organismes de l'Union ainsi que les gouvernements des Etats membres respectent cette indépendance.

 
Douche froide. A Maastricht, l'indépendance de la Banque centrale européenne et sa feuille de route anti-inflationniste étaient la principale condition fixée par l'Allemagne à l'adoption de la monnaie unique.

Plus de dix ans après, l'euro existe et voilà que la Constitution propose de constitutionnaliser une orthodoxie monétaire que de nombreux responsables jugent stupide. Pour la satisfaction des Etats-Unis dont la Réserve fédérale, plus souple et pragmatique, cherche à adapter le dollar aux circonstances, en fonction d'une pluralité d'objectifs : stabilité des prix, mais aussi soutien à l'activité et à l'emploi. L'actualité le démontre cruellement : alors que l'euro vaut désormais plus de 1,30 dollar, accentuant les délocalisations, pénalisant nos exportations, donc la croissance et l'emploi, la BCE ne veut pas réagir. Certains partisans du «oui» sont également conscients du danger. Ils demandent une évolution du statut de la BCE et l'introduction des critères de l'emploi et de la croissance pour guider ses interventions, mais après le vote de la Constitution. Or, ce n'est pas en disant d'abord « oui » à un texte irrévisable (voir article IV-445) que l'on obtiendra ensuite cette avancée !

Article I-41 : dispositions particulières relatives à la politique de sécurité et de défense commune
La politique de l'Union (...) respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Otan et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre. (...) Les engagements et la coopération dans ce domaine [pour répondre à une agression armée] demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Otan, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre.

 
En quelque sorte, c'est la constitutionnalisation de l'atlantisme. La politique de défense remonte à Maastricht. Si elle n'a pas connu les développements espérés, le texte de la Constitution risque de marquer un blocage. Car ce que prévoit cet article, c'est la primauté de l'Otan sur toute défense européenne autonome. Les initiatives comme celle de Saint-Malo entre Français et Britanniques étaient plus ambitieuses concernant l'autonomie de l'Union par rapport aux Etats-Unis. A l'heure où la politique américaine ne cesse d'inquiéter, l'Union s'apprête non seulement à y souscrire mais à s'y soumettre. Il est précisé que les seules initiatives possibles concernent des interventions de type « onusien » sur des théâtres extérieurs et non la défense de l'Europe à proprement parler.

Quant à la situation en cas d'attaque contre l'Europe elle-même, « l'Otan reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense et l'instance de sa mise en œuvre ». On n'avait jamais sanctuarisé aussi clairement l'atlantisme ! Nous sommes nombreux à vouloir au contraire une défense européenne forte et autonome, capable de garantir la paix et la stabilité.

Article I-44 et III-419 :
les coopérations renforcées
Les Etats membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences non exclusives de l'Union peuvent recourir aux institutions de celle-ci et exercer ces compétences en appliquant les dispositions appropriées de la Constitution (...) La décision européenne autorisant une coopération renforcée est adoptée par le Conseil en dernier ressort, lorsqu'il établit que les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l'Union dans son ensemble et à condition qu'au moins un tiers des Etats membres y participent (...).

 
Carton rouge, à cause du caractère trop restrictif de ces dispositions. La possibilité de lancer des «coopérations renforcées» est un enjeu décisif. Dans l'Europe élargie, un bon moyen de progresser sera de constituer une avant-garde, un premier cercle, de pays disposés à aller plus loin ensemble. Nous l'avions demandé à l'unanimité au moment des élections européennes  : « Dans une Europe à 25, une avant-garde de pays devra mettre en œuvre la coordination économique, la convergence sociale et l'harmonisation fiscale. » Or, dans le projet actuel de Constitution, certaines conditions de procédure sont durcies par rapport au traité de Nice. Le seuil des coopérations renforcées est relevé : il passe de 8 Etats à un tiers des membres (soit 10 pour 29 membres). Même si on les réunit, il faudra ensuite obtenir un vote de la Commission, du Parlement et du Conseil européen. Et n'importe quel Etat pourra s'opposer à cette initiative au motif que l'ensemble des Etats pourrait s'engager sur cette voie « dans un délai raisonnable » ! Enfin, toute coopération susceptible d'avoir une incidence sur le marché intérieur ou de provoquer des distorsions de concurrence serait interdite. Autant dire : impossible !

Si on est, comme moi, partisan de l'approfondissement du projet européen, si on refuse sa dilution, il faut formuler une autre proposition, plus simple et réaliste : assouplir les possibilités de coopération renforcée avec par exemple un seuil minimal de 6 Etats, et élargir les politiques concernées, si elles ne remettent pas en cause l'acquis communautaire. A défaut, l'Europe ventre mou l'emportera sur l'Europe volonté.

Article I-47 : la démocratie participative
(...) Des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins, ressortissants d'un nombre significatif d'Etats membres, peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application de la Constitution. (...)

 
Cet article s'insère dans le titre VI de la première partie consacrée à la « vie démocratique de l'Union », qui avait fait naître beaucoup d'espoir. Malheureusement, on se contente de principes généraux, et de reprendre des formulations existantes, à l'exception du droit de pétition. On donne aux citoyens la possibilité de s'adresser directement aux institutions, mais immédiatement on en limite les effets : la Commission pourra refuser de donner suite à la pétition.

Deux initiatives auraient été fécondes : un droit d'initiative législative au Parlement européen ; accroître le rôle des parlements nationaux. Or, ceux-ci ne gardent un rôle que dans le contrôle du principe de subsidiarité. Bref, autant on peut apprécier les pétitions, autant beaucoup craignent, là, qu'il ne s'agisse que d'une pétition... de principe.

Articles I-53, I-54 et I-55 : les finances de l'Union
Le budget doit être équilibré en recettes et en dépenses. Le budget de l'Union est intégralement financé par des ressources propres, sans préjudice des autres recettes. Une loi européenne du Conseil fixe les dispositions applicables au système des ressources propres de l'Union.
(...) Le Conseil statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen. Une loi européenne du Conseil fixe le cadre financier pluriannuel. Il statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent.

 
Ni emprunt européen possible, ni déficit admis, et toutes les décisions financières doivent être prises à l'unanimité : le verrouillage du budget est complet. De même pour les fonds structurels ­ « le cadre financier pluriannuel » ­, également décidés à l'unanimité. Ce verrou privera l'Union de ressources propres et donnera à chaque Etat le pouvoir de bloquer les recettes et les dépenses. Or, le budget de l'Europe dépasse à peine 100 milliards d'euros, c'est-à-dire presque trois fois moins que le budget de la France. Pour ceux qui souhaitent une stratégie européenne ambitieuse et innovante, la déception est grande. Nous avions réclamé que l'Union « dispose d'un budget suffisant et d'un impôt, pouvant recourir à l'emprunt pour financer des grands travaux d'intérêt européen, la recherche, l'innovation et garantir la cohésion sociale et territoriale ». L'Europe, avec ce texte, n'aura pas les moyens de financer ce qui engage son avenir et permettrait sa cohésion interne. La croissance, l'emploi et l'innovation en feront les frais.
Alors que l'Europe et ses besoins s'élargissent, notre Union s'appauvrit. C'est un peu une Union au rabais que l'on nous propose de constitutionnaliser.

Article III-122 et III-166: les services publics
(...) Eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général (...), l'Union et les Etats membres (...) veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d'accomplir leurs missions. (...)
Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal, sont soumises aux dispositions de la concurrence dans la mesure où l'application de ces dispositions ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union.

 
Les services publics sont au cœur du lien social et de la cohésion territoriale. Ils sont menacés en France à la fois par la politique gouvernementale et par certaines décisions européennes.

Malheureusement, ils ne sont pas au centre du texte constitutionnel. Ils sont rebaptisés « services d'intérêt économique général » (Sieg). Que signifie cette notion ? Les directives européennes adoptées depuis dix ans donnent une indication : pour les télécommunications, l'énergie, les transports ou La Poste, elles désignent un service minimal garanti, en deçà de l'exigence de solidarité et d'égalité que nous proposons. Par un jeu d'écriture, l'article III-122 qui reconnaît les Sieg... renvoie aux articles III-166 et III-167. Or, ces articles réaffirment le primat des « règles de la concurrence » sur les services publics, auxquelles ils ne constituent qu'une dérogation très encadrée. La Cour de justice interprète de façon stricte ces exceptions. Il serait illusoire de voir dans la mention des Sieg une avancée décisive par rapport au cadre actuel. Une vraie avancée aurait été de reconnaître le service public parmi les « valeurs » de l'Union dans la première partie du texte. Et de préciser que le service public peut venir limiter l'application du principe de concurrence. Après un « non » de la France, ce doit pouvoir être un objectif de négociation.

Articles IV-443, IV-444 et IV-445 :
les procédures de révision
Le gouvernement de tout Etat membre, le Parlement européen ou la Commission peut soumettre au Conseil des projets tendant à la révision du présent traité. (...) Si le Conseil européen (...) adopte à la majorité simple une décision favorable à l'examen des modifications proposées, le président du Conseil européen convoque une convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d'Etat ou de gouvernement des Etats membres, du Parlement européen et de la Commission. (...) La convention adopte par consensus une recommandation à une conférence des représentants des gouvernements des Etats membres (...). Une conférence des représentants des gouvernements des Etats membres est convoquée par le président du Conseil en vue d'arrêter d'un commun accord les modifications à apporter au présent traité. Les modifications entrent en vigueur après avoir été ratifiées par tous les Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. (...)

 
Le risque, là, est celui de la glaciation. Beaucoup de partisans du «oui» conviennent eux-mêmes que cette Constitution n'est pas satisfaisante et veulent la réviser aussitôt adoptée. Mais la révision est en réalité quasiment impossible. L'article cité concerne la procédure ordinaire de révision. S'y ajoutent trois articles portant sur des procédures simplifiées. Dans tous les cas, l'unanimité des Etats membres au sein du Conseil (25 gouvernements et 25 parlements) est requise, qu'il s'agisse des institutions ou des politiques de l'Union. Cela signifie en pratique qu'il sera très difficile, voire impossible de la réviser. Je reste pour ma part fidèle à ce que les socialistes avaient écrit à l'unanimité au printemps dernier : « Il est décisif que les modalités de révision de la Constitution distinguent les matières constitutionnelles des politiques de l'Union, pour lesquelles la majorité qualifiée est indispensable. » Certains croient répondre en indiquant que, si la Constitution ne peut être révisée qu'à l'unanimité, c'était déjà le cas avant. Le raisonnement est largement spécieux car il ne tient pas compte de l'évolution de l'Europe. Les révisions précédentes ont été acquises entre des Etats moins nombreux, plus homogènes, unis par des affinités qui facilitaient le consensus. Les difficultés seront beaucoup plus lourdes à 25 ou à 30. En outre, si ce texte de Constitution était adopté, et dans plusieurs pays par référendum, sa légitimité politique serait beaucoup plus forte qu'avec le traité de Nice. Valéry Giscard d'Estaing dit avec justesse que «nous en prendrons» pour quarante ou cinquante ans. La seule vraie révision, c'est le «non». A travers ce projet de Constitution, la question soumise aux Français se ramène à : voulez-vous prendre un aller simple pour une Europe finalement diluée, libérale et atlantiste ?

L'objectif d'une Europe puissance implique un projet renégocié. Après le « non » ­ de la France ou d'un autre pays ­ il faudra améliorer le texte au moins sur trois aspects : se concentrer sur les institutions et sur la charte, en écartant l'énorme partie III consacrée aux politiques ; rendre les coopérations renforcées plus faciles, dès que 6 Etats sont d'accord pour avancer ; permettre une révision du texte à la majorité qualifiée pour laisser l'avenir ouvert. Ces trois modifications (recentrage, différentiation et révision) n'ont rien de maximaliste. Elles devraient contribuer à éviter la dilution de l'Europe et permettre son rebond. Parallèlement, il faudra proposer à nos partenaires un nouvel approfondissement des politiques de l'Union, pour aller vers une Europe plus sociale. Ce chemin de volonté et de construction européenne passe par l'étape du «non». Notre mot d'ordre a été jusqu'ici : « Et maintenant l'Europe sociale. » Je ne suis pas d'accord pour le transformer en un   « Et maintenant l'Europe libérale. » Je ne sens pas les socialistes, la gauche et plus largement le peuple français, approuver aux côtés de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy un texte aussi contestable.


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