Si on commence à personnaliser les choses, on est fichu



Principaux extraits du Grand jury RTL - Le Monde - LCI consacré à Laurent Fabius, député de la Seine-Maritime, le 12 septembre 2004
Propos recueillis par Ruth Elkrief (RTL), Gérard Courtois (Le Monde) et Pierre-Luc Séguillon (LCI).


 

Le 9 septembre, vous avez annoncé que vous voteriez contre le projet de traité constitutionnel européen si le président de la république n'engageait pas une vigoureuse politique européenne en faveur de l'emploi. On vous a reproché de vous prononcer sur le contexte et non sur le texte même du traité. Êtes-vous pour ou contre le projet de constitution ?
Il faut aller à l'essentiel. La question prioritaire en Europe est celle de l'emploi et des délocalisations. En regardant de très près ce traité, je n'y trouve pas ce qui permettrait de changer de politique sur ces deux points. En l'état, évidemment, je ne peux donc pas approuver ce traité. Ma pente naturelle est donc de voter contre.

Ne faut-il pas faire la différence entre ce traité constitutionnel et la politique économique de l'Europe ?
D'habitude, une Constitution s'occupe des institutions. Il aurait été sage d'en rester là, et les avancées dans ce domaine - ce que fait le président de la Commission, comment donner plus de pouvoir au Parlement, etc. - sont bonnes. Mais, à ces questions institutionnelles, on a mélangé des politiques (sociale, de l'emploi, économique...). Et l'on nous propose de voter sur ces politiques et de les figer dans le marbre. Dès lors que nous aurions adopté ce texte, il ne pourrait être révisé qu'à l'unanimité de tous les membres. C'est ça qui pose un énorme problème. Si vous votez pour une politique et qu'elle n'est pas satisfaisante, vous en prenez pour trente ans.

Ne forcez-vous pas le trait ? Les mécanismes prévus par le traité lui-même, comme celui des coopérations renforcées, ou les dynamiques politiques que l'on connaît bien en Europe ne permettront-ils pas de faire évoluer les choses ?
Prenons l'exemple des coopérations renforcées : il faudra qu'une telle coopération soit décidée par une majorité absolue des membres et qu'elle s'applique au minimum à un tiers. Je ne dis pas que c'est impossible, mais...

En rejetant le traité, ne rejetez-vous pas, en même temps, ses avancées institutionnelles ?
Ce ne serait tout de même pas le chaos. L'Europe continuerait d'exister. La question qui est posée, c'est quel type d'Europe veut-on ? Et moi, je pense qu'il faut une Europe beaucoup plus sociale. Si ce traité était voté comme tel, il comporterait un certain nombre de contraintes qui empêcheraient une orientation progressiste de se développer.

François Hollande a annoncé une consultation rapide des militants sur le traité. Y êtes-vous favorable ?
Pour ce qui concerne le PS, il faut avoir à l'esprit deux règles tout à fait simples. Il y a des opinions différentes et chacun doit se respecter. Pour trancher ces opinions, il faut que les militants disent ce qu'ils pensent. La deuxième règle est que nous tranchions cette question d'une façon apaisée et sans mélanger tous les problèmes. C'est une question importante qui n'a pas à être reliée à des enjeux de pouvoir ou de personne.

Estimez-vous que la consultation proposée par M. Hollande est trop rapide ?
Je ne veux pas porter de jugement là-dessus. La bonne méthode, c'est de discuter, puis de demander aux militants de trancher, tout ça entre bons amis, d'une manière maîtrisée. Je suis sûr que d'excellentes dates seront proposées.

Une réunion du courant majoritaire du PS est prévue dès le 21 septembre pour préparer cette consultation. Allez-vous prendre toute votre part à la rédaction de la question qui sera soumise aux militants ?
Excusez-moi, mais, là, on est vraiment descendu de trois crans.

Vous voterez donc "non" ?
Oui, bien sûr.

Comment imaginer, si votre position l'emportait contre celle du premier secrétaire, que ce ne soit pas considéré comme un désaveu pour celui-ci ?
Pas du tout. Nous sommes un parti adulte. Si on commence à personnaliser les choses, alors, là, on est fichu.

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