Baisser les impôts
pour préparer l'avenir

Laurent Fabius


par Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
Point de vue paru dans le quotidien Le Monde daté du mardi 28 août 2001


 
Il y a un an, le gouvernement proposait un plan triennal d'allégement des impôts de plus de 18 milliards d'euros (120 milliards de francs). Nous le savons aujourd'hui, la croissance économique sera moins soutenue que prévu. Devons-nous pour autant revenir sur notre choix, comme nous le demandent certains, plus animés par le souci de critiquer que par celui de répondre aux attentes de nos concitoyens ? Je ne le pense pas. Au contraire, j'ai la conviction que notre volonté de baisser les impôts repose sur de solides raisons qui restent pleinement d'actualité. C'est pourquoi la baisse des impôts sera, avec l'emploi et la sécurité, l'une des trois priorités du budget 2002.

Avant même de justifier ce choix pour lequel j'ai plaidé à plusieurs reprises dans ces colonnes, je veux répondre à ceux qui, contre l'évidence des faits, contestent la réalité de la baisse. On a ainsi entendu un très haut responsable avancer mi-juillet un raisonnement étrange : la baisse des impôts constituerait un leurre puisque la masse totale des recettes de l'Etat aurait augmenté au cours de la dernière période. Cet argument confond - volontairement ? - les bases de l'impôt et les taux de l'impôt, ou, pour le dire autrement, l'effet mécanique de la conjoncture et les choix de politique fiscale. Qui aurait l'idée, dans une commune ou dans un département, de prétendre que la pression fiscale s'accroît lorsque le produit de l'impôt augmente en raison de la croissance, alors même que son taux ne bouge pas ou, mieux, diminue ?

N'en déplaise à ces praticiens chevronnés de la hausse fiscale, que l'on raisonne impôt par impôt ou en masses agrégées, la baisse actuelle est réelle, elle profite à tous, salariés, consommateurs ou entreprises, et elle se poursuivra en 2002.

Les Français, à la longue devenus sceptiques à propos d'un tel sujet, peuvent le constater dès la fin de cet été sur leur avis d'imposition sur le revenu ou sur leur chèque de prime pour l'emploi.

Bien sûr, le niveau des prélèvements obligatoires reste élevé en France, près de 45 %. Mais la politique fiscale du gouvernement Jospin a permis d'arrêter la dérive constatée auparavant, accentuée par la forte hausse des prélèvements en 1995 et 1996. Sans ces efforts de réduction des impôts, le taux de prélèvements obligatoires aurait été en 2002 de deux points plus élevé. Le reconnaître relève du bon sens.

Pourquoi avoir choisi de baisser les impôts ? Ni par dogmatisme ni par préjugé. Notre plan d'allègement et de réforme des impôts s'inscrit dans une stratégie de politique économique : favoriser la croissance pour créer davantage d'emplois et en distribuer équitablement les fruits. Plus précisément, le soutien à l'investissement, la priorité accordée à l'activité et l'exigence de redistribution sont au cœur des baisses en cours ou programmées.

Le soutien à l'investissement doit être poursuivi pour renforcer notre potentiel de production. Négative entre 1993 et 1996, l'évolution annuelle de l'investissement, bien qu'encore trop timide, est depuis lors supérieure à celle de nos principaux partenaires de la zone euro. Les décisions gouvernementales ont contribué à ce résultat en restaurant la confiance et en allégeant la charge fiscale supportée par les entreprises. Le budget 2001 a engagé la suppression progressive de la surtaxe d'impôt sur les sociétés instituée en 1995, la fameuse " surtaxe Juppé ".

Ce mouvement d'allégement sera poursuivi dans le budget 2002. Les petites entreprises bénéficieront d'un taux réduit d'impôt sur les sociétés pour leurs premiers 250 000 francs de bénéfices, à 25 % puis à 15 %. J'ai également souhaité que des mesures soient consacrées à l'attractivité de notre territoire. Quoi que disent certains, lorsqu'on examine la tendance concernant l'implantation des sièges sociaux et des cadres aux rémunérations élevées, le problème est réel. Que l'on me comprenne bien : il ne s'agit pas de distribuer des cadeaux à tel ou tel, mais d'inciter les créateurs de richesses à s'installer ou à demeurer chez nous, pour l'avantage de tous. Ces différentes dispositions, renforcées par une souplesse d'application des 35 heures pour les PME, devraient dynamiser l'investissement au cours des prochaines années.

La priorité accordée à l'activité est d'autant plus nécessaire que notre système fiscal et de transferts sociaux a longtemps découragé la recherche d'un travail lorsque celui-ci était faiblement rémunéré.

La création de la prime pour l'emploi augmentera sensiblement le revenu des actifs jusqu'à 1,4 smic, ou jusqu'à 2,1 smic pour les foyers de parents isolés et pour ceux dans lesquels seul un des conjoints travaille. Dès cette année, elle concerne 8,5 millions de foyers. Son montant sera doublé l'an prochain. Couplées à une réforme plus large de notre système de prélèvements et de transferts (dégrèvements de taxe d'habitation, refonte des allocations logement et extension de la possibilité de cumul entre RMI et salaire), ces mesures devraient permettre le retour progressif sur le marché du travail d'une partie de la population qui en est encore exclue.

Contrairement à ce qu'on entend parfois, les baisses d'impôts sont ciblées sur les couches de la population les plus fragiles. Au cours des dernières années s'est opéré un mouvement de redistribution par l'emploi des gains de la croissance. Notre réforme fiscale va plus loin, de sorte que tous les ménages bénéficient des baisses d'impôts, y compris ceux qui n'acquittent aucun impôt sur le revenu.

La prime pour l'emploi et les mesures en faveur du travail des plus démunis exercent de forts effets redistributifs. Par exemple, pour un couple avec deux enfants à charge dont l'un des conjoints gagne le smic, le gain total procuré par ces dispositions approche 1 000 francs par mois. S'agissant de l'impôt sur le revenu, la baisse de toutes les tranches du barème se traduira pour chaque contribuable par une diminution d'au moins 2 % de son impôt. Mais la diminution plus forte des taux des premières tranches du barème conduira à ce que, relativement aux moins aisés, les plus fortunés contribuent davantage. La progressivité de cet impôt est donc confortée.

Incontestablement, les baisses d'impôts directs et indirects entretiennent la progression du pouvoir d'achat global des ménages. En 2001, elles contribuent pour un point à l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages qui devrait dépasser 3 % cette année. Ce qui porte sa progression à 15 % depuis l'arrivée du gouvernement Jospin, contre 5 % entre 1992 et 1996. Ces données, meilleures que celles de l'Allemagne et de l'Italie, voisines de celles de la Grande-Bretagne, expliquent le dynamisme de la consommation chez nous. Des chiffres inexacts ayant été évoqués au cœur de l'été, il n'est pas inutile de le rappeler.

Investissement, activité, redistribution : je veux souligner aussi la dimension écologique de notre politique fiscale. Plusieurs dispositions sont intervenues dès 1997 en ce sens, qu'il s'agisse de mesures dissuasives antipollution ou de décisions incitatives pro-environnement. En 1999, la taxe générale sur les activités polluantes a été créée et un taux réduit de 5,5 % de TVA a été appliqué aux prestations de tri, de collecte et de traitement des déchets. En 2000 et 2001, un crédit d'impôt a été instauré pour l'acquisition de matériels de production d'énergie renouvelable et pour l'acquisition de véhicules propres. Le budget 2002 va poursuivre notre action en faveur d'une fiscalité écologique, en veillant à ce qu'elle soit incitative, simple et cohérente avec notre souci d'allégement d'ensemble.

Le ralentissement économique remet-il en cause ces différents objectifs ? Doit-il nous conduire à bouleverser notre stratégie fiscale ? Ma réponse est claire : non. Au moment où la conjoncture ralentit, les baisses d'impôts – comme je l'ai souligné – visent à encourager l'investissement des entreprises et la consommation des ménages, ces deux moteurs de la croissance. Alors que la décrue du chômage se fait moins dynamique, l'instauration de la prime pour l'emploi vise aussi à soutenir l'activité.

Les impératifs du long terme rejoignent les nécessités de la conjoncture. Pour orienter durablement et favorablement les comportements des acteurs économiques, l'Etat doit être crédible. Pour être crédible, il doit être constant. Investisseurs, consommateurs et personnes en recherche d'emploi ont besoin de lisibilité à moyen terme et de stabilité. C'est pourquoi, à l'image des choix opérés par nos principaux partenaires européens, une logique pluriannuelle de baisse des impôts, d'une ampleur qui reste raisonnable, doit être vigoureusement affirmée.

Ecrivant cela, je n'ignore pas les arguments de ceux qui prétendent lutter contre le ralentissement économique actuel à coup de dépenses publiques accrues plutôt que d'impôts allégés. Certes, sauf à vouloir étouffer l'activité et à ignorer des priorités comme la sécurité, l'emploi ou l'environnement, il serait dangereux de pratiquer une politique budgétaire exagérément restrictive ; le gouvernement ne commettra pas ce faux pas. Une politique pro-cyclique qui viendrait accentuer le ralentissement actuel serait inappropriée. Comme l'a récemment souligné le Fonds monétaire international, quand les rentrées fiscales sont moins importantes que prévu à cause de la conjoncture, il peut être légitime de pratiquer une certaine pause dans la réduction du solde budgétaire ; mais à la condition expresse que les objectifs de consolidation budgétaire à moyen terme soient préservés et qu'on en prenne les moyens.

J'y insiste : le cap d'une gestion équilibrée de la dépense publique doit être maintenu. Pour préparer l'avenir, pour anticiper les conséquences financières du vieillissement de la population, il faut en effet alléger le montant de la dette léguée aux générations futures. Il n'est pas envisageable de le faire en augmentant les impôts, pour les motifs déjà évoqués. La maîtrise des dépenses publiques reste donc indispensable. Toute dépense, sociale, sanitaire ou budgétaire, doit être financée. Sauf à gouverner à crédit, en reportant le poids de la solidarité sur les générations à venir. Ce qui me paraîtrait à la fois dangereux et contraire aux idéaux de la gauche.

Dans mon esprit, cette maîtrise de la dépense publique n'est pas l'ennemie de la qualité du service public. Au contraire, de nombreux exemples montrent qu'un service de même qualité ou de qualité supérieure peut être rendu à coût constant ou même réduit. Nous Français, qui aimons l'Etat tout en le critiquant, nous devons chercher à accroître son efficacité et son efficience. A tous les échelons publics, il nous faut passer d'une culture de la dépense à une culture de résultats, d'une logique de moyens à une démarche de missions. C'est l'un des objectifs de l'excellente et nouvelle " constitution budgétaire " récemment votée par les parlementaires, qui marque une étape majeure de la réforme de l'Etat.

Un raisonnement similaire s'impose pour nos dépenses sanitaires et sociales. Elles posent un problème d'équilibre à terme. Le choc démographique des années 2005-2010 exposera nos retraites et notre assurance-maladie à de fortes tensions. Or, comme le montre l'expérience de plusieurs de nos partenaires européens, une meilleure régulation de la dépense est compatible avec un progrès continu de la protection et des droits des assurés. Pas plus dans ce domaine que dans les autres, je n'entends faire preuve d'esprit de système, mais, constatant que de grands efforts restent à accomplir, par la réforme, j'estime qu'on doit refuser la démagogie, récuser l'égoïsme générationnel et aider à réussir la nécessaire modernisation de l'action publique. Collectivement, nous avons tous à y gagner. Ce choix est celui d'une gauche authentique et moderne, parce que soucieuse d'un développement vraiment durable.

Naturellement, à la veille d'une nouvelle législature, d'autres pistes doivent être envisagées pour approfondir la réforme fiscale. Si je ne crois pas au grand soir fiscal, il est évident cependant que des changements supplémentaires seront nécessaires. Avec mes collègues et amis Florence Parly et Daniel Vaillant, nous travaillons sur plusieurs modifications de la fiscalité locale. Je reste également attaché, avec la Commission et nos partenaires européens, à une meilleure coordination des fiscalités européennes.

L'internationalisation des activités économiques, leur dématérialisation progressive, la montée des pollutions nous conduisent à poursuivre cette ambition réformatrice. Mais, pour l'heure, je suis convaincu que notre plan pluriannuel d'allégement et de réforme des impôts nous engage sur la bonne voie. Pour utiliser une image, c'est une arme à deux temps : sur le court terme, la baisse des impôts soutient l'activité à un moment où la conjoncture hésite ; sur le long terme, elle nous permet de préparer l'avenir en consolidant notre potentiel économique. Oui, baisser les impôts de cette façon est positif pour une croissance réformatrice et solidaire.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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