| Si le non à la Constitution européenne que vous préconisez l’emporte, la France s’isolera !On ne connaît pas encore la position des divers peuples, mais il est possible en effet que le choix de la France soit différent. Ce choix ne bloquera pas la construction européenne à laquelle j’ai toujours été et je reste favorable, il la réorientera. Car la question n’est pas de savoir si l’Europe doit avancer ou non - elle le doit bien sûr. La question est: sommes-nous ou non satisfaits de l’évolution européenne actuelle et vers quelle Europe voulons-nous aller ? Si on veut agir vraiment pour l’emploi et contre les délocalisations, si on veut construire une Europe différenciée en trois cercles qui puisse conduire à une Europe puissance, si on veut ne pas être bloqué pour des décennies par une exigence d’unanimité tous azimuts, je pense qu’il faut un autre texte que celui-ci.
Le non c’est le retour au traité de Nice dont chacun reconnaît aujourd’hui que c’était un mauvais traité.J’entends souvent l’argument, et il a de la force, mais je suggère aux responsables français de ne pas en abuser de part et d’autre. Car enfin le traité de Nice, si je me souviens bien, a été signé par un président de droite avec un gouvernement de gauche. Si la Constitution n’est pas adoptée dans son texte actuel, il n’y aura en tout cas pas de vide juridique, nous aurons jusqu’à 2009 pour retravailler. Nous devrons bien distinguer ce qui relève des institutions - en conservant si possible les avancées obtenues - et ce qui relève des politiques économiques, fiscales, sociales, etc. L’ambiguïté du texte qu’on nous soumet, c’est en effet qu’il mélange les deux, les institutions et les politiques, alors que la Constitution devrait s’occuper du premier volet.
Comment en est-on arrivé là ?Le glissement s’est opéré peu à peu. Le PS avait, depuis longtemps, mis en garde contre cette confusion entre l’institutionnel et le politique. Nous avons posé très tôt le problème des modalités futures de révision du texte et demandé avec force jusqu’à la fin qu’on écarte l’exigence d’unanimité puisqu’elle risque de bloquer toute avancée ultérieure. Nous avons même écrit que pour nous c’était un point " décisif ". Malheureusement le gouvernement français n’a pas vraiment défendu cet aspect pourtant essentiel. Regardez la Constitution française, il n’y a pas un chapitre consacré à l’économie, aux finances, aux transports, à la concurrence, etc. Et elle peut être révisée à la majorité qualifiée. Certains disent: mais, c’est précisément parce que ce texte n’est pas une vraie Constitution européenne ! A ce moment-là, pourquoi un référendum ? Le fait qu’on vote dans tous les pays va donner au texte un poids particulier. Les choses seront ensuite encore beaucoup plus difficiles à bouger. J’ai retenu ce commentaire d’un analyste: cette Constitution, " c’est un moteur de Vélosolex avec des freins de poids lourd ". La formule est juste. Je ne crois pas que c’est ainsi qu’on avancera vers un grand projet européen !
Vous dénoncez le traité, notamment parce que la règle de l’unanimité rend toute révision presque impossible.
Mais pour améliorer le traité de Nice auquel on reviendrait si le non l’emporte, il faut également l’unanimité. Quels sont vos alliés? Avec qui réaliser les avancées sociales que vous appelez de vos vœux ?Nous devrons nous appuyer d’abord sur nos voisins, ceux que j’appelle le premier cercle, les Allemands, les Espagnols, les Belges, etc., qui, pour le moment, soutiennent ce traité, mais qui sont réalistes et qui veulent, comme nous, une avancée de la construction européenne. La non-acceptation du texte, la distinction future entre les institutions et les politiques, créera une situation nouvelle. Et l’accord entre les Etats du premier cercle permettra de ne pas être paralysé par la règle de l’unanimité.
Pensez-vous par exemple, que nos partenaires européens accepteraient de revoir les règles fiscales ?Il se pose sur ce point important un problème évident avec la Grande-Bretagne, mais je ne vois pas pourquoi ce serait toujours la conception britannique qui devrait l’emporter. La France aussi garde sa liberté de dire non. Dans son histoire, c’est souvent d’ailleurs à partir de cette liberté qu’elle a pesé.
Ne souhaitez-vous pas que les autorités françaises se comportent comme les autorités britanniques, qu’elles ne cèdent pas, qu’elles menacent l’Europe de crise, de blocage pour tenter d’obtenir satisfaction ?On ne va pas rechercher le blocage pour le blocage ! Mais il est rare qu’on obtienne ce que l’on veut si on ne le demande même pas ! Je regrette que lors de la préparation du traité, les autorités gouvernementales aient été si peu actives, par exemple sur les questions fiscales ou sur la dimension emploi à faire prendre en compte par la Banque centrale européenne. Ou encore sur l’extension du vote à la majorité. Il est vrai que le gouvernement français n’était pas le mieux placé. Il se dit ambitieux pour l’Europe mais veut réduire le budget de l’Union. Il ne donne pas de contenu nouveau et fort à la relation franco-allemande, pourtant essentielle. Il traite les pays nouveaux adhérents avec désinvolture.
Comment expliquez-vous que les partis socialistes européens et les syndicats soient d’accord avec cette Europe financière ?Beaucoup sont surtout sensibles - et c’est important - à l’inclusion de l’actuelle Charte des Droits dans la Constitution, même si l’effet de cette inclusion est limitée par la mention qu’elle s’appliquera " en fonction des législations nationales ". Mais cette Charte des Droits pourrait parfaitement s’appliquer avec un texte de Constitution différent.
Il y a un mot que vous ne prononcez pas, c’est celui de crise, comme si vous n’assumiez pas toutes les conséquences de votre non !– J’assume bien sûr, mais, je le répète, il n’y aura pas d’arrêt de la construction européenne. Nous avons du temps pour préparer l’alternative. Cela permettra une réorientation du texte. D’ailleurs, je note que certaines avancées – par exemple l’institution d’un président de l’Eurogroupe – se mettent en place même sans texte constitutionnel lorsqu’elles font consensus. Mais allons plus au fond. On peut formuler diverses objections au non, il demeure que, avec le projet actuel :
1) les délocalisations, liées notamment au dumping fiscal entériné par le texte, vont se poursuivre avec leurs conséquences ravageuses pour la population et les territoires ; 2) l’organisation de l’Europe en trois cercles concentriques, nécessaire à son avancée future, est improbable puisque les " coopérations renforcées " entre pays sont soumises à des conditions très restrictives ; 3) l’unanimité requise pour toute modification ultérieure de la Constitution risque de paralyser le futur de l’Europe, elle-même diluée dans un élargissement indéfini. Quand on y réfléchit bien, ces trois données-là sont des obstacles majeurs à la construction d’une Europe sociale et d’une Europe puissance nécessaire pour notre génération et celle de nos enfants.
Quelles conséquences pour le PS ? Comment éviter l’affrontement puisque sur une question aussi essentielle, le premier secrétaire et vous, le numéro deux du parti, prenez des positions opposées ?Lors de notre congrès de Dijon, il avait été décidé que cette question serait soumise au vote des militants. Il faut y procéder, dans le calme, la maîtrise des comportements et le respect des opinions de chacun. Et il faut déconnecter cette question des enjeux de pouvoir ou de personne. J’insiste beaucoup sur le fait que chaque militant, chaque responsable, doit respecter tous les autres et être respecté par eux.
Si le non l’emporte au PS, Hollande, devenu minoritaire, peut-il rester à la tête du parti ?Bien entendu ! C’est un excellent premier secrétaire. Si chaque décision controversée et importante devait entraîner des changements de majorité ou de responsables au PS, cela donnerait le tournis. D’ailleurs, le vote des militants ne se répartit pas entre majorité et minorité, les positions sont multiples. Au PS, tout le monde est pour l’Europe, pour une Europe plus sociale, plus tournée vers l’emploi. Là où il y a débat, c’est sur les moyens d’y parvenir. Certains disent : ce traité n’est pas bien bon mais il faut le voter, les voisins d’ailleurs le font. D’autres disent: le suivant sera meilleur, sans expliquer comment on se dégagera de l’unanimité requise pour toute révision. Je pense, moi que ce projet risque de nous engager pour des décennies et qu’il faut mieux une autre base pour aller vers notre objectif européen et conserver ses chances à un projet socialiste.
Hollande dit : c’est notre identité qui se joue !La volonté de construire l’Europe est identitaire, mais ce texte-là, soutenu d’ailleurs par des courants politiques de droite et de gauche, je ne le pense pas.
N’avez-vous pas le sentiment d’avoir pris une décision grave qui engage l’avenir et votre avenir ?C’est vrai qu’à entendre ou à lire les commentaires, j’ai le sentiment d’une sorte de déferlante qui nous explique comment il faudrait penser. J’ai beaucoup réfléchi, pesé les arguments, je me suis fait à moi-même dix fois les objections possibles et je suis arrivé à la conclusion que si l’on adopte ce texte l’Europe risque de dériver loin de ce qui est souhaitable, de se diluer sans pouvoir réagir, vers une zone de libre-échange à basse intensité sociale, alors que nous avons besoin d’une Europe puissance, d’une Europe de l’emploi, de l’industrie et de la recherche, d’une Europe plus humaine. Le rôle d’un responsable politique, ce n’est pas toujours de suivre le courant dominant, c’est aussi de faire écho aux préoccupations du quotidien, des ouvriers, des employés, des cadres, des entrepreneurs, des créateurs, de réfléchir aux conséquences à long terme, à dix ou vingt ans, de poser les problèmes de fond.
Si, face au désenchantement de l’opinion envers l’évolution de l’Europe, les dirigeants politiques continuent à ne tenir qu’un discours abstrait, du type " les contraintes sont trop fortes, les majorités sont incontournables, on a eu tort de ne pas poser ces questions avant l’élargissement mais c’est trop tard, les habitudes sont prises, bref, on n’y peut rien ", si c’est cela qui prévaut, alors il ne faut pas s’étonner que l’opinion, y compris la jeunesse, se détourne. Je suis un européen de toujours, j’en ai l’expérience concrète et la passion. Je crois qu’il y a une place, en France et en Europe, pour la volonté politique. C’est le sens de mon engagement.
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