Le président peine à affirmer son autorité

Laurent Fabius

Entretien avec Laurent Fabius, député de Seine-Maritime, paru dans Le Parisien daté du 15 juillet 2004.
Propos recueillis par Philippe Martinat et Dominique de Montvalon
 

Comment avez-vous trouvé Jacques Chirac ?
Il m'a surtout donné l'impression d'être le spectateur de son propre quinquennat. Si j'avais une annotation à mettre, je dirais : « Pas crédible ». Parce que, après neuf ans de présidence, on ne peut pas se contenter de multiplier les il faut . Or c'était surtout cela son intervention : une addition de banalités et de rivalités. Je regrette que l'on n'ait pas évoqué les nominations partisanes. Je souhaite un Etat impartial. Or j'ai le sentiment que, souvent, nous avons en face de nous non plus un gouvernement mais un clan.

En annonçant pour 2005 un référendum destiné à ratifier la Constitution européenne, n'a-t-il pas pris tout de même une décision courageuse ?
En tout cas, c'est la procédure que je souhaitais : elle est, en ce domaine, la plus démocratique.

Vous étiez plutôt tenté jusqu'ici par le vote non. Et maintenant ?
Je n'ai pas encore donné ma réponse. J'ai voulu éclairer honnêtement les faits et susciter un débat en soulignant, d'un côté, les avancées institutionnelles et, de l'autre, les réserves qu'appelle ce texte pour les politiques de l'Union. Par exemple, l'exigence d'unanimité dans les votes ou les conditions draconiennes de toute amélioration future, ce qui risque de freiner l'Europe. On ne peut se contenter de dire comme Chirac : Ce traité est bon parce qu'il est bon. Il faut aller plus loin dans le débat. C'est ce que je ferai.

Reprenant une thèse de Mitterrand, le président a indiqué qu'aucun homme d'Etat ne peut imaginer de faire revenir la France cinquante ans en arrière...
Il ne s'agit évidemment pas de cela. La question n'est pas oui ou non à l'Europe, mais quel contenu lui donner ? C'est cela le débat.

L'agression du RER D était finalement imaginaire...
Beaucoup de gens, y compris moi-même, ont été abusés par cette affabulatrice dont le récit avait été accrédité par le président de la République et par le ministre de l'Intérieur. C'est regrettable, et c'est même condamnable. Mais si une telle histoire a pu être crue, c'est que, dans le contexte actuel, elle n'était pas invraisemblable. Cela signifie, en tout état de cause, qu'il faut mener une action implacable contre l'antisémitisme, le racisme et toutes les formes d'intolérance, et contre leurs causes. Il faut éviter les fausses alarmes, mais la société française n'est pas quitte de ses problèmes parce qu'une mythomane a sévi.

Chirac somme Sarkozy de respecter la discipline gouvernementale...
La France ne va pas passer trois ans à compter les points entre Chirac et Sarkozy. J'ai le sentiment d'un président qui, au-delà de ses affirmations péremptoires, peine à affirmer vraiment son autorité.

Approuvez-vous la pause décidée dans la baisse de l'impôt sur le revenu ?
Jacques Chirac reconnaît qu'il a fait fausse route. En effet, sa politique fiscale a été à la fois économiquement inefficace et socialement injuste.

Le président annonce de nouveaux assouplissements sur les 35 heures. Comprenez-vous qu'il ait insisté à plusieurs reprises sur la « valeur travail » ?
Pour reconnaître la valeur du travail, ce qui est indispensable, rien de tel que d'en proposer un aux Français. Aujourd'hui, l'urgence pour les salariés et pour les chômeurs, ce n'est pas un énième bouleversement de la durée hebdomadaire du travail : d'ailleurs, quel sens y aurait-il à augmenter le nombre des heures supplémentaires quand l'économie tourne au ralenti ? L'urgence, c'est la lutte contre le chômage et l'amélioration du pouvoir d'achat, l'intégration des jeunes sur le marché de l'emploi, la sécurité donnée notamment aux salariés de plus de 50 ans, l'égalité de rémunération hommes-femmes. Or sur ces sujets, pas un mot concret.

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