Nous n'avons pas de préféré syndical

Laurent Fabius

Entretien avec Laurent Fabius, député de Seine-Maritime, paru dans Le Parisien daté du vendredi 11 juillet 2003.
Propos recueillis par Dominique de Montvalon et Philippe Martinat
 

Qu'attendez-vous de Jacques Chirac, le 14 juillet ?
Pour moi, un président de la République doit être avant tout l'homme du long terme et du rassemblement. Or ce qui me frappe aujourd'hui, c'est que nos compatriotes ne voient plus clairement la perspective. La France est inquiète. Et le climat est plus à la tension permanente qu'au rassemblement.

Et le responsable, c'est le chef de l'Etat ?
Jacques Chirac bénéficie depuis 2002 d'une situation exceptionnelle : il a été élu avec un score de maréchal ; il dispose de tous les pouvoirs ; il avait cinq ans devant lui. La guerre en Irak lui a fourni l'occasion d'un second et fort rassemblement national. De ces atouts politiques, qu'a-t-il fait ?

Reprocheriez-vous au président d'avoir engagé la réforme des retraites ?
Certainement pas ! Il fallait et il faut toujours une réforme des retraites. Ceux qui prétendent le contraire ne disent pas la vérité. Mais la vraie question est : quelle réforme ? Il n'y a pas qu'une voie possible. Rien n'est réellement réglé. Il a manqué à la fois une vraie négociation, une vraie équité, un vrai financement. On va se rendre compte que la plupart des retraités (en particulier les femmes) perdent dans l'affaire beaucoup de pouvoir d'achat. Cette réforme n'est, en outre, pas réellement financée, car elle repose sur deux hypothèses assez hasardeuses : le retour rapide au plein emploi et le maintien au travail des plus de 50 ans. Le financement n'est assuré qu'au tiers, et on nous donne rendez-vous - est-ce une coïncidence ? - en 2008, au lendemain de la présidentielle.

Plusieurs ténors du PS, de Rocard à Delors, applaudissent pourtant...
Ils ont probablement été plus sensibles au fait que la réforme a été engagée - ce qui est exact - qu'à son contenu précis.

Quel bilan tirez-vous de la « séquence corse » ?
Je pense normal et juste qu'un homme recherché dans une affaire criminelle soit finalement arrêté. J'ai d'ailleurs adressé mes félicitations au Raid. Nous avons tous une pensée émue pour Mme Erignac et pour les siens, si dignes dans le malheur. Quant au référendum, c'est autre chose. Jacques Chirac, avant le vote, a expliqué que le oui serait un oui à la Corse dans la République. Les nationalistes, eux, ont prétendu que ce serait un premier pas vers l'indépendance. Que croire ? Dans un contexte gouvernemental tendu, le non ne m'a pas surpris.

Qui est perdant ?
Logiquement, ce sont ceux qui se seraient proclamés gagnants si le oui l'avait emporté : le président et le gouvernement. Mais je me fais du souci surtout pour l'avenir de la Corse elle-même.

La décentralisation est-elle remise en question ?
Aujourd'hui, beaucoup de mots sont détournés de leur sens. On parle volontiers de réforme pour désigner tout et n'importe quoi. On parle de décentralisation alors qu'il s'agit de transférer en réalité des charges supplémentaires vers les collectivités locales. Le pouvoir central, passez-moi l'expression, refile le bébé et l'augmentation des impôts aux élus locaux. La France aurait besoin d'une décentralisation, mais d'une vraie. Au lieu de cela, c'est l'idéologie anti-État qui prévaut.

Souhaitez-vous que Chirac gracie complètement Bové ?
Je n'ai pas toujours été d'accord avec les méthodes de José Bové, car je pense que la violence ne résout rien. Mais la place d'un syndicaliste comme lui n'est pas en prison. On a le sentiment qu'il y a deux poids et deux mesures. Le président avait certainement été consulté sur l'envoi rocambolesque des forces de police au domicile de Bové : à lui maintenant de prendre ses responsabilités. J'allais vous dire (Sourire.) : si j'étais chef de l'Etat, je le gracierais. Vous me répondrez : vous ne l'êtes pas. Ce qui est exact. Mais, pour moi, la justice implique aussi la clémence.

La modification du statut pénal du chef de l'Etat pourrait être examinée dès septembre par le Parlement...
Robert Badinter a montré, dans vos colonnes, la nocivité de ce projet. Soyons précis : puisque les fautes pénales en sont a priori exclues, le principal résultat de cette révision serait de placer tout président de gauche à la merci d'un vote négatif et purement politique du Parlement. Assurée d'une majorité permanente au Sénat, la droite se verrait ainsi offrir la possibilité de destituer le président - excusez du peu, tant cette formule est vague - « pour manquement manifeste à ses devoirs ». Ce projet est passé presque inaperçu, à tort : il est assez extravagant.

L'incident créé par les « petites phrases » anti-PS de Raffarin est-il clos ?
Une fois, ce peut être un dérapage. Deux fois, c'est un début de système. Trois fois, la raffarinade deviendrait berlusconade.

Le PS soutient les intermittents. Il n'y a rien à changer à leur régime ?
Le régime des intermittents a besoin d'être réformé. Mais le nouveau régime proposé présente des carences majeures. D'abord, il ne met pas fin aux abus, qui sont nombreux. Ensuite, il exclut de toute prise en charge beaucoup de professionnels qui, eux, n'abusent pas. Enfin, l'accord est tombé comme un couperet à quelques jours du début des festivals, dans un contexte où la culture est malmenée. C'est la place de l'artiste et de la culture dans notre société qui est remise en cause par ce gouvernement. La sagesse eût été de réunir d'emblée tout le monde autour d'une table, ou de nommer un médiateur pour trouver des solutions raisonnables. L'annulation des festivals est un déchirement.

Après l'ovation réservée à Bernard Thibault au congrès du PS, la CGT est-elle devenue votre partenaire privilégié ?
Nous souhaitons discuter avec tous, y compris, pour être clair, avec la CFDT. Nous n'avons pas de « préféré » syndical, et nous n'avons pas à en avoir.

Le PS est-il réformiste et social-démocrate ?
Il l'est, je vous le confirme.

Êtes-vous en mesure de rassurer des Français que l'avenir inquiète ?
J'aimerais pouvoir le faire. Mais, au vu des réalités, je comprends et je partage l'inquiétude générale. La conjoncture peut s'améliorer aux Etats-Unis ; en France, dans les six prochains mois, une reprise est improbable. Nous risquons une aggravation du chômage, des problèmes de pouvoir d'achat, la poursuite des tensions sociales. Le gouvernement a été imprévoyant. Il a promis et dépensé sans compter. A la clé se profilent des difficultés, et le risque que les générations futures paient rudement l'addition des déficits budgétaires et sociaux que creuse l'équipe Raffarin. Songez, comme le soulignait François Bayrou récemment, que le gouvernement dépense dans son budget 20 % de plus que ses recettes : c'est intenable !

Malmené par les 35 heures, le travail reste-t-il, pour la gauche, une valeur centrale ?
Bien sûr que le travail reste au cœur de nos convictions !... Si vous en doutez, venez rencontrer mes concitoyens et électeurs de Seine-Maritime : ouvriers, employés, artisans. Ils vous diront ce que représente pour eux le travail, et aussi le pouvoir d'achat qui va avec, mais qui stagne.

Serez-vous le candidat du PS en 2007 ?
(Sourire.) La question n'est pas d'actualité. Pour l'heure, nous avons beaucoup de travail devant nous afin de rassembler la gauche et le centre-gauche. Il va falloir, peu à peu, préparer l'alternance.

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