Pour un quinquennat
de cohérence


Laurent Fabius
« Tant que la durée du mandat présidentiel différera de celle du mandat législatif, la cohabitation sera à peu près inévitable. »

par Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale
Point de vue paru dans les pages " Horizons " du quotidien Le Monde daté du mercredi 28 juillet 1999


 
Il est rare que deux présidents de la République, l'un en activité, l'autre qui ne l'est plus, polémiquent. Et encore plus rare qu'ils choisissent de le faire à propos de la durée du mandat présidentiel. Inutile de vouloir les reconcilier : le dernier quart de siècle n'y a pas suffi. Au moins peut-on tenter d'aller un peu plus loin que les arrière-pensées qu'on sent poindre et, puisque c'est d'abord la question du mandat qu'ils posent, récuser aussi bien le septennat de convenance que le quinquennat de vengeance.

Certes, on comprend que si le quinquennat - réforme populaire - était voté aujourd'hui, il pourrait difficilement ne pas s'appliquer dans les prochains mois, avec les incertitudes que cela comporterait pour le titulaire du poste. Écartons donc cette hypothèse pour le moment, elle devra être traitée lors de la prochaine campagne présidentielle et réglée, espérons-le, à son issue. Car le problème de fond ne peut être nié. La question posée n'est nullement celle de la légitimité juridique du président - légitimité qui, quelle que soit la durée, est entière -, mais celle du ressourcement de son autorité politique : dans nos démocraties modernes, médiatiques et changeantes, celle-ci doit être vérifiée périodiquement, et sept ans constituent à cet égard un délai excessif.

Surtout, on ne peut plus éluder trois inconvénients de la cohabitation. Elle ne facilite pas le traitement des problèmes de long terme, tant les deux principaux protagonistes, candidats supposés à l'élection présidentielle suivante, sont condamnés à vivre l'œil fixé sur la ligne bleue des sondages, laquelle se confond rarement avec celle des réformes indispensables. De plus, la cohabitation dilue la notion même de responsabilité politique : dans l'attelage exécutif, on ne sait plus qui, au terme échu, devra être positivement ou négativement sanctionné, ni pour quoi.

J'ajoute que la cohabitation quasi permanente dans laquelle on voit les uns gouverner avec les autres, puis les autres gouverner avec les uns, sans que les différences soient toujours manifestes, fait le lit des abstentionnistes et des votes marginaux ou extrêmes, beaucoup de citoyens ne se sentant ni représentés ni impliqués, cependant que le fameux consensus dont on nous rebat les oreilles est souvent un consensus d'apparence, en l'absence de débats de fond.

On objectera que, selon les sondages, les Français apparaissent favorables à la cohabitation. Sans doute ; mais si l'on interrogeait les mêmes Français sur leur volonté que le président de la République et le premier ministre se retrouvent en cohérence plutôt qu'en coexistence, il est vraisemblable qu'ils n'y seraient pas hostiles. Ce que nos concitoyens apprécient, avec raison, n'est-ce pas surtout une vie politique pacifiée, des dirigeants politiques qui ne mènent pas entre eux une guerre civile permanente ?

Pour ma part, je préfère le système le plus clair, dans lequel une équipe accède au pouvoir, l'exerce sous le contrôle de sa majorité et de l'opposition et est démocratiquement jugée au terme de son mandat. Cette équipe est reconduite en cas de succès et remplacée par l'opposition en cas d'échec. Cela s'appelle la démocratie d'alternance.

C'est là où intervient la proposition de quinquennat. Personnellement, je m'y suis rallié après avoir constaté que, tant que la durée mandat présidentiel différera de celle du mandat législatif, la cohabitation sera à peu près inévitable. D'où la force du quinquennat. A condition bien sûr qu'il garantisse contre les défauts dénoncés plus haut. Et c'est là l'objection chiraquienne : si les Français étaient appelés à désigner le même jour le président de la République et l'Assemblée nationale, que ce soit pour 7 ans, 5 ans ou 6 ans, qui peut assurer qu'ils n'opéreraient pas des choix politiques divergents ?

La solution consiste à décider que le mandat présidentiel sera de 5 ans, que l'élection présidentielle entraînera automatiquement une élection législative et que celle-ci aura lieu, non pas exactement en même temps, mais un mois après la proclamation des résultats de l'élection présidentielle. Dans cette hypothèse, la majorité parlementaire se retrouvera dans la quasi-totalité des cas conforme à la majorité présidentielle.

Les précédents - et l'intuition - vont en effet tous en ce sens. Lorsque François Mitterrand a dissous l'Assemblée nationale après sa première élection, il a obtenu facilement une majorité parlementaire. Lorsqu'il a de nouveau dissous immédiatement après sa réélection en 1988, il a emporté une majorité au Palais Bourbon malgré une campagne assez originale de sa part demandant qu'on ne lui donne pas une majorité trop large. A contrario, Jacques Chirac n'a pas dissous l'Assemblée en 1995 après sa propre élection, commettant ainsi une véritable erreur stratégique, il a dès lors perdu - en 1997 - la majorité parlementaire, alors que dans la foulée de l'élection présidentielle, en 1995, il l'aurait, même amoindrie, certainement conservée.

Un tel schéma, que j'appelle le quinquennat de cohérence, est juridiquement simple. Il implique de réviser deux articles de la Constitution. le premier alinéa de l'article 6 devrait être rédigé ainsi : " Le président de la République est élu pour 5 ans au suffrage universel. "
Le deuxième alinéa de l'article 24 de la Constituion serait, lui, complété par cette phrase : " Une élection générale est organisée un mois après la proclamation des résultats de l'élection du président de la République. "

Cette nouvelle donne devra-t-elle aller jusqu'à adopter un régime présidentiel, ainsi que le proposent certains avec suppression du poste de premier ministre et du droit de dissolution, piliers d'un régime parlementaire ? Je ne le pense pas.
Depuis plus de quanrante ans en effet, à travers des circonstances extrêmement variées, la Constitution de la Ve République a prouvé ses qualités, sa solidité, sa capacité à durer et à évoluer. Mais autant des aménagements sont nécessaires, autant on ne change pas comme cela de Constitution, donc de République. Le droit de dissolution doit être conservé au cas rarissime où... Dans ce cas, je le répète rarissime, la nouvelle Assemblée exercerait son mandat jusqu'à la prochaine élection présidentielle. Si cohabitation il devait y avoir, elle serait alors exceptionnelle et courte.

Quant au régime présidentiel, qu'il faudrait plutôt appeler régime à l'américaine, il ne me paraît pas adapté à la réalité française, compte-tenu au moins de deux différences majeures avec les États-Unis : nous ne sommes pas un État fédéral, nous ne fonctionnons pas jusqu'ici selon un système bipartite. Rappelons-nous aussi que le système américain ne possède pas que des vertus et peut conduire à des blocages graves.

La question de la durée du mandat présidentiel et de la date des élections législatives subséquentes n'épuise pas le sujet important de l'équilibre des pouvoirs. L'adoption du quinquennat de cohérence devra s'accompagner en tout état de cause d'une revalorisation du Parlement. Une place plus importante devra être confiée aux commissions permanentes de l'Assemblée, où s'accomplit une part essentielle du travail parlementaire. cela implique de porter leur nombre de six à une dizaine pour permettre la création d'une commission des affaires européennes, dédoubler l'encyclopédique commission des affaires culturelles, familiales et sociales, et traiter d'une façon plus appronfondie les problèmes cruxiaux du développement et de l'environnement. Cette extension du nombre de commissions permettra de diversifier leur présidence au bénéfice des diverses sensibilités de la majorité plurielle et - pourquoi pas ? - de l'opposition. De même, je suis partisan que la discussion à l'Assemblée se mène désormais sur la base du texte de la commission qui l'examine et non, comme aujourd'hui, à partir du texte du gouvernement.

Le Parlement devra également voir renforcée se capacité de contrôle, qui, dans les Assemblées contemporaines, constitue désormais sa mission centrale.
Le contrôle devra s'exercer dans le domaine des engagements militaires de la France : on l'a constaté avec la guerre du Kosovo, l'Assemblée ayant été bien informée du déroulement des opérations une fois celles-ci lancées, mais pas consultée sur la décision même de la guerre, ce qui n'est pas du tout satisfaisant. Un contrôle plus étendu devra aussi être établi en matière de finances budgétaires et sociales. La mission d'évaluation et de contrôle (MEC), récemment créée au sein de la commission des finances, a pris un bon départ ; il faudra aller plus loin : revoir la fameuse ordonnance organique du 2 janvier 1959 qui corsète à l'excès les initiatives financières du Parlement et confie quasiment tous les pouvoirs à l'administration ; les députés devraient pouvoir proposer, non pas d'augmenter les dépenses, mais de remplacer une dépense par une autre, ce qu'aujourd'hui ils ne peuvent faire.

Pour parvenir à un meilleur équilibre des pouvoirs politiques, je citerai enfin une indispensable prise en compte du fait européen. N'oublions pas que la participation citoyenne aux récentes élections européennes a été un fiasco notablement parce que, en plus d'un mode de scrutin absurde, le fonctionnement de l'Europe reste abscons. Les procédures européennes de décision devront se faire plus efficaces et plus démocratiques ; l'association des Parlements nationaux avec ces institutions être plus étroite. Questions essentielles pour l'avenir de l'Europe, dont la résolution devra précéder tout élargissement de l'Union.

Quinquennat de cohérence, donc, le moment venu. Et, sans trop attendre, renforcement du rôle du Parlement. Ce n'est sans doute pas la première préoccupation des Français en vacances légitimes. Mais ce ne serait pas une mauvaise façon pour notre imparfaite démocratie de commencer le nouveau siècle.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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