L'offensive
avant la reconquête



Entretien avec Laurent Fabius, député de Seine-Maritime.

Paru dans le quotidien Libération daté du vendredi 03 janvier 2003.
Propos recueillis par Renaud Dely


 

Le gouvernement jouit d'une forte cote de popularité. ça vous étonne ?
Je suis surtout frappé par un double contraste. D'un côté, la droite dispose de tous les leviers du pouvoir, de l'autre sa base électorale demeure faible. L'autre contradiction, c'est l'opposition entre cette omnipotence institutionnelle et l'absence d'un projet clair. Le temps viendra où les Français se demanderont quel est le vrai bilan et où est le projet pour la France. Le gouvernement jouit d'une certaine popularité, mais il se caractérise surtout jusqu'ici par beaucoup de communication, pas mal de flou et peu de résultats.

Il en revendique en matière de sécurité. Certains socialistes ont même applaudi Sarkozy...
La gauche est évidemment favorable à la sécurité. Mais ce gouvernement ne doit pas être jugé seulement sur sa propagande et sur des statistiques officielles discutables. Ce qui compte, c'est la réalité vécue, elle a peu de chances de s'améliorer avec une démarche uniquement répressive. Nous devons, nous, avoir une vision équilibrée: prévention-dissuasion-répression. Nous ne devons pas évaluer la politique de sécurité sur la seule base du travail du ministère de l'Intérieur, mais analyser la répartition des tâches entre tous les ministères concernés par ces trois phases. D'autant qu'en 2003 le gouvernement va se faire le propagandiste de la sécurité dans tous les domaines : économique, social, environnemental, extérieur, etc. A nous de montrer que la vraie sécurité publique suppose de la prévention, et pas seulement des flash-balls ; que la vraie sécurité des parcours professionnels implique un effort massif d'éducation et de formation et que la vraie sécurité économique régresse quand la politique suivie est non seulement économiquement intenable, mais fondamentalement injuste.

En se penchant sur les retraites, le gouvernement rompt-il avec l'inaction de la gauche ?
Attendons ses décisions ou demi-décisions. Soyons fermes sur trois principes : le niveau des retraites ne doit en aucun cas être réduit, la sauvegarde du système par répartition, et la possibilité d'approches différentes en fonction de la pénibilité des tâches. Et, surtout, respectons la discussion entre partenaires sociaux.

Vous doutez du « pragmatisme » de la droite ?
C'est une rondeur feinte. En plaçant systématiquement l'égalité au-dessous de la liberté, en faisant de la responsabilité individuelle sa seule référence, il tend à institutionnaliser les inégalités. Il laisse entendre que les chômeurs devraient surtout se prendre en main et que ce serait leur venir en aide que de réduire l'assistance. En matière de sécurité, est qualifié d'« irresponsable » celui qui, par angélisme bien sûr, parle de prévention. Est au contraire « responsable » celui qui ne voit pas plus loin que le bout de son bâton. Au total, s'affirme une pensée de droite, apparemment de bon sens mais réellement dogmatique.

Vous dénoncez la mise en place d'un « Etat-UMP », mais la gauche au pouvoir n'a-t-elle pas agi de même ?
Je ne conteste pas au gouvernement le droit de nommer les personnes compétentes de son choix. Mais quand on écarte des dirigeants excellents au seul motif de leurs opinions, quand on nomme des incompétents ou des douteux parce que l'allégeance tient lieu de compétence, on méprise l'Etat. Le dernier exemple concerne le directoire du Fonds de réserve des retraites qui va gérer des dizaines de milliards d'euros. Serait en voie de nomination et de coquette rémunération un ancien... médecin du sport (1). Le fait qu'il soit vice-président de la région Poitou-Charentes n'a évidemment aucun lien...

Sur le plan international, une guerre en Irak vous contraindrait-elle à faire corps avec l'exécutif ?
Depuis quelques semaines, je perçois chez Jacques Chirac un début de résignation. L'argument sans cesse répété, selon lequel la décision finale française sera subordonnée à celle de l'ONU, n'est que partiellement exact car la décision de l'ONU ne nous est pas extérieure, nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité et nous aurons donc à nous déterminer pour ou contre l'intervention. Toute guerre est une horreur humaine, celle-là peut en outre avoir des conséquences déstabilisatrices majeures. Je ne me résigne donc absolument pas à la guerre.

On peine aussi à entendre la voix du PS sur la construction européenne.
Vous l'entendrez. C'est surtout la droite qui se retrouve en contradiction avec elle-même. D'un côté, Jacques Chirac plaide avec éloquence à l'étranger pour le développement des pays pauvres, de l'autre il conserve en l'état une politique agricole devenue indéfendable. Il réclame une stratégie économique dynamique, mais celle du gouvernement est languissante. Il souhaiterait que les Français soient davantage européens, mais il met en cause Bruxelles à tout propos. Bref, pour lui, gouverner, ce n'est pas choisir mais additionner. Les socialistes, eux, doivent être vigoureusement européens parce qu'internationalistes, et faire de la construction d'une Europe plus sociale, plus écologique, plus démocratique, la réponse à la mondialisation libérale.

Mais comment être de gauche à l'ère de la mondialisation libérale ?
Historiquement, le socialisme s'est défini par la recherche d'un triple équilibre entre le capital et le travail, l'Etat et le marché, la solidarité et la compétition. Or la mondialisation joue en faveur du capital au détriment du travail, du marché au détriment de l'Etat et de la compétition au détriment de la solidarité. La social-démocratie doit lutter contre ces dérives en proposant notamment une garantie effective d'accès aux services et biens publics, une vaste réforme des institutions mondiales, la création d'une organisation mondiale de l'environnement et l'annulation totale de la dette des pays les plus pauvres.

Les Verts tentés de se replier sur eux-mêmes, c'est l'occasion pour le PS d'annexer l'écologie ?
Depuis longtemps, je soutiens que le PS doit devenir un parti authentiquement écologique. Il y a urgence à proposer une politique réellement durable face à la planétarisation des risques et au «court-termisme» des adorateurs du dieu marché (dont le clonage reproductif est le dernier produit monstrueux). De même, il nous faut mettre en place une société éducative qui sera la vraie clef de l'égalité des chances et construire un nouvel internationalisme dont l'Europe doit donner l'exemple. Je ne présenterai pas de contribution générale pour le congrès de Dijon car je soutiens la démarche de François Hollande, mais j'insisterai, dans une courte approche thématique, sur ces trois aspects majeurs.

Le PS semble surtout tenté par un « coup de barre à gauche »...
Les tentations sont faites pour qu'on y résiste. Le PS est à gauche, il n'est pas gauchiste. Les militants socialistes que je rencontre me disent deux choses : « Soyez offensifs et soyez unis ! » C'est le double mot d'ordre que nous devons appliquer, en y ajoutant : « Soyons imaginatifs ». Le bilan de la défaite électorale a été dressé, c'était utile, nous n'allons pas y consacrer des années. Etre lucide ne signifie pas être morbide. Il faut se tourner vers l'avenir.

Pas question donc d'en appeler à un retour de Lionel Jospin ?
Laissez-le un peu tranquille. Il fera ce qu'il souhaitera faire.

Méfiants à votre endroit, certains de vos camarades ressuscitent la ligne « TSF » (Tout Sauf Fabius)...
Si cette position existait, ce serait surtout une ligne « tout sauf futée » ! Je ne vois ni l'intérêt, ni le motif de ce genre de division.

En fait, beaucoup vous suspectent d'être déjà en course pour 2007.
Nous sortons à peine des élections, pas question d'entrer tout de suite dans les prochaines. La reconquête viendra. Occupons-nous d'abord de mener une opposition offensive et de préparer dans l'unité un projet crédible. C'est ce que je fais.

(1) Allusion à Philippe Most, maire UMP de Royan qui devrait être nommé courant janvier.

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