UMP,
une addition d'immobilisme
et de libéralisme



Entretien avec Laurent Fabius, député de Seine-Maritime.

Paru dans L'hebdo des socialistes daté du 22 novembre 2002
Propos recueillis par B.T.


 

Le congrès fondateur de l’UMP consacre l’hégémonie chiraquienne. À droite, certains élus raillent un « parti fourre-tout ». À tort ou à raison ?
C’est vrai qu’il y a un côté fourre-tout. Mais c’est aussi une structure nouvelle qu’on aurait tort de minimiser. Désormais, Jacques Chirac dispose à sa main d’un parti plus large que le RPR. Cela faisait longtemps que la référence gaulliste était devenue théorique ; cette fois, l’abandon devient officiel ; la droite française se banalise. Pour autant, son unité reste partielle.
Au sein même de l’UMP, les divergences, les rivalités personnelles, voire les conflits de succession ne tarderont pas. L’UMP fournit au chef de l’État une nouvelle machine de pouvoir, dans une logique très personnalisée. On a beaucoup glosé sur le nom à donner à ce regroupement : « La Maison bleue ». Il aurait été plus simple de l’appeler « La Maison Chirac ». Quant au sigle UMP, sa vraie signification au stade actuel est surtout « un maximum de pouvoirs ». Bref, pour paraphraser Monsieur Raffarin, à l’UMP, la route risque d’être à droite et la pente forte.

Au sein de la majorité, le libéralisme économique, longtemps utilisé comme source identitaire face à une gauche taxée d’étatisme, n’est plus un élément fédérateur. Fort de ce constat, de quel ciment l’union de la droite est-elle faite ?
Attention ! Même si elle cherche à le cacher dans les mots, la droite reste cimentée par son libéralisme. Démantèlement des 35 heures, annulation de la loi de modernisation sociale, critique incessante de la fonction publique, suppression des emplois jeunes, tentative de casser la Sécurité sociale : toutes ces mesures ou ces arrière-pensées relèvent du libéralisme dur. Ajoutez-y le ciment antigauche et vous avez les principaux ingrédients du cocktail.

Certains évoquent un « mirage ». N’y a-t-il pas un risque de dérapages pouvant conduire à un éclatement entre les libéraux de DL, menés par Alain Madelin, les centristes et chrétiens-sociaux issus de l’UDF, les partisans du centralisme jacobin héritiers du gaullisme historique, et les « néochiraquiens » ?
On s’y perd et, effectivement, la droite -elle n’en a pas l’exclusivité- ne manque pas de sujets de discorde. Le problème, c’est qu’elle a aujourd’hui la responsabilité du pays. C’est une politique catégorielle, plutôt que conforme à l’intérêt général. Dès lors, le gouvernement passe une partie de son temps à éteindre les feux allumés par les ministres eux-mêmes ou par des parlementaires UMP. Jean-François Mattéi parle pour démentir Barrot qui souhaite que la Sécurité sociale distingue « petits » et « grands » risques. François Fillon parle pour contredire Francis Mer qui entend réformer les retraites, en créant des fonds de pension. Jean-Louis Debré parle pour contester la « décentralisation-bazar » de Jean-Pierre Raffarin. Gilles de Robien parle pour dénoncer la volonté des sénateurs UMP de réduire le nombre de logements sociaux. C’est surtout l’addition de l’immobilisme et du libéralisme. Les prochains dossiers abordés par le gouvernement, qu’il s’agisse des retraites ou du système de santé, permettront malheureusement de le vérifier.

Avec la création de l’UMP, la droite n’est-elle pas en train de réussir ce que la gauche et le Parti socialiste ne sont pas parvenus à réaliser jusqu’ici ?
En politique, il y a des cycles. Nous aussi, nous avions gagné, en 1997, en forgeant une majorité unie et ambitieuse face à une droite divisée. Et puis, notre majorité a peu à peu épuisé ses charmes, sa cohérence, sa cohésion. Comme tous les socialistes, je le regrette : la division et la dispersion conduisent à la défaite.
Le changement de sigle du RPR, l’approche des congrès de plusieurs partis de gauche, nos propres débats ne doivent pas nous conduire à nous replier sur nous-même et à négliger notre rôle d’opposants ; au contraire, nous devons être très offensifs envers la droite et sa politique, qui conduit à un recul économique et social, sans amélioration réelle et durable de la sécurité. J’insiste sur ce point, car c’est ce que nous demandent nos électeurs : soyons offensifs. Pour l’avenir, à nous de trouver un nouveau souffle et d’inventer une nouvelle architecture pour rassembler la gauche et reconquérir. Pour cela, le PS doit être à l’écoute des Français et il ne devra ni instrumentaliser ni chercher à soumettre ses partenaires, mais les respecter. Parce qu’il constitue la colonne vertébrale de la gauche, le PS a vocation à rassembler sur des valeurs et des priorités. L’expérience récente l’a montré - par exemple, en Allemagne, avec l’accord SPD-Verts -, plus qu’un simple agglomérat de partis, il faut un contrat de gouvernement, clair sur le fond et durable, avec un dessein pour le pays. C’est cette tâche qui est devant nous.

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