Pacs d'excuses !

Yann Galut
Point de vue signé par Yann Galut, député du Cher et Rémi Skoutelsky, historien, paru dans le quotidien Libération daté du jeudi 15 octobre 1998
 
Non, le vote de l'exception d'irrecevabilité du Pacte civil de solidarité, vendredi dernier, n'est pas une simple péripétie de la vie parlementaire. C'est un triste événement. Non pas à cause de la défaite politique que les députés de gauche se sont auto-infligée. Mais parce que le spectacle offert ce jour-là aux citoyens a desservi la démocratie.

Les députés se plaignent, à juste titre, de ne pas disposer d'assez de pouvoir dans notre système politique. Les électeurs en ont d'ailleurs de plus en plus conscience. Or, précisément, le Pacs est une proposition de loi d'initiative parlementaire. La possibilité offerte aux élus de légiférer à partir d'un projet issu de leurs rangs.

Vendredi dernier, la droite était dans son rôle. Il ne s'agissait pas pour elle uniquement de porter tactiquement la pression sur un supposé talon d'Achille de la gauche. Nous avons retrouvé, ce jour-là, une droite conservatrice défendant ses valeurs. On ne peut donc, en l'occurrence, l'accuser d'avoir couru après les voix du Front national en luttant contre le Pacs. Le missel brandi par Christine Boutin par-dessus son rang de perles n'est pas l'apanage de l'extrême droite. En revanche, les députés laïques qui scandent encore parfois, avec nostalgie, «à bas la calotte!» en fin de banquet, ont été, ce jour-là, les alliés objectifs des calotins. Mais le pire n'est pas là. Depuis des semaines, les pages de journaux se remplissent d'articles et de sondages d'opinion sur le Pacs. Celui-ci est devenu, en quelques jours, LE débat de société de la rentrée. La droite ne s'y est pas trompée. Lionel Jospin puis Elisabeth Guigou ont publiquement pris position en sa faveur.

L'instruction civique commence à la Chambre. En étant absents de l'hémicycle, certains députés ont donné l'impression qu'ils se désintéressaient de la question. Ils ont - certes à leur corps défendant - apporté de l'eau au moulin de l'antiparlementarisme. Ils risquent d'avoir renforcé une génération entière - les moins de 35 ans favorables à une majorité écrasante, une majorité comme on en rassemble peu sur les questions de société - dans leur méfiance de la politique.

Triste journée pour la république.

Pourquoi les députés de gauche étaient-ils absents ?

On a évoqué l'imprévoyance des organisateurs de ce qui s'est révélé un non-débat.

Mais aussi fallait-il, pour promouvoir le Pacs, commencer par expliquer, sur la défensive, ce qu'il n'était pas ? Pas vraiment de quoi galvaniser un groupe parlementaire...

Et puis ce « vendredi noir » a offert un concentré des dysfonctionnements de notre système pseudo-parlementaire. La conjonction de l'écrasement du législatif par l'exécutif et de l'élection au scrutin majoritaire a transformé le député en « superassistante sociale ». Le cumul de sa fonction avec un mandat local le détache un peu plus de son rôle national.

La présence de l'élu sur le terrain est fondamentale. Evidemment, il doit être à l'écoute de l'électeur et l'aider, dans la mesure de ses «faibles» moyens. Mais, en faisant passer les rendez-vous et obligations de circonscription avant la participation à un débat de société, certains députés ont intériorisé la dévalorisation de leur fonction, oubliant que leur premier devoir est de légiférer.

Enfin, reste les députés, certes extrêmement minoritaires, qui ne voulaient pas assumer le vote d'un tel projet, pourtant soutenu par plus de un Français sur deux. Ils se répartissent en deux catégories: les partisans du Pacs craignant d'être désavoués par leurs électeurs; et les opposants au projet. Aux premiers nous disons ceci. Nous appartenons à une génération militante qui s'est intéressée pour la première fois au débat politique en voyant à la télévision le duel Giscard-Mitterrand, lors de l'élection présidentielle de 1981. Elle y a vu un candidat socialiste, réaffirmer, sans ciller, qu'une fois élu il abolirait la peine de mort, alors que l'on venait de lui rappeler qu'une majorité de Français y était hostile. Et il fut élu.

La frilosité n'est jamais payante en politique. Aucun électeur de droite hostile aux Pacs ne sera gré à un élu d'avoir, par crainte d'être battu aux élections, mis ses convictions dans sa poche. Aucun électeur de gauche, même défavorable au projet, ne le jugera plus sur celui-ci que sur l'évolution de la courbe du chômage dans son département. Comme l'a dit le Premier ministre, lorsque l'on a des convictions il faut se mobiliser pour les défendre. Les citoyens attendent cela de leur député.

Les opposants de gauche au projet sont soit homophobes - et leur cas sort de notre domaine de compétence - soit, craignant que le Pacs remette en cause le mariage, ils ont alors vraiment bien peu confiance dans la force de celui-ci! Surtout, ils sont en décalage complet avec la société civile. Tout simplement parce que le fait, ici, précède le droit. Les homosexuels vivant en couple sont de plus en plus nombreux - et, n'en déplaise aux virtuoses de la circonvolution verbale, c'est d'abord pour eux que le Pacs a été conçu. Mais parce que nous sommes en république, cette avancée sociale doit profiter aux millions de couples qui ne veulent pas, pour de multiples raisons, s'engager dans les liens du mariage.

C'est de cela, et de rien d'autre, qu'il s'agit. Nous ne reviendrons pas ici sur les différentes modalités pratiques du Pacs, qu'il faudra améliorer lorsque le projet repassera devant l'Assemblée. Sauf sur un point. En étendant aux collatéraux le bénéfice de ce pacte, ultime concession à ses adversaires, les parlementaires le videraient de son sens: la reconnaissance d'une solidarité matérielle et morale d'un couple, fondée sur le lien affectif. Rien n'interdit de légiférer, par ailleurs, sur les problèmes d'ordre économique propres aux fratries.

Finalement, la grande leçon de vendredi dernier est que les partisans du Pacs ont eu trop confiance dans leurs députés! Il ne suffit pas d'avoir de bonnes idées et de chercher à en convaincre le législateur. Dans le cas du Pacs, comme dans les autres, il n'y a pas de progrès social sans mobilisation sociale.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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