Pour des services publics modernes, au service de la justice sociale

Bernard Roman

 Contribution thématique au congrès national du Mans présentée par Pierre Cohen, député de la 2ème circonscription de Haute-Garonne, Catherine Genisson, députée de la 2ème circonscription du Pas de Calais, Jean Glavany, député de la 3ème circonscription des Hautes-Pyrénées, Marylise Lebranchu, députée de la 4ème circonscription du Finistère, Didier Guillaume, président conseil général de la Drôme et François Kalfon, membre du conseil national (juillet 2005).

 
Depuis 2002, la droite détruit méthodiquement et avec détermination le service public. Face à ces attaques, le parti socialiste s’est trop longtemps contenté d’être sur la défensive. Nous devons aujourd’hui trouver les réponses aux questions qui ont été posées dans la campagne référendaire. Le résultat du 29 mai a permis de prendre la mesure de l’importance des inquiétudes qui taraudent les Français : que faire des grands services publics industriels et commerciaux ? quel maillage territorial ? comment maintenir et développer des services publics forts dans un contexte de mondialisation ? A de nombreux titres l’avenir apparaît angoissant. Loin d’éluder le débat il est temps pour nous d’apporter des réponses claires, faire le point sur notre doctrine, tracer à grands traits les axes de nos propositions.

En effet nous ne pouvons plus nous contenter de défendre l’existant. Le « ni ni » à vécu.

Il est temps de proposer une vision : le service public est le fer de lance de la régulation face au libéralisme, un contrepoids citoyen et politique aux forces du marché. Facteur d’efficacité économique et de cohésion sociale nous entendons démontrer la modernité de ce concept face aux défis qui sont les nôtres. Parmi les socles fondamentaux qui définissent notre République, les services publics occupent une place centrale. A chaque fois qu’ils sont attaqués, on prend alors la mesure de l’attachement des français à ce pilier essentiel de notre pacte républicain dont les briques ont été scellées à des moments importants de notre histoire sociale (IIIème République, Front populaire, Libération…). Or la pression libérale d’où qu’elle vienne (Medef, Europe, pensée économique dominante….) se fait chaque jour plus pressante.

Pour nous socialistes les services publics constituent précisément l’élément qui distingue une société de marché d’une économie de marché, un outil au service de notre volonté politique. Il s’agit bien d’associer une gestion différente de celle du marché à la réalisation d’objectifs politiques, de restaurer la primauté du politique sur l’économique sur la base de valeurs que peut véhiculer le service public par les services rendus aux citoyens. Là où les libéraux ne voient que des citadelles à prendre, des secteurs entiers de l’économie à jeter en pâture aux actionnaires qui cherchent des dividendes rapides, le service public est plus que jamais nécessaire pour construire une société plus juste.

C’est une création originale qui a fortement contribué au progrès social et économique, et qu’il s’agit de défendre mais aussi de développer, de promouvoir et bien sûr de moderniser.

Nous affirmons notre haute ambition : développer les services publics dans une vision offensive englobant les secteurs là où ils sont aujourd’hui nécessaires. Parce que les services publics sont au cœur de l’identité socialiste et constituent un pilier sous-tendant tout projet de transformation sociale, nous refusons d’en véhiculer une vision conservatrice ou passéiste. Parce que nous en avons une vision exigeante les services publics doivent bouger !


1. Une vision offensive du service public

 

Le service public au cœur de la citoyenneté

Le fonctionnement du marché réduit l'homme à un rôle de consommateur, conduit à l'abandon des territoires, et fait fi de la notion de société. Le service public est un instrument de combat contre ces menaces. Il place au cœur de notre société la citoyenneté et l'intérêt général.

Des droits formels aux droits réels

Le service public est l’outil qui permet de passer des droits formels proclamés à des droits réels pour tous : il n’y pas de droit à l’éducation possible pour tous sans service public d’éducation, pas de droit au logement pour tous sans service public du logement, pas de droit à la sécurité pour tous sans police républicaine.

Satisfaire les besoins fondamentaux
Alors que le marché interdit l’accès aux moins favorisés d’entre nous à des besoins fondamentaux et délaisse des secteurs essentiels au motif qu’il ne sont pas rentables, le service public participe d’une tout autre logique. Une société doit faire en sorte que les besoins de ses citoyens soient satisfaits, surtout ceux des perdants du libéralisme qui subissent son intolérance. C’est un des rôles essentiels du service public.

Le service public, c’est l’égalité
Il assure la cohésion sociale : le service public, c’est le socle de droits fondamentaux garantis à ceux qui perdent peu à peu leur emploi, leur statut, leur pouvoir d’achat. Il assure la cohésion territoriale : le service public est présent sur l’ensemble des territoires, des plus isolés à ceux qui traversent des crises, parce que, quel que soit le lieu, les droits inséparables de la citoyenneté doivent être réels. La République n’est pas présente par intermittence.

Le service public différencie l’économie de marché de la société de marché
Le service public a un fonctionnement résolument différent et répond à des logiques inconciliables avec la recherche du profit : c’est ce que la puissance publique décide de garder hors du marché. Il est de la responsabilité de la puissance publique, et d’elle seule, de décider ce qui doit intégrer le champ du service public en fonction des besoins des citoyens, et de décider des objectifs, des moyens et du fonctionnement du service public. C’est à la puissance publique de faire en sorte que le service public soit efficace, c'est-à-dire au service de tous et conforme à ses missions, partout, tout en utilisant ses ressources de façon efficace.

Les services publics ne sont plus aujourd'hui à la hauteur de ce que les citoyens sont en droit d'en attendre

Force est de constater que le service public n’est pas à la hauteur de ces ambitions. Certains services publics ne sont plus en capacité de remplir leurs missions : ANPE, logement, enseignement supérieur, hôpital, justice… D’autres, en particulier certaines entreprises publiques, ne les remplissent plus se contentant de répondre imparfaitement à des critères de gestion strictement financiers, soit parce qu’il s’affranchissent de la tutelle pour fonctionner comme des entreprises capitalistes, soit parce que le pouvoir politique renonce ou n’encadre pas assez leur action. Pire la présence territoriale du service public s’effrite, ce qui ne fait qu’aggraver la fracture territoriale que nous devons combattre.

Prendre la mesure des évolutions, tirer des bilans lucides pour rénover le Service Public

Protéger le service public de la mise en concurrence et de la libéralisation
Le vote du 29 mai a révélé les craintes vis-à-vis de la construction européenne et de la concurrence. En effet, sous prétexte de réaliser le marché intérieur, la politique de la concurrence grignote peu à peu le service public au nom d’une idéologie qui refuse la voie du secteur public. Il est à craindre que le service public ne se réduise à ses missions régaliennes. Au pouvoir, nous n’avons certainement pas été assez vigilants face à ces évolutions, que nous n’avons pas su anticiper et dont nous n’avons pas su prévoir les effets. Aujourd’hui, nous ferions une erreur en nous contentant de défendre un existant déjà insuffisant : alors que les entreprises publiques, échappant au contrôle de la puissance publique, jouent de moins en moins leur rôle de service public en France et se comportent de plus en plus comme des multinationales à l’étranger, nous devons redéfinir leurs missions dans le cadre concurrentiel et s’assurer qu’elles se limitent à agir dans le cadre déterminé par le politique ; c’est en montrant leur utilité en dehors du marché que nous pourrons mieux défendre les services publics face à la concurrence et les protéger de la prédation du marché. En préalable à toute défense des services publics, l’Etat doit être un propriétaire exemplaire d’entreprises publiques.

Notre position doit être clairement posée : garder les grandes entreprises publiques et les grands établissements publics industriels et commerciaux dans la propriété de l’Etat et leur interdire de concurrencer les services publics étrangers. Il faut dès maintenant poser les limites de ce qui ne peut faire l’objet de privatisation et/ou de mise en concurrence
.

Les libéralisations ne bénéficient pas aux citoyens
En outre bien souvent, l’ouverture à la concurrence des services industriels s’est traduite par la construction, au fil des concentrations, d’oligopoles privés s’entendant sur les tarifs; les baisses de prix promises aux consommateurs ont été de vains mots (c’est d’ailleurs l’inverse qui s’est produit). Ils bénéficient d’un rapport de force favorable face à la puissance publique et sont bien représentés dans des secteurs délégués comme l’eau, la restauration collective, le transport. Ce mouvement détruit par ailleurs peu à peu l’équilibre financier des entreprises publiques : en livrant au privé les activités bénéficiaires, il empêche par l’écrémage, la mise en oeuvre efficace de services qui, par nature, ne peuvent être rentables.

Le bilan mitigé des délégations de service public

De plus en plus de services publics sont délégués au secteur privé. Nous devons tirer un bilan lucide de cette réalité. Certes, les DSP permettent de pallier un défaut d’argent public ou d’organisation territoriale. Toutefois, force est de constater que le contrôle exercé par la puissance publique reste bien moindre que dans le cas d’une régie. La mise en concurrence systématique, au détriment des régies, restreint les moyens dont dispose la puissance publique. D’autre part, l’échec des partenariats public/privé en matière d’investissement au Royaume-Uni démontre les limites de cette formule.

Le renouveau du socialisme municipal
Les collectivités locales jouent un rôle essentiel en matière de service public. Plus proches des besoins des citoyens, les élus locaux participent pleinement à la rénovation du service public en étendant son périmètre. Bien souvent, les services publics locaux sont au cœur des démarches de développement territorial. Face à la mondialisation libérale qui fait du monde une marchandise et conduit à l’abandon des territoires, et au retrait de l’Etat, ils constituent un rempart contre les effets néfastes de la globalisation.


2. Donner un nouveau souffle au service public

 

Réorganiser le service public

Donner aux agents publics la reconnaissance qu’ils méritent
Les agents publics sont maltraités par la droite, alors qu’ils constituent la première richesse de notre service public. Il est aujourd’hui nécessaire de faire participer à la gestion des services publics ces hommes et ces femmes qui sont souvent très impliqués dans leur travail.

Le dialogue social doit devenir une réalité dans la fonction publique. La mise en place de mécanismes d’accords syndicaux majoritaires constituerait un apport indéniable. Il y a urgence à maintenir le statut des fonctionnaires, indispensable au regard de la particularité des missions qu’ils exercent, tout en l’adaptant aux exigences nouvelles d’un service public rénové. Cela passe par le nécessaire décloisonnement des corps de fonctionnaires et par la mise en place d’une vraie politique de ressources humaines impliquant notamment un comportement exemplaire de l’Etat en matière de résorption de la précarité de l’emploi public. La définition des métiers et les passerelles entre la fonction publique d’Etat et la fonction publique territoriale feront l’objet d’une vraie négociation sociale.

Ouvrir les portes de la démocratie participative au niveau du service public
Les citoyens n’ont que peu de prise sur le fonctionnement du service public. Ils doivent être associés plus étroitement à la gestion de ses organes, pouvoir se les approprier et contrôler l’exercice de leurs missions.

Bâtir une efficacité de gauche du service public
L’accent doit être mis sur l’efficacité du service public et investir dans les secteurs qui souffrent d’un manque cruel de moyens. Cela passe probablement par des hausses d’impôts justes : l’investissement public nécessite des moyens que les contribuables lui apportent. Les pays qui peuvent se prévaloir de services publics de qualité et d’un haut niveau de développement humain sont en effet ceux qui ont le plus haut niveau de prélèvements obligatoires. L’impulsion donnée par la LOLF doit être poursuivie : l’argent public doit être utilisé efficacement et démocratiquement. Alors que la droite n’envisage l’efficacité que sous l’angle de la recherche d’économies afin de baisser les impôts des plus riches, nous devons promouvoir une vision de gauche de l’efficacité reposant sur un bon usage des deniers publics permettant d’atteindre les objectifs assignés au service public et d’améliorer constamment la qualité du service rendu. Cet axe de progrès doit constituer l’objectif permanent d’un service public dynamique.

Elaborer une méthode de la réforme
Nous ne pourrons pas réorganiser le service public sans une méthode de la réforme. Les carences en la matière nous ont laissé de douloureux souvenirs. Il faudra donc préciser les finalités de nos réformes, et associer agents, élus et citoyens au diagnostic, au suivi de la mise en oeuvre en passant par l’élaboration des axes politiques. C’est ainsi que nous pourrons impliquer et faire participer toutes celles et ceux qui seront concernés directement par nos politiques.

Des citoyens à l'Europe, construire un service public conquérant

Relancer la réflexion sur le périmètre du service public
Aujourd’hui, l’accès à Internet, l’accès au compte bancaire, les structures d’accueil pour la petite enfance… sont autant de besoins fondamentaux que tout citoyen doit pouvoir satisfaire. Le parti socialiste au pouvoir devra créer de nouveaux services publics. Les élus locaux se sont déjà engagés dans cette voie. L’évaluation des besoins sociaux doit donc être au cœur de la refondation du service public. Il relève bien de la puissance publique de décider du périmètre du service public. La notion de respiration est essentielle car l’objet de certaines missions évolue (le travail des douanes n’a plus le même sens aujourd’hui dans un espace européen unifié…) tandis que de nouvelles missions se font jour. Demain, il faudra massivement renforcer l’administration électronique et faire évoluer ses missions en conséquence.

Le service public au centre de notre vision politique
Nous proposons la tenue d’assises du service public ayant pour but de dresser un état des lieux du service public en France et des besoins des citoyens qui pourraient déboucher sur une loi d’orientation et de programmation. Pour remettre la puissance publique au cœur de la réflexion, cette démarche devra se prolonger par la création d’un office parlementaire des services publics sur le modèle de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques chargé de :
     contrôler effectivement le fonctionnement des services publics,
     étudier les besoins sociaux pour réfléchir sur l’évolution du périmètre et à la pertinence des critères,
     élaborer une grande loi de programmation et d’orientation du service public fixant les critères, les objectifs et les moyens.
Enfin, les services publics doivent être mieux définis dans le droit positif. Le Conseil Constitutionnel a depuis longtemps consacré l’existence de « services publics constitutionnels », il reviendra aux socialistes de les définir.

Faire preuve de volontarisme politique
Cinq ans c’est le temps d’une législature, c’est le temps que nous fixerons pour résorber la fracture territoriale. Nous devons nous attaquer à la question du maillage territorial qui est essentielle. Elle nous est apparue avec force d’évidence le 29 mai et s’est traduite par une fracture électorale. Les campagnes sont aujourd’hui désertées par les services publics, les quartiers sensibles cumulent tous les handicaps…. Certes, pour des raisons de bon usage de l’argent public et d’évolution démographique, la densité de services publics ne pourra plus être aussi élevée que dans le passé, pour autant il faudra maintenir une présence forte de services publics dans ces territoires. En la matière il faut être ferme sur les objectifs : il s’agit bien de renforcer les services publics dans les territoires qui présentent un risque de relégation territoriale, c’est une exigence républicaine ! Il faut être imaginatif sur les solutions : maisons de services publics, maintien de services existants, voire développement de nouveaux services mais aussi garant du bon équilibre de la dépense publique et clair sur les délais. L’objectif de résorption de la fracture territoriale ne peut se diluer et se dissoudre dans des calendriers improbables.

La création de Maisons des services publics, outil d’aménagement du territoire, sera l’un des éléments d’une politique de proximité du service public. Cette solution transversale constitue sans nul doute une réponse efficace au départ progressif des services publics, secteur par secteur, dans certains territoires (et grâce à la péréquation des recettes).

Nous n’avons pas seulement une obligation de moyens mais une obligation de résultats. Nous devrons résorber la fracture territoriale par un schéma d’aménagement des services publics contractualisé par l’Etat au niveau territorial.

Prolonger notre démarche au niveau européen et mondial

Notre exigence de services publics modernes et protecteurs, constituera plus nettement qu’hier notre feuille de route au niveau européen et mondial. L’élaboration d’une directive cadre européenne sur les services publics est un objectif prioritaire : on a trop laissé le soin à la Commission et à la Cour européenne de justice de définir en négatif les services publics en Europe. Il faut aujourd’hui donner un coup d’arrêt aux libéralisations. C’est à la puissance publique européenne qu’il reviendra de définir en positif ce que sont les services publics pour les protéger de la concurrence et de l’appétit du marché et de préparer l’avènement de services publics européens destinés à gérer les biens publics de notre continent, étape indispensable à la construction d’un vivre ensemble européen social et politique.

De même, au niveau mondial, nous devons d’ores et déjà préparer la négociation de l’Union européenne à l’OMC en proposant un catalogue le plus extensif possible de « services gouvernementaux » qui ne sauraient être livrés au marché mondial.

Par une démarche à la fois citoyenne et participative et politique nous réussirons à faire du service public une priorité nationale. En matière de service public, nous devrons être exemplaires : dire ce que nous ferons et faire ce que nous dirons.


Conclusion

 
En 2007, les Français attendent de nous des objectifs clairs, des positions fermes et des propositions précises. En conséquence, nous devons donner toute sa place au service public le mettre au cœur de notre projet socialiste, au service de la justice sociale et au service des citoyens.


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