PAC :
la réforme indispensable

Jean Glavany


Point de vue signé par Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées, paru dans le quotidien Le Monde daté du vendredi 3 août 2002


 
Même si mon propos n'est pas dans l'air du temps ni dans la mode de tous ceux qui crient systématiquement haro sur tout ce qui vient de Bruxelles sous prétexte que ça serait par essence technocratique, je veux dire mon sentiment avec franchise sur les propositions faites, au nom de la Commission européenne, par Franz Fischler pour la réforme de la politique agricole commune (PAC).

Eh quoi ! cela fait des années qu'un certain nombre d'entre nous nous battons pour le découplage des aides de la PAC par rapport à la production, afin de lutter contre le productivisme, pour le développement des aides et leur modulation afin d'aider plus ceux qui en ont le plus besoin, c'est- à-dire les petites exploitations familiales, pour le transfert des aides du premier pilier (les aides de marchés) vers le deuxième (le développement rural) afin de mieux prendre en compte la diversité de nos régions, de nos territoires, de nos productions, de nos exploitations, pour l'écoconditionnalité pour encourager les bonnes pratiques agricoles respectueuses de l'environnement... et nous bouderions notre plaisir aujourd'hui devant les propositions de la Commission ? Moi, je ne change pas d'avis. Et je dis que le gouvernement et les organisations professionnelles agricoles majoritaires font une double faute sur le fond et une triple erreur sur la méthode.

Double faute sur le fond. La première, c'est d'argumenter sur le thème " si on met en œuvre cette réforme, ce sont des centaines de milliers d'exploitations qui seraient menacées de disparition ". Quelle honte et, en même temps, quelle dérision d'employer de tels arguments ! Car enfin : des centaines de milliers d'agriculteurs menacés de disparaître, ce n'est pas une nouveauté pour demain, c'est une réalité déjà vécue hier et avant-hier. Et ce qu'on se garde bien de dire et de préciser, c'est quels agriculteurs disparaissent depuis trente ou quarante ans ? C'est là qu'il faut être clair : ce sont les petites et moyennes exploitations familiales qui disparaissent depuis des décennies sans que personne dans les rangs conservateurs ne trouve à y redire. Et pourquoi ces petites exploitations disparaissent-elles ? Parce que ce sont les plus fragiles, bien sûr, mais aussi parce que le système des aides de la PAC est inadapté et injuste dans la mesure où il est proportionnel à la production : " Plus tu produis, plus tu touches ", tel est le principe qui s'est transformé en " Plus tu as d'hectares, donc plus tu produis et plus tu touches ". Et c'est comme cela que 80 % des aides vont à 20 % des exploitations, les plus grosses. C'est pourquoi on nous ment et on cherche à nous tromper quand on nous dit que la remise en cause de ce système inique menacerait de disparition des centaines de milliers d'exploitations. Ce n'est pas vrai ! La remise en cause de ce système permettrait de mieux aider la petite et moyenne exploitation familiale.

Deuxième faute sur le fond : l'éternelle rengaine selon laquelle " ce ne sont pas des subventions que nous voulons, ce sont des prix rémunérateurs ". Voilà une phrase simple qui résonne positivement à l'oreille des agriculteurs ! Dommage qu'elle soit gâchée et contradictoire quand elle est complétée : " Ce ne sont pas des subventions que nous voulons mais des prix rémunérateurs... Donc, pas touche à nos subventions ! " Quelle contradiction...
Tout le monde rêve de prix rémunérateurs. Mais qui fixe les prix ? la FNSEA ? MM. Gaymard, Raffarin ou Chirac ? Non, c'est le marché, et c'est quand même un comble que ce soit un socialiste qui le rappelle. C'est le marché mondial, sur lequel l'agriculture française est la deuxième puissance exportatrice du globe, la première même si l'on parle de produits agricoles transformés. Et c'est pourquoi, plutôt que de s'en tenir à ces raisonnements démagogiques, on ferait mieux d'assumer les subventions : oui, l'agriculture européenne et française en particulier doit être subventionnée ! C'est le prix que la société doit payer pour avoir un monde rural vivant, productif, aménagé et aménageur, répondant aux attentes des citoyens. Et on en revient alors au point précédent : reste à construire des subventions justes et efficaces par rapport aux attentes de la société. C'est l'enjeu. Car on n'aide pas de la même manière la grosse exploitation céréalière qui se bat à l'exportation sur le marché mondial et le petit éleveur de montagne qui se bat... pour boucler ses fins de mois. A trop défendre les premiers, on laisse crever les seconds.

A ces deux fautes sur le fond, le gouvernement ajoute trois erreurs de méthode. La première à l'égard de nos partenaires européens : la France ne doit pas s'isoler dans une position défensive et conservatrice ! Elle doit être force de proposition : sur les organisations communes de marché, nous devons nous battre, par exemple, non pas sur la défense des aides, mais sur les régulations de marché ou des maîtrises de production plus efficaces ! Elle doit rentrer dans la discussion, et cesser de considérer que les autres n'ont le droit que de payer et se taire. Il paraît, messieurs du gouvernement, que vous en seriez à l'humilité et la modestie... Prouvez-le, en commençant par respecter nos partenaires européens.

Seconde erreur, à l'égard des pays candidats à l'adhésion : qui peut et veut leur faire croire que le système d'aides de la PAC peut être conservé en l'état et qu'ils pourront y émarger plein pot ? C'est budgétairement irréaliste. Il paraît, messieurs les gouvernants, que la situation budgétaire française et européenne serait dégradée et que la lutte contre les déficits " redeviendrait une priorité "... Prouvez-le ! Et d'ailleurs, faut-il encourager ces pays candidats à se précipiter vers un productivisme qui n'est plus de saison   Non, c'est de développement rural que ces pays ont besoin.

La dernière erreur est à l'égard des pays du tiers-monde : la PAC y est mise en accusation pour ses aspects protectionnistes. Alors, adressons-leur un signe fort et attendu. Il paraît, messieurs du gouvernement, que l'aide au développement " redeviendrait une priorité nationale "... Prouvez-le !

Le débat sur l'avenir de la PAC est un débat profondément politique : ou bien l'on reste sur une position purement conservatrice et de défense de certains privilèges, ou bien l'on se met en recherche d'une politique répondant mieux aux attentes profondes de la société. Il faut aborder ce débat dans la clarté démocratique. Cela suppose que, comme nous y invitait le président de la République le 14 juillet, on change nos habitudes et qu'on participe directement à la reconquête du civisme par les vertus de l'exemple des élus. Un exemple que ne manquera pas de donner le président lui-même, j'imagine. Changer ses habitudes, c'est rompre d'abord avec la démagogie : j'en ai assez d'entendre des politiques dire " on va baisser les impôts " sans dire quelles dépenses de l'Etat ils vont ainsi sacrifier ; j'en ai assez d'entendre des politiques dénoncer " les technocrates de Bruxelles ", comme si les décisions prises là-bas n'étaient pas prises exclusivement par les politiques. A eux, à nous d'assumer.
© Copyright Le Monde


Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]