Pacs :
défense de la gauche

Jean Glavany
Point de vue signé par Jean Glavany, vice-président de l'Assemblée nationale, paru dans le quotidien Libération daté du mercredi 14 octobre 1998


 
Étrange situation : depuis vendredi dernier tout le monde est favorable au Pacs ! Oui, tout le monde, puisque tout le monde critique la gauche qui ne l'a pas adopté... On se trouve ainsi devant ce curieux paradoxe qui fait accuser ceux qui n'ont pas pu et exonère totalement ceux qui, d'une façon active et virulente, ont combattu le Pacs. Oublié le missel de madame Boutin dans l'hémicycle, bafouant la séparation de l'Eglise et de l'Etat, bafouant la laïcité républicaine, oubliés les propos homophobes des élus de droite, oubliés les excès rétrogrades. Une seule accusée : la gauche soit, défendons-la, alors.

Faux semblants. Pour défendre, commençons par balayer les fausses explications avancées ça et là.

- La droite n'est pas devenue majoritaire vendredi, contrairement à ses cris de victoire. Si j'avais un conseil à donner à ces beaux esprits, ce serait de regarder de près les résultats des quatre élections cantonales partielles de ce week-end : monsieur Séguin y découvrira le gouffre qui sépare ses « coups de Menton » et le pays électoral réel !

- La gauche, certes, a failli. Mais elle n'est pas défaite: elle a subi un contretemps et ce contretemps est fâcheux. Il lui appartient donc de se ressaisir, de se mobiliser mieux, de ne pas sous-estimer la droite, toujours prête à tout et, parfois, à n'importe quoi. Je me souviens en souriant de nos débats au bureau national du PS, où quelques esprits angéliques nous annonçaient: «La droite va se diviser sur ce projet»... les voilà servis !

Mais auparavant, trois autres faux-semblants me paraissent devoir être balayés:

«Ce faux pas serait le fruit naturel des réticences de la gauche.» Tu parles. Faut-il rappeler que cette mesure figurait au programme de Lionel Jospin en 1995, dans celui des socialistes en 1997? Faut-il surtout rappeler que nous discutons là non pas d'un projet de loi d'origine gouvernementale mais d'une proposition de loi du groupe socialiste à l'Assemblée ?

Le débat sur le cumul des mandats ne tient pas la route non plus : dans l'hémicycle, vendredi, il y avait bien des cumulards et parmi les absents bien des non-cumulards. Tel n'était pas le problème véritablement.

Quant au fait que ce texte était important, je n'en disconviens pas non plus. Mais tous les textes sont importants ! Lundi et mardi nous avons débattu de la loi d'orientation agricole, mercredi et les jours suivants, des impôts de 99, deux autres textes importants...

Ubiquité. L'explication simple tient aux mécanismes de la démocratie représentative: un député est élu par des électeurs pour les représenter au Parlement. Il lui faut donc, en permanence, être à la fois sur le terrain au contact de ses électeurs et dans l'hémicycle pour faire la loi. Terrible ubiquité ! Et de fait, le député est soumis à un arbitrage permanent visant à se partager en deux: moitié de son temps à l'Assemblée, moitié parmi ses électeurs.

Pour faire face à cette difficulté, les groupes parlementaires, et le groupe socialiste en particulier, ont recours à une solution pragmatique : les permanences ou tour de garde comme dans les services d'urgence des hôpitaux ou les services de sécurité civile... Prenons-en acte et tirons les vraies leçons, pas les fausses.

Quelles sont donc les vraies questions ?

Une minorité peut-elle devenir majorité ?

Voilà un point qui semble avoir échappé aux analystes et aux commentateurs: par quel mécanisme antidémocratique une minorité peut-elle devenir majorité ? Pourquoi «antidémocratique» ? Parce que la loi doit être l'expression de la volonté générale et non pas celle d'une minorité. En l'occurrence, la volonté générale a voulu une majorité de gauche pour cinq ans et on peut même dire que sur le Pacs elle s'exprime d'une façon très positive.

Pourquoi dis-je cela ? Parce que le respect de la règle majoritaire est au cœur de la tradition parlementaire et que là, elle a été bafouée. On me rétorquera «les absents ont toujours tort». Mais la chose démocratique n'est pas si simple... D'ailleurs, jusqu'à un passé récent, notre Assemblée avait adopté un dispositif de vote électronique: on voyait alors quelques députés votant pour l'ensemble de leurs collègues en se déplaçant dans les travées pour actionner les clefs. Ainsi, en cas de scrutin public, la majorité politique était assurée malgré une présence minoritaire. La «dictature de l'image» avait amené Philippe Séguin à proposer la suppression de ce système dans la précédente législature. On en paie le prix aujourd'hui.

Démocratie bafouée. Mais cette tradition parlementaire de respect de la règle majoritaire va plus loin. Je me souviens de Pierre Mazeaud, aujourd'hui membre du Conseil constitutionnel, qui me disait: «La majorité, c'est la majorité, on ne peut pas biaiser avec ça. Il m'est même arrivé, dans l'opposition, alors que nous étions majoritaires dans l'hémicycle, de dire à des collègues "sortons, nous ne pouvons pas être majoritaires, ce n'est pas ce qu'a voulu le peuple".» Une telle hauteur de vue est rare et c'est bien regrettable. Elle n'a, par exemple, rien à voir avec l'attitude d'un Jean-Louis Debré qui, l'an dernier, à l'issue d'une défaillance du système de vote électronique, avait transformé la gauche - majoritaire dans l'hémicycle - en minorité, disait hilare, «le vote est le vote, peu importe ce que l'on constate». Où l'on passe de la hauteur de vue à la démocratie bafouée.

Au-delà, interrogeons-nous sur la réforme proposée, là encore, par Philippe Séguin dans la précédente législature : il fallait mettre en œuvre la session unique pour mieux organiser le travail des députés sur l'ensemble de l'année. Une réorganisation du travail parlementaire fondée sur l'annualisation: travailler plus sur l'année pour travailler moins chaque semaine... et, en particulier, concentrer le travail parlementaire sur les mardi, mercredi, jeudi. Cette réforme a été totalement détournée: cette semaine, on nous proposait de travailler sept jours sur sept! Quand on légifère trop, on légifère mal.

Petit soldat. Le Parlement débat de deux types de textes, les projets de loi d'initiative gouvernementale et les propositions de loi d'initiative parlementaire. Mais de par la Constitution de 1958, c'est le gouvernement qui a la maîtrise de l'ordre du jour. Et, de fait, quels que soient les progrès, l'initiative parlementaire est bridée: il est quand même significatif qu'elle soit «reléguée» au vendredi, jour de moindre présence des députés. C'est-à-dire limitée dans le temps. On débat alors, traditionnellement le vendredi, de textes simples et courts. Pour une fois qu'on avait un texte «lourd», l'expérience n'est pas concluante.

Ce genre d'incident pose un problème plus vaste et plus simple : quelle place veut-on donner au Parlement dans notre Constitution ? Celle de 1958 a inventé le parlementarisme «rationalisé». Tellement rationalisé que la pratique l'a, de fait, étouffé, bafoué. Si l'on veut que le député vienne plus souvent dans l'hémicycle y remplir sa mission commençons par réévaluer cette mission ! Et revenons sur quarante ans de pratique qui l'ont transformé en petit soldat obéissant et soumis. Il faut, en particulier, &aquo;débrider» l'initiative parlementaire et légiférer moins pour légiférer mieux. Il faut aérer notre vie démocratique en renforçant le pouvoir du Parlement pour dépasser des incidents mineurs mais significatifs.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
© Copyright Libération.com


Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]