Traité constitutionnel :
Pour un " oui " socialiste de raison

Jean Glavany


Point de vue signé par Zorah Ait-Maten, membre du bureau fédéral du PS du Rhône, René Beauverie, adjoint au maire de Vaulx-en-Velin, conseiller du Grand Lyon, Daniel Boisserie, député de Haute-Vienne, Gilbert Chabroux, sénateur honoraire, ancien maire de Villeurbanne, Jean-Paul Chanteguet, député de l'Indre, Pierre Cohen, député de Haute-Garonne, Yvon Deschamps, adjoint au maire de Lyon, membre du conseil régional de Rhône-Alpes, François Dose, député de la Meuse, Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées, Didier Guillaume, président du conseil général de la Drôme, Patrick Lemasle, député de Haute-Garonne, Michel Liebgott, député de Moselle et Hélène Mignon, députée de Haute-Garonne, paru dans le quotidien Le Monde daté du 9 novembre 2004


 
Le débat qui mobilise le Parti socialiste sur le projet de traité constitutionnel européen est un débat digne et sérieux qui mérite une longue et profonde réflexion. Les signataires de ce texte ont en commun d'avoir longtemps hésité, comme beaucoup de militants, et de considérer qu'au fond il y a presque autant de bonnes raisons de voter " oui " que " non ".

Voter l'un ou l'autre, nous l'affirmons, ne heurterait aucun de nos principes politiques ou de nos convictions.

C'est pourquoi, fondamentalement, nous réfutons l'idée selon laquelle ce débat serait un débat identitaire. Nous réfutons l'idée que le " oui " ne serait pas identitaire sous prétexte que la droite va s'y engager, et nous réfutons tout autant l'idée que le " non " ne le serait pas puisque les extrêmes de droite et de gauche s'y retrouvent. Notre conviction est que l'identité socialiste est faite d'un partage subtil entre le " oui " et le " non ".

Nous avons envie de dire " oui "... par engagement historique, par continuité avec Jaurès, Blum et Mitterrand, par volonté d'être en harmonie avec nos chromosomes politiques, qui sont fondamentalement pro-européens, par choix d'engranger les avancées qui figurent dans le texte, même si elles nous paraissent modestes.

Et, en même temps, nous avons envie de dire " non "... par insatisfaction devant l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui et face au projet de traité, qui n'est pas, loin s'en faut, à la hauteur de notre idéal. Nous affirmons que l'hésitation est donc bien naturelle chez les socialistes.

C'est à ce titre que nous souhaitons, d'ailleurs, adresser quatre recommandations aux acteurs de notre débat :
     D'abord, évitons les arguments d'autorité et les emphases. Il y a déjà eu trop de choses inacceptables de dites. Que ce soit " oui " ou que ce soit " non ", nous ne quitterons pas le Parti socialiste. Que ce soit " oui " ou que ce soit " non ", ce ne sera pas une capitulation. Que ce soit " oui " ou que ce soit " non ", ce ne sera pas l'Europe couchée devant Bush.

    Tout cela n'est pas digne de notre organisation politique et exaspère les militants. Si nous pouvions obtenir une désescalade verbale, nous en serions très satisfaits, et nous nous engageons à peser de toutes nos forces pour que le débat garde la tenue et la sérénité dignes de notre parti.

     Deuxième recommandation à faire aux partisans du " oui " et du " non " : à propos de l'argument selon lequel il faudrait accepter ou refuser le traité pour être mieux en mesure de l'améliorer ensuite. Ne nous mentons pas et ne mentons pas aux Français : qu'on l'accepte ou qu'on le refuse, on n'améliorera pas le traité ! En tout cas, pas à 25 ou à 30 ! Il n'y a aucune raison de voir nos partenaires se renier... à cause de nous.

    Aucune raison parce que les Anglais sont les Anglais, les libéraux des libéraux, et que la règle de l'unanimité, de toute façon, empêchera toute évolution. On peut s'en plaindre - et c'est notre cas -, mais c'est un fait : l'Europe à 25 ou à 30 est figée durablement.

    Donc, la vraie question n'est pas celle-là, mais avec qui et comment construire le premier cercle de l'Europe-cohésion ? C'est ce chantier-là qui est le vrai chantier d'avenir. Si l'on partage cette idée, on relativisera largement notre prétendue déchirure.

     Troisième recommandation : ne trichons pas avec la réalité de l'Europe. Nous avons entendu plusieurs fois des responsables socialistes dénoncer l'idéologie du compromis : " Y'en a marre de ces compromis ! " Soyons clairs : s'il y a des socialistes qui croient qu'ils vont faire l'Europe avec, seulement, des socialistes français, s'ils ignorent que l'Europe c'est l'histoire de compromis successifs, autant rendre notre tablier ! Laisser croire aux Français que, loin des compromis, qui seraient des compromissions, nous allons avoir la force d'imposer nos vues est une farce irresponsable à bien des égards.

     Quatrième recommandation : ne nous trompons pas de cible. L'adversaire, ce n'est pas Bruxelles. Ce sont Chirac, Raffarin, Sarkozy et la droite, qui conjuguent leurs forces avec le Medef, pour appliquer ici, chez nous, en France, une politique de régression sociale impitoyable.

    Nous sommes très inquiets de voir à quel point certains acteurs de notre débat ont une fâcheuse tendance à prendre l'Europe pour bouc émissaire et, de facto, à exonérer Chirac, Raffarin et Sarkozy de toute responsabilité.

    Faut-il le redire ? Si le chômage augmente en France, ce n'est pas la faute à Bruxelles ! C'est la faute à l'ultralibéralisme, Chirac et Raffarin !

    Si nos systèmes de protection sociale sont mis à mal, ce n'est pas la faute à Bruxelles, mais à l'ultralibéralisme, Chirac et Raffarin !

    Si nos services publics sont démantelés, ce n'est pas la faute à Bruxelles, mais à l'ultralibéralisme, Chirac et Raffarin !

    Si le libéralisme met en péril les fondements mêmes de la République par l'affaiblissement des puissances publiques, ce n'est pas la faute à Bruxelles, mais à l'ultralibéralisme, Chirac et Raffarin !

    La liste pourrait être longue. Arrêtons là.
Toutes ces réserves étant faites sur ce débat et les formes qu'il prend, toutes les précautions étant prises pour tenter de le canaliser dans le domaine du rationnel, nous savons bien que la logique référendaire ne peut se contenter du " peut-être bien que oui, peut-être bien que non ". Il faut trancher et nous le faisons, en responsabilité.

Au bout d'une longue réflexion collective, nous avons décidé de nous prononcer pour le " oui ". Un " oui " de raison, un " oui " de gauche, un " oui " militant. Pourquoi ? Pour quatre raisons essentielles :
     Parce que le combat européen nous impose une nouvelle solidarité : celle des socialistes européens. A l'heure où il est nécessaire de construire un vrai Parti socialiste européen, notons que tous les partis socialistes ou sociaux-démocrates d'Europe, tous - sauf celui de Malte, reconnaissons-le - se sont engagés pour le " oui ". Serions-nous plus ou mieux socialistes qu'eux ? Ce serait bien vaniteux et arrogant de le dire ; nous ne voulons pas de cette arrogance-là, et nous invitons les socialistes à travailler et à s'investir dans cette construction.

     Parce que nous voulons juger le traité à la lumière du progrès social qu'il entérine. L'apparition de nouveaux droits fondamentaux garantis a été approuvée positivement par la Confédération européenne des syndicats. Serions-nous de meilleurs défenseurs des salariés que tous ces syndicats ? Ce serait arrogant de le dire. Nous ne voulons pas de cette arrogance-là.

     La troisième raison tient à la puissance publique et, en particulier, aux services publics : nous sommes profondément et fondamentalement attachés à nos services publics, facteurs de cohésion sociale et d'égalité des chances. Et nous savons que le combat pour les services publics reste à mener sur le plan européen. Il n'est pas gagné, loin de là ; il n'est pas perdu d'avance non plus. Le projet de traité propose, avec l'article III-122, trois avancées notoires par rapport au traité de Nice. Il ouvre, notamment, une porte pour donner une base juridique à une directive européenne pour un statut européen des services publics. Il le fait, d'ailleurs, à l'initiative des socialistes français lors des travaux de la Convention. Notre volonté est de nous engouffrer dans cette voie. Nous invitons les socialistes à se mobiliser pour ce combat européen pour les services publics.

     Parce que le " oui " nous apparaît plus apaisant, moins porteur de tensions et de risques pour l'Europe. Cette construction fragile qui est née autour de l'idée de paix ne peut pas être mise en péril.
Nous respectons profondément ceux qui ne pensent pas comme nous et qui, pourtant, sont aussi des pro-européens convaincus. Nous respectons leurs arguments. Mais, en conscience, nous concluons à ce " oui " de raison.
© Copyright Le Monde


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