Pour débattre de la fin de vie dans la dignité !

Jean-Marie Bockel

 Contribution thématique au congrès national du Mans présentée par Gaëtan Gorce, député de la Nièvre, président de la commission spéciale de l'Assemblée nationale sur la Fin de vie
(juillet 2005).

 
La question de la fin de vie est enfin entrée dans le débat public. Il s'agit bien là, en effet, d'une question politique au sens le plus noble du terme. Mais celle-ci ne doit en aucun cas être confondu avec l'esprit partisan ou l'esprit polémique. Je regrette à cet égard, que l'impact médiatique attaché à ce dossier puisse conduire certain à s'en emparer et à exiger dans l'urgence et sans réflexion une légalisation de l'euthanasie traitant par le mépris le formidable travail de maturation effectué par le parlement à travers la loi du 22 avril dernier. Et si la loi doit encore progresser, ce doit être avec le souci de convaincre et non pas de contraindre. C'est dans cet esprit qu'a été rédigée la présente contribution.

Le sage vit tant qu'il doit et non pas tant qu'il peut… ", c'est ainsi que le Montaigne des Essais répondait à la question qui taraude toute société. Que vaut la vie ? A-t-elle une valeur en soi ou ne vaut-elle que par la conscience qu'on en a et, par conséquent, par l'exercice de sa propre liberté ? Telles sont bien les questions qui sont au cœur de notre débat et qui le rendent aussi si difficile ! Pour les uns, la vie a une valeur sacrée ; elle trouve son origine dans une puissance transcendante qui n'en confie à l'homme, en quelque sorte, que l'usufruit. Pour d'autres, au contraire, chacun d'entre nous disposerait d'une sorte de droit inaliénable sur son corps et sur sa vie, comme un prolongement de la liberté individuelle consacrée par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Dès lors, chaque homme, chaque femme, devrait pouvoir décider du moment et des conditions de sa mort, en particulier dans le souci de préserver sa dignité, assimilés au plein exercice de ses facultés. C'est Vladimir Jankélévitch qui s'écriait : " La liberté est toujours au dessus de la vie… ".

Affirmés ainsi dans leur intégrité, dans leur base compacte et cohérente ces deux principes sont d'une certaine manière inconciliables et j'allais dire, irréconciliables.

Oui, à la question du choix de sa mort il n'est pas de réponse évidente, en tout cas, aucune qui puisse satisfaire la conscience des uns et la conscience des autres. Au moins, d'un point de vue philosophique, parce que, d'un point de vue pratique, simplement humain en revanche, il faut bien apporter une réponse ! C'est le sentiment d'humanité qui l'exige. Et chaque évènement qui surgit, chaque drame qui survient nous le rappelle bien ! L'émotion qu'il suscite ne peut être dédaignée : il est au contraire l'expression d'une véritable interrogation sur ce que notre société considère comme juste ou injuste, possible ou impossible.
Face à la souffrance, le droit ne peut rester silencieux !

Voici plus d'un an, le pays tout entier était bouleversé par le geste d'une mère, puis quelques jours plus tard, par celui d'un médecin, l'un et l'autre apportant la démonstration contre le droit, contre la loi, que donner la mort peut être aussi un acte d'amour, de compassion et de responsabilité. Ce geste si exceptionnel, si singulier en ce qu'il ne pouvait se comprendra qu'à travers la situation particulière qu'entretenait cette mère avec son fils, indépendamment de tout le reste, a cependant immédiatement revêtu une portée plus large. C'est à notre société toute entière qu'a été adressée brutalement la question de savoir s'il était juste de laisse une mère, seule face à une telle responsabilité, un médecin seul face au conflit du devoir et du droit ! N'est-ce- pas, au contraire, à notre société d'apporter non pas la réponse, car il ne saurait y en avoir une seule, mais les points de repère, de référence à partir desquels la réponse pourrait être trouvée ? Est-il juste que la loi qualifie d'assassinat ce que la conscience de chacun d'entre nous en son for ne peut qu'absoudre ? C'est ce que rappelait le Comité National d'Ethique dans son second avis sur l'euthanasie, indiquant à travers la grande voix de son président, le professeur Sicard qu'il n'est pas bon qu'une sorte de hiatus sépare la loi de la pratique.

Oui, la pratique, parce qu'au-delà des drames dont la force tragique brise le mur du silence médiatique, une réalité bien différente de ce que décrit la loi, imprègne le quotidien de nos hôpitaux. Ce n'est pas le plus mince apport de la mission parlementaire sur la fin de vie que d'avoir rappelé, plutôt que révélé, qu'un grand nombre de décès survenus en milieu hospitalier sont la conséquence d'une décision médicale, dans la quasi-totalité des cas, fidèle à la déontologie, mais en tout cas toujours contraire à la lettre de la loi.

C'est à l'honneur de notre Parlement d'avoir su et pu se saisir de cette question ; d'avoir su vaincre les réticences et les résistances. C'est à l'honneur de notre Parlement de l'avoir fait en dépassant les clivages partisans sans doute, mais peut-être aussi et surtout, en renonçant aux a priori et aux préjugés qui auraient fait de ce grand débat une cause militante plutôt qu'un vrai sujet de réflexion et de pédagogie à l'égard de l'opinion. Si avec une collègue UMP, Nadine Morano, j'ai demandé cette mission parlementaire, c'est parce que je ne pouvais me résigner à l'idée si mal exprimées que " la vie n'appartient pas aux politiques " ! N'est ce pas au contraire à la représentation nationale de dire sur des sujets aussi essentiels, le droit ? C'est-à-dire de fixer le seuil de ce que la société peut ou non, autoriser, peut ou non accepter ? Et n'est ce pas à la loi d'offrir à chacun le point de repère, la référence, que la morale ou ses seules convictions ne lui permettent plus de définir véritablement. C'était une question de responsabilité politique autant que d'éthique ; une question qui tient à l'idée que l'on se fait de la fonction parlementaire.

Au total, s'il n'aura fallu que quelques mois pour commencer à faire bouger des décennies d'indifférence ou de résistance.

Il aura fallu plus de trente ans pour que l'on passe d'une proposition simplement déposée à une autre qui soit enfin débattue, et finalement adoptée, cela montre aussi le chemin parcouru. Quel que soit le sentiment que l'on porte sur la loi du 22 avril 2005, il est clair pour tous, que plus rien ne pourra être comme avant désormais et qu'un tabou, dans l'intérêt de tous, est brisé. Mais, au-delà, ma conviction est que cette loi constitue une réelle avancée plus qu'un changement d'état d'esprit, une évolution significative et l'affirmation à côté d'autres lois, votées autour de nous en Europe, d'une voie originale.

Cette loi ne peut certes prétendre apporter de réponse complète et définitive à une question douloureuse qui fait de chaque cas une exception. Mais, elle fait franchir à notre société et à notre droit, un pas considérable. Elle rejette d'abord le statu quo, ce statu quo insupportable, ce mur de silence et d'hypocrisie, ce refus de voir et de comprendre qui fait d'un geste d'amour et d'humanité un crime punissable par la loi.

Elle garantit aussi la reconnaissance et l'encadrement d'une situation vécue par tant de malades et de familles, la reconnaissance et l'encadrement de pratiques acceptées mais parfois refoulées par le milieu médical et pourtant bien réelles ; la reconnaissance et l'encadrement d'une exigence ressenties par tous face à la perspective de la maladie et de la mort, chacun redoutant d'être livré sans limite au pouvoir médical. Ce qui change tout aujourd'hui, c'est que plus de 70 % des décès surviennent à l'hôpital, ce dont la loi doit inévitablement tirer les conséquences dans ce qui n'était jusqu'alors que du domaine du non dit. C'est ce qui explique d'ailleurs que la très grande majorité de nos concitoyens soit aujourd'hui si impliquée et concernée par ces questions.

Cette loi s'appuie sur cette idée fondamentale que la volonté du malade de refuser ou d'interrompre un traitement, qu'il soit proche de la mort ou maintenu artificiellement en vie, doit être entendue et respectée. Certes, un renforcement des moyens consacrés aux soins palliatifs est nécessaire mais, au-delà c'est la volonté du malade, sa décision exprimée, vérifiée, répétée qui doit pouvoir s'imposer à tous. Il s'agit là d'un changement considérable puisque enfin la primauté du choix effectué par le patient est reconnue même si le refus du traitement qu'il exige met sa vie en danger et provoque la mort inéluctablement. Ce faisant, nous n'avons provoqué nulle rupture mais simplement pris appui pour la prolonger sur la loi Kouchner du 4 mars 2002 qui faisait du droit et de la volonté du malade le pivot de ses rapports avec les autres acteurs de son destin médical.

Aujourd'hui qu'un premier changement, qu'une première étape, qu'une première avancée est à portée de la main, il faut la saisir sans aucune hésitation. Pouvait-on aller plus loin ? Le fallait-il ? Pour ma part, cela ne m'aurait pas heurté et ne me heurterait pas. Il y aurait fallu en revanche plus de temps pour aboutir à un accord qui eut été plus difficile sinon impossible à obtenir. Car, ce que chacun doit bien comprendre, c'est que cette loi n'est pas le fruit d'un compromis mais le produit d'un consensus. J'admire ceux qui, sur ces sujets, sont habités de certitudes ; qui savent à priori ce qu'il faut faire sans qu'il y ait place pour le doute, parfois le débat…Ce que je puis dire, c'est que dès lors que celui-ci s'engage, nul n'en sort totalement indemne. Au fil des auditions de la mission parlementaire, j'ai vu vaciller les certitudes les mieux installées. Bouleversées souvent par les auditions des médecins qui ont su démontrer que leur métier ne pouvait s'exercer que pétri d'humanité ; tourmentées par le point de vue de tant de juristes unanimement réservés sur le rôle que la loi devait jouer en pareil matière ; mobilisées par le refus partagé de ne pas tolérer que tant de pratiques, aujourd'hui dans la clandestinité, puissent être désormais encadrées juridiquement dans l'intérêt du malade et du médecin. Les membres de la mission sont allés au fil de nos échanges les uns vers les autres, soucieux non de remporter une victoire mais de trouver un point d'équilibre autour duquel s'accorder.

Pour certain, ce point ne peut être qu'un point d'arrivée, pour d'autres, et c'est mon cas, ce doit être un point de départ. Mais, il constitue un véritable progrès. Certes, la loi ne légalise, si je devais la résumer d'une façon fidèle, non pas le droit de faire mourir mais seulement celui de laisser mourir ! Hypocrisie ? Pour ma part, je comprends et je respecte sans la partager la réticence de ceux qui ne peuvent accepter, qui ne peuvent se résoudre à ce que la société délivre une sorte d'autorisation légale de tuer ; qu'elle franchisse cette frontière dans ce qui n'est qu'accompagnement de la nature et de la maladie et ce qui revient au contraire, non pas à anticiper mais à provoquer la fin d'un être humain. Ce qui pour certain ne devrait être que l'exercice d'un droit, reste vécu pour d'autres comme une violence. Avec courage, ces derniers ont admis cependant qu'un malade puisse être délivré de tout ce qui le maintient, un, en vie, d'un point de vue de la technologie médicale, du traitement dès lors qu'il en exprime la volonté. Cette nuance n'est pas hypocrisie. Elle est la frontière qui sépare selon eux la nature, laisser mourir, de la loi des hommes s'arrogeant le pouvoir extrême de provoquer délibérément dans ce seul but la mort d'un autre. Cette réserve, cette clause de conscience, je ne la partage pas ! Mais je la respecte, considérant que sur un tel sujet, rien ne serait pire que de faire jouer la seule loi de la majorité, que de violenter ne fusse qu'une partie de la société et aussi du milieu médical, que d'exiger des consciences, notamment de ceux qui sont le plus impliquées, plus qu'elles ne peuvent admettre à un moment donné. Rien ne serait pire que de faire d'une telle question un objet de polémique, de division, ou les passions exacerbées n'auraient plus en vue que le but à atteindre en oubliant que ce qui est en jeu touche aux âmes autant qu'aux corps. A ceux auxquels j'appartiens qui pensent qu'il faudra demain aller plus loin, de trouver à la fois non pas la pugnacité et l'énergie, mais la maturation et la qualité de réflexion pour convaincre et non contraindre, dès lors que le statu quo insupportable est désormais remis en question.

D'autant que si la perspective est claire, les modalités pour y parvenir restent encore difficiles à définir. Il ne saurait, en effet, être question de créer une sorte d'automatisme, qui ferait oublier la situation si particulière, si exceptionnelle, dans laquelle se trouve chacun face à sa mort. Il faut à tout prix préserver en toute circonstance le dialogue singulier qui doit s'engager entre le malade, l'équipe médicale, le référent, les proches. Ne jamais considérer sous peine d'inhumanité qu'il suffirait de se référer pour décider, à une règle générale, à l'application d'un droit qui écarterait la part de réflexion, de réitération, d'interrogation…Et comment ne pas redouter les dérives possibles (mineurs, malades mentaux) contre lesquelles la société doit absolument se prémunir.

Ma conviction profonde, et c'est ce qui m'a conduit à défendre et à voter sans hésiter cette loi, c'est qu'il nous fallait franchir une étape, et que sans cette étape, aucune nouvelle avancée ne pourrait être envisagée. Il est faux de penser que l'on aurait pu franchir d'un seul mouvement le fossé qui sépare le droit d'aujourd'hui de celui que certain appelle de leurs vœux pour demain.

Au total, il est clair, que ce débat n'est pas clos par le vote de cette loi. D'abord parce qu'elle ne règle pas tout, que de nombreuses situations restent sans réponse ; ensuite parce qu'elle comporte de nombreuses imperfections (sur la place de la famille, la notion de collégialité) qui sont seulement la traduction de nos hésitations . Mais celles-ci ne nous ont heureusement pas fourni le prétexte à ne rien faire. Nous admettons cette faiblesse et la perfectibilité de notre projet dès lors que l'on en admet la force : traiter pour la première fois dans la loi un tel sujet. Ces faiblesses justifieraient à elles seules que l'on mette rapidement en place une instance de suivi et d'évaluation de son application. Le débat ne fait que commencer à travers un texte adopté à l'unanimité et dont chacun à l'Assemblée a choisi d'assumer la responsabilité. Ce qui fut un moment fort et d'une grande portée, partagé et symbolique. Il s'agit maintenant d'obtenir la création d'une instance d'évaluation qui nous permette de faire le point sur l'application de cette législation et de préparer son évolution. Il est clair en effet que le récent débat parlementaire ne peut intervenir pour solde de tout compte. Mais si la loi ne saurait avoir pour objet de répondre à un cas particulier, je me réjouis de voir que le cri lancé voici plusieurs mois par une mère n'est pas resté sans écho.

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