Et maintenant la gauche européenne...




Tribune signée par Jean-Louis Bianco, député des Alpes-de-Haute-Provence, Gaëtan Gorce, député de la Nièvre, Béatrice Marre, maire de Noailles (Oise), membre du bureau national du mouvement européen France et Gilles Savary, député européen, parue dans le quotidien Le Figaro daté du 4 décembre 2004



Jean-Louis
Bianco


Gaëtan
Gorce


Béatrice
Marre


Gilles
Savary




Le référendum organisé par le Parti socialiste, formidable épreuve de vérité, n'aura pas seulement permis de confirmer l'engagement européen des socialistes, désormais trempé dans la légitimité du suffrage des militants. Il a mis en lumière le caractère primordial que revêt dorénavant la dimension européenne dans la construction de notre projet.

La social-démocratie est en crise profonde. Les valeurs sur lesquelles elle fonde son action depuis des décennies sont bousculées par les évolutions du monde et de nos sociétés. L'exigence démocratique est souvent mise à mal par la mondialisation et par le sentiment qui s'est installé peu à peu d'une impuissance du politique face aux évolutions économiques et à leurs conséquences sociales.

L'exigence de solidarité est également contestée par un courant puissant. Alors que jusque-là le progrès social était vécu, à travers la théorie keynésienne dont les sociaux-démocrates s'étaient emparés, non seulement comme le complément mais aussi la condition du progrès économique, les politiques de solidarité sont désormais de plus en plus souvent caricaturées comme des charges freinant la croissance et la compétitivité des entreprises.

Enfin, l'idée que le droit doit régir les relations entre les peuples a été affaiblie par l'unilatéralisme de plus en plus assumé de la première puissance économique et militaire mondiale.

Cet ébranlement du triptyque sur lequel repose la synthèse sociale-démocrate nourrit dans chacun de nos pays de lourdes interrogations. Il n'est pas un de nos partis qui ne soit d'un point de vue ou d'un autre désormais en proie au doute. Ce peut être, pour le courant progressiste, une source d'inquiétude. Ce doit être pour notre part une raison plus forte encore de réfléchir, de proposer et d'agir. Notre conviction est que l'Europe est pour les socialistes l'espace à partir duquel régénérer leur projet et leurs pratiques.

Confortés par le succès du oui, les socialistes français doivent dès lors prendre l'initiative d'un vrai travail de rénovation idéologique et politique.

L'investissement réalisé par tous, dirigeants nationaux, cadres fédéraux, militants, sympathisants autour du dossier européen, ne doit pas être un feu de paille.

Grâce à ce débat de plusieurs mois, notre culture politique de l'Europe a été étayée et enrichie. Nous avons pu mieux mesurer les différences entre l'idéal et le possible, tout en comprenant que le possible contenait suffisamment d'idéal pour mériter notre engagement. Si nous avons écarté l'idée de changer l'Europe par ultimatum, nous avons compris en revanche qu'elle pourrait l'être par l'effet de la mobilisation et de la conviction, pour autant que nous ne cherchions pas à imposer unilatéralement un modèle ou des solutions.

Les enseignements de ce scrutin assignent à la direction du Parti socialiste de donner des prolongements politiques au oui, qui est un oui de confiance mais doit être aussi un oui d'exigence :
     Exigence de démocratie européenne, en sollicitant du PSE, le plus tôt possible, une convention de tous les militants socialistes et sociaux-démocrates des 25 afin, sur la base d'échanges entre Européens aussi féconds et enthousiasmants que ceux que nous avons vécus au Parti socialiste français, de définir la ligne et les grandes priorités de nos combats politiques européens futurs. Le document élaboré par Pascal Lamy avec un certain nombre de responsables socialistes européens et présenté à Madrid le week-end dernier offre une base inestimable de discussion. Un traité, fût-il constitutionnel, ne fait pas une politique. L'adoption du traité ne nous dispensera pas d'un projet politique européen social-démocrate. Le contexte politique et les évolutions récentes du PSE nous y incitent : saisissons cette chance !

     Exigence d'opposition ferme et sans concessions aux offensives politiques libérales qui ne font que saper l'idée et le projet européen, avec l'appui de Jacques Chirac et de son gouvernement.
Nous devons leur opposer la volonté de mener à son terne le processus de Lisbonne pour construire la société du plein emploi la plus compétitive du monde sur la base d'un triptyque renouvelé : économie-emploi-environnement.

Nous devons leur opposer la nécessité impérieuse de conserver une politique régionale et de cohésion aux profits de nos régions et de nos collectivités locales. Pour ce faire, les socialistes français doivent convaincre leurs camarades européens que la limitation du budget de l'Union à 1 % du produit national brut est incompatible avec nos objectifs communs et creuserait un fossé entre l'Europe et nos concitoyens.

Nous devons lutter sans concession contre le projet de « directive services » qui engagerait de façon irresponsable délocalisations, migrations et dumping social, environnemental et économique. Nous devons continuer notre combat en faveur d'un droit positif européen sur les services publics dans le cadre d'un dialogue renouvelé avec nos partenaires européens socialistes, dialogue qui aurait le mérite de clarifier bien des malentendus de part et d'autre.

La dynamique créée par le référendum doit maintenant nous porter dans une double direction : à l'échelle nationale en faisant des socialistes, bien avant la droite et un président de la République empêtré dans son absence de vision, les promoteurs d'une Europe vivante tournée vers les préoccupations de nos concitoyens ; au plan européen, en faisant du Parti socialiste français l'un des moteurs de la régénération de la gauche européenne. A défaut, nous laisserions à nouveau s'installer l'idée que la gauche face à un monde qui bouge serait définitivement sur la défensive, condamnée à une résistance de plus en plus improbable avec le temps et à un discours entretenant la nostalgie des vieilles recettes. Si nous avons fait le choix de soutenir le traité constitutionnel, c'est que nous voulions faire de ce oui un pont entre toutes les forces progressistes, et certainement pas l'expression d'une sorte de résignation à l'Europe telle qu'elle est encore.

C'est à la gauche de lutter contre les déficits démocratiques, l'affaiblissement de la solidarité et l'approfondissement des inégalités mondiales. C'est par l'Europe qu'elle y parviendra pour autant qu'elle choisisse d'avoir les idées claires et de mettre en France autant d'énergie et d'imagination à construire un projet européen qu'elle en a mis lors du référendum à simplement en discuter. Depuis le 1er décembre, le cap est fixé : à nous maintenant de véritablement vouloir l'Europe !
© Copyright Le Figaro

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