On ne peut pas continuer à faire l'Europe en catimini, il faut que les citoyens se prononcent

Elisabeth Guigou



Entretien avec Elisabeth Guigou, députée de Seine-Saint-Denis, paru dans le quotidien Le Monde daté du 11 octobre 2003
Propos recueillis par Isabelle Mandraud
 

Êtes-vous favorable à un référendum sur la Constitution européenne ou bien partagez-vous les réticences de ceux qui craignent un résultat négatif ?
Je vois bien les risques dans l'état actuel de désenchantement. Je suis inquiète parce que ce référendum relève de la responsabilité du président de la République, qui n'a pas pris une seule initiative européenne, qui tance les pays entrants comme des mauvais élèves et dont le premier ministre fait preuve d'une arrogance sans précédent. Je suis pour un débat public. On ne peut plus continuer à faire l'Europe en catimini, il faut que les citoyens se prononcent sur l'Europe qu'ils veulent. Je souhaite une ratification, le même jour, dans toute l'Europe. S'il y a un débat approfondi, je n'ai pas peur d'un référendum et même je le souhaite. Il y a dix ans, j'ai été la seule ministre à réclamer un référendum sur Maastricht.

Vous estimez que le gouvernement favorise ce " désenchantement " ?
Il tient un langage qui décrédibilise la France. C'est grave. Chaque fois que nous avons connu des crises, il y a eu des initiatives politiques fortes franco-allemandes. Aujourd'hui, il n'y a pas de dynamisme politique. On peut faire des critiques, notamment sur l'affaire Alstom, pour que la politique de la concurrence ne domine pas toutes les autres, mais je ne suis pas pour le dénigrement.

Lorsque le PS était au pouvoir, n'a-t-il pas contribué, lui aussi, à nourrir les déceptions, ne serait-ce qu'avec le sommet de Barcelone, en mars 2002 ?
Ses conclusions ont été mal préparées. Il y a eu un énorme malentendu : jamais la France n'a accepté d'allonger la durée d'activité au-delà de 60 ans. La cohabitation était une entrave. Et nous avons eu le tort de ne pas parler de l'Europe pendant la campagne présidentielle, ce qui nous a coûté cher. C'est vrai que l'Europe déçoit même les européens fervents. Elle va trop dans les détails et, en même temps, elle paraît éloignée des sujets de préoccupation. Cette crise dure depuis la chute du mur de Berlin. Il faut que l'Europe cesse de piétiner. Qu'elle se donne un nouveau projet, qu'elle fixe ses frontières et établisse un véritable partenariat avec ses voisins, d'un côté la Russie, de l'autre les pays du bord de la Méditerranée, en leur imposant des conditions politiques et des investissements contre la corruption, pour l'éducation. Nous avons besoin d'un grand ensemble capable de rivaliser avec le continent américain et la Chine.

Mais l'élargissement à 25 suscite déjà des inquiétudes...
L'élargissement est un devoir historique et moral. Par le passé, nous avons surmonté des défis bien plus difficiles. Il faut réconcilier la politique et la géographie, sinon nous n'aurons pas le poids mondial que nous voulons. Il y a un risque de dilution, c'est vrai, mais il faut tenir, à 25, des objectifs réalistes - ceux de la Constitution en gros - tout en permettant la création d'une avant-garde, avec les pays qui le voudront, pour aller plus loin dans les domaines de l'économie, du social et de la défense. Lorsque l'Espagne et le Portugal sont entrés dans l'Union, on pensait que ce serait la fin de l'agriculture française. Rien de tout cela ne s'est produit et ces pays ont augmenté leur niveau de vie. Les délocalisations qui nourrissent les inquiétudes se produisent déjà. Si on élargit, nous pouvons avoir au contraire l'espoir que ces pays augmentent à leur tour leur niveau de vie.

Quels arguments opposez-vous à ceux qui rejettent le projet de Constitution ?
Il ne faut pas toucher aux deux premières parties, la partie institutionnelle et l'intégration de la Charte des droits fondamentaux. C'est ce qu'on a fait de mieux depuis le traité de Rome en 1957 ! La troisième, qui concerne les politiques, est plus décevante. C'est bon sur la défense et les affaires intérieures avec la perspective d'un parquet européen, ce n'est pas mauvais sur les affaires étrangères, mais c'est très insuffisant sur l'économie et le social. Faut-il pour cela ouvrir une crise ? Non. Il n'y a que l'Europe qui peut nous permettre de lutter contre la mondialisation libérale. Les nations ne sont plus de taille. Pour une fois, levons le nez et battons-nous pour une Europe plus sociale.

Au PS, parmi ceux qui militent pour le " non ", certains avaient voté " oui " à Maastricht. Comment expliquez-vous cette évolution ?
C'est plus difficile, du fait de l'état de l'opinion. Mais l'Europe a toujours été en débat au PS. Un jour, sur la question européenne, François Mitterrand a quand même mis son mandat de premier secrétaire dans la balance...

C'est ce que vous attendez de François Hollande ?
Nous n'en sommes pas là. Ce qu'il faut, c'est parler de l'Europe que nous voulons.

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