Europe : réussir l'élargissement

par Elisabeth Guigou
députée (PS) de Seine-Saint-Denis

Point de vue paru dans les pages " Horizons " du quotidien Le Monde daté du 24 octobre 2002


 
Jusqu'ici, chaque élargissement a été accompagné d'un renforcement des politiques communes et l'Union européenne a progressé dans la voie de l'intégration politique. En sera-t-il de même cette fois-ci ?

Pour réussir l'élargissement, il faut surmonter les fragilités actuelles de l'UE : son impuissance sur la scène internationale qui donne le champ libre à l'unilatéralisme des Etats-Unis et tient dans un oubli scandaleux les pays du Sud ; son incapacité à tirer tout le bénéfice possible de l'euro du fait de l'absence d'un gouvernement économique ; la remise en cause des services publics au nom de la concurrence ; l'absence d'une véritable politique européenne de l'emploi ; l'incapacité de l'Union à penser une politique de l'immigration et de l'asile ; le fonctionnement erratique des institutions. Lorsque l'UE passera dans deux ans de 15 à 25 membres, ses handicaps risquent de la paralyser si elle ne parvient pas à se réformer.

Devant l'ampleur des difficultés, certains refusent le nouvel élargissement : Ligue d'Umberto Bossi, partis de Jörg Haider et de feu Pim Fortuyn. Rien d'étonnant à ce que les populistes qui jouent constamment sur les angoisses prennent cette position. Ils peuvent trouver un large écho dans l'opinion européenne. Il est donc urgent d'ouvrir le débat afin de ne pas laisser le monopole de la parole à ceux dont le fonds de commerce politique est d'exploiter les peurs collectives et de se cantonner dans le refus et la protestation.

Nous n'avons pas le droit de refuser cet accomplissement historique sans précédent dans le monde : unifier, dans la paix et la démocratie, un continent de 500 millions d'habitants. Cette aspiration à l'unité, nous devons la faire nôtre, si toutefois nous voulons que l'Europe soit d'abord un modèle de civilisation construit autour de valeurs, d'une culture, d'une histoire communes. Aucun autre continent n'a cette force-là. C'est elle qui peut faire de l'Europe le contre-poids à l'hégémonie des États-Unis. Refuser l'élargissement, c'est laisser l'Europe à la superpuissance américaine.

Mais pour le réussir, il faut réformer les politiques communes. La réforme de la politique agricole est urgente : avec ou sans élargissement, l'UE doit privilégier une agriculture moins productiviste, plus respectueuse de l'environnement et dont les aides seraient davantage orientées vers le développement rural et moins vers les subventions aux exportations qui bénéficient surtout aux agriculteurs les plus riches et évincent les pays en développement des marchés mondiaux.

La gauche française doit se battre pour cette réforme, refusée par M.Chirac, ardemment souhaitée par l'Allemagne.

Au-delà de la réforme des politiques existantes, il est indispensable d'en développer de nouvelles. Pour l'emploi d'abord. Les chefs d'entreprise n'ont pas attendu l'élargissement pour délocaliser en Tchéquie ou en Pologne. Et la grande Europe favorisera au bout de quelques années le rapprochement des salaires et des conditions de travail. Mais la rapidité de la réduction des écarts dépendra de la capacité de l'UE à réaliser l'Europe sociale. C'est pourquoi la gauche européenne doit se fixer pour objectif principal l'inclusion dans le futur traité constitutionnel d'un contrat social européen incluant en priorité la protection des services publics, la convergence vers le haut des normes sociales et la création dans chaque pays de l'Union d'un salaire minimum calculé selon la richesse du pays.

La maîtrise des flux migratoires est un impératif, qu'il s'agisse des réfugiés, des immigrés économiques légaux ou clandestins. L'Union a besoin d'une doctrine et d'une véritable politique commune de l'asile et de l'immigration. Là encore, la responsabilité de la gauche européenne sera de veiller à ce que l'immigration, indispensable dans certains secteurs en raison de la pénurie de main-d'œuvre et inéluctable, à terme, en raison du vieillissement démographique de l'Europe, ne se fasse pas au détriment des chômeurs européens qui sont encore 13 millions et des pays en développement qui ont besoin de leurs travailleurs qualifiés. L'immigration clandestine et l'afflux des réfugiés ne peut trouver de solution dans un cadre national.

La même remarque vaut pour la lutte contre la criminalité internationale. La persistance au sein de l'UE de paradis fiscaux et du secret bancaire ne sont plus tolérables lorsque l'on sait que l'argent sale s'infiltre partout et qu'il finance aussi bien les trafics d'êtres humains que le terrorisme. Pour relever le défi, il faudra envisager un parquet européen qui organise les poursuites et contrôle l'action d'Europol, ce parquet devant lui-même rendre compte à une autorité démocratique élue, ce qui exige des institutions politiques fortes et démocratiques.

L'Union a besoin d'un projet politique radicalement novateur. Il ne pourra être mis en œuvre que par de nouvelles institutions capables de prendre sur tous les sujets importants des décisions à la majorité pour éviter le blocage du veto d'un seul pays et cela sous le contrôle démocratique du Parlement européen et des parlements nationaux.

Mais pour que l'intégration politique soit acceptée, il faudra qu'elle s'applique dans des domaines bien définis et que la question de la répartition des compétences entre l'Union et les Etats membres soit simplifiée et clarifiée. Nous avons impérativement besoin d'une Europe politique intégrée là où la souveraineté nationale ne sert qu'à masquer l'impuissance des Etats. Ce fut le cas sur la monnaie. Cela doit l'être contre la criminalité internationale, pour la préservation de la paix en Europe et en Méditerranée, pour une mondialisation qui respecte l'être humain, son environnement et les biens premiers qui conditionnent la survie de l'humanité. Ce projet peut être dans un premier temps celui d'une avant-garde qui serait prête à accueillir tout pays souhaitant s'y joindre.

Ce n'est pas en disant " non " à l'agrandissement de l'UE que l'on construira une Europe sociale et politique. C'est en regardant en face les problèmes et les impuissances de l'Europe, en ayant la volonté de les dépasser, en utilisant l'élargissement comme aiguillon pour un nouveau projet appuyé sur des institutions nouvelles.

Après la paix, après l'euro, voilà pour l'Europe la nouvelle utopie : porter le rêve d'une nouvelle civilisation mondiale. C'est possible si la volonté politique est à nouveau présente et si la gauche européenne sort de la gestion au jour le jour pour se donner un grand dessein.


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