Il faut donner de la chair au projet social européen


Interview accordé par Elisabeth Guigou au quotidien Libération, parue le 13 mars 1996.
Propos recueillis par Judith Perrignon


 

Le 29 mars s'ouvrira à Turin la conférence intergouvernementale européenne. Comment abordez-vous cette échéance ?
Cette conférence est très importante. Parce que c'est, en principe, la dernière avant le grand élargissement de l'Europe aux pays d'Europe centrale et orientale. L'enjeu est absolument vital pour l'Union européenne. On a à choisir entre une Europe zone de libre échange et une Europe politique. Ou bien la réforme est suffisante, c'est-à-dire qu'elle nous maintient sur le chemin d'une Europe toujours plus intégrée. Ou alors l'Europe ne se renforce pas suffisamment avant de s'élargir, et elle se diluera définitivement dans une grande zone de libre échange. Ce qui signifie l'abandon de l'Europe comme projet de société et de civilisation.

Quelles sont les réformes que doit amorcer la conférence intergouvernementale ?
D'abord, l'Europe doit clarifier ses objectifs. Donner de la chair à son projet social. C'est par exemple, l'obligation faite à tous les pays européens d'intégrer le protocole social ­il ne peut plus y avoir d'exemption. C'est aussi modifier le traité de Maastricht vers une reconnaissance des services publics. C'est encore faire de l'emploi un objectif prioritaire au même titre que la monnaie.

Ensuite, l'Europe doit réfléchir aux moyens dont elle se dote et donc se poser la question de ses institutions. La réforme fondamentale à faire, c'est la généralisation du vote à la majorité qualifiée. Le seul obstacle au développement d'une législation européenne sur le social mais aussi sur l'environnement ou la recherche ­toutes ces politiques communes qui sont censées équilibrer le marché­ c'est la persistance du vote à l'unanimité. C'est un point absolument clé. On pourra juger de la volonté ou de l'absence de volonté de faire une vraie réforme, lors de la conférence intergouvernementale, aux positions qui seront prises sur l'extension du vote à la majorité qualifiée. C'est l'une des propositions fortes du texte du Parti socialiste sur l'Europe. Les socialistes européens ont un rôle très important à jouer.

Le rapport de force politique européen ne joue pourtant pas en leur faveur...
Sept gouvernements sur quinze sont gouvernés par la gauche, ce n'est pas tout à fait la majorité. Il faut que les partis sociaux-démocrates européens aient une action commune beaucoup plus résolue. Je pense qu'ils ont, pour la première fois dans l'histoire de l'Europe, l'opportunité de le faire. Car la droite n'a pas de projet concret. Pour l'heure, Jacques Chirac se contente de sauver les meubles.

La gauche européenne ­les gouvernements de gauche, les partis mais aussi les syndicats qui devraient européaniser leur action­ a intérêt à avoir un niveau d'exigences extrêmement fort. Il faut dire clairement que si la conférence intergouvernementale produit un consensus minimum, une fausse réforme, il ne faudra pas hésiter à la dénoncer. Car si on approuvait une réforme insuffisante et qu'on se lançait malgré tout dans le grand élargissement, on sonnerait le glas d'une Europe forte, politique.

Vous pourriez donc à terme dire non au prochain traité européen ?
Je souhaite avant tout que le prochain traité produise une réforme audacieuse qui permettra l'élargissement de l'Europe sans l'affaiblir. Mais si ce n'est pas le cas il faudra se poser très franchement la question. Je ne suis pas pour une approbation automatique de n'importe quel traité. On jugera sur pièce. Mais plutôt que d'aller vers l'Europe de madame Thatcher, je suis prête à dire non. Et à proposer ensuite qu'une avant-garde de pays européens mette en place une réelle union politique.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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