lslam et laïcité
Il faut davantage parler

Elisabeth Guigou
Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, clôturait lundi 8 octobre 2001 un colloque baptisé « migrations et vie associative », organisé à l'Institut du Monde Arabe par le Fonds d'action sociale et l'association « Génériques ». Elle revient, pour Libération sur les conséquences des attentats du 11 septembre et affirme sa volonté de voir voter les étrangers aux élections locales.

Interview accordée à Libération, parue le mercredi 10 octobre 2001.
Propos recueillis par Charlotte Rotman

 

Comment analysez-vous les réactions au sein de la communauté musulmane ?
Rien ne sera plus comme avant, pour personne. Certains ont pu se demander comment des gens qui se réclament de l'islam ont pu commettre des actes pareils, et d'une certaine façon, chaque musulman a dû se sentir atteint. Il y a eu la crainte d'être assimilé à ces terroristes. Des amis musulmans m'ont dit tout de suite : « On n'a rien à voir avec ça. » De plus, la façon dont on a montré à la télévision l'émotion intense, alors qu'on ne l'avait pas montrée autant dans d'autres circonstances douloureuses, cela a pu dans certains cas être mal ressenti. Mais nous n'avons pas eu de phénomènes collectifs, qui aient exprimé cela violemment. C'est là que les associations et l'Etat ont joué leur rôle : la société française a réagi avec une grande maturité.

Quelles conséquences ont ces événements pour l'islam de France ?
Il y a ce souci très majoritaire de la part des Français musulmans, comme non-musulmans, d'éviter les schématismes et les amalgames. C'est encourageant. En même temps, on voit bien qu'il y a des sujets dont il faut davantage parler et que ces événements mettent, heureusement, dans le débat public alors qu'ils étaient jusque-là souterrains. Je pense que la question de l'islam et de la laïcité est l'un de ces sujets, et qu'il faut en parler sereinement. Il faut que nous ayons un islam à la française. Nous devons susciter une réflexion et des pratiques nouvelles. Les jeunes y sont tout à fait prêts. Mais cela peut poser des questions difficiles comme la place des femmes dans l'islam. Des jeunes filles musulmanes ont des demandes fortes, il faut davantage en parler. La question de la lutte contre les discriminations, aussi. Ce n'est pas un sujet nouveau mais il prend là aussi un relief particulier. Ces événements nous amènent à nous reposer plus crûment, ces questions de la place de l'islam, de celle des femmes. Et il ne faut surtout pas les occulter.

Pourquoi pensez-vous qu'il faille réhabiliter « l'intégration » - vocable plutôt décrié
C'est un terme, c'est vrai, qui a été récusé ces derniers temps. Quand on parlait avec des jeunes issus de l'immigration, ils disaient « ne parlons plus d'intégration, parlons de la lutte contre les discriminations ». Moi, j'entendais beaucoup cette demande: parce qu'elle voulait dire que le vrai problème résidait là. Et c'est assez vrai. Mais je crois qu'il faut aussi reposer - et pas de façon incantatoire -, la question de l'intégration, c'est-à-dire de cet équilibre subtil entre la responsabilité collective (de l'Etat qui doit lutter contre les discriminations, sur le logement, l'emploi ou l'éducation) et la responsabilité individuelle.

Dans cette optique, êtes-vous favorable au droit de vote pour les résidents étrangers aux élections municipales ?
Oui. C'est un pas qu'il faut absolument faire maintenant. D'ailleurs les jeunes nous le disent: leurs parents ne sont pas Français mais ils ont passé leur vie en France, eux-mêmes sont français. Comment peut-on accepter qu'on ne leur reconnaisse pas cette dignité-là ? Moi qui ai beaucoup travaillé au traité de Maastricht pour la reconnaissance du droit de vote aux ressortissants de l'Union européenne, je souhaite que cela soit étendu aux étrangers qui vivent sur notre territoire après un certain délai de résidence.

Mais voilà vingt ans que le droit de vote des étrangers fait partie des propositions de la gauche...
Le moment est venu. On a bien levé les obstacles constitutionnels sur la parité. J'ai fait voter les changements constitutionnels sur des fondements philosophiques qui remettaient en cause l'universalisme abstrait. Ces mêmes arguments fonctionnent pour le droit de vote aux résidents étrangers. Je ne pense pas que la République puisse être atteinte par la reconnaissance de ces droits là. Au contraire.

Vous êtes née à Marrakech, vous êtes ministre de la république française. Cela vous aide-t-il à comprendre la France « multiculturelle », comme vous l'appelez ?
Cela m'aide beaucoup: j'ai un grand-père italien qui a subi de sévères discriminations. Je me sens marocaine de cœur, je suis française absolument, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas additionner toutes ces identités. On n'est pas obligé d'abandonner ses racines pour être français, mais, dès lors qu'on est français, il faut respecter toutes les valeurs de la république.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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