Pour une nouvelle gauche européenne



Discours de Benoît Hamon, porte-parole du Nouveau Parti socialiste
Point de vue paru dans le mensuel Aprile per la sinistra, revue de la gauche du PDS italien daté de décembre 2003


 
La gauche française traverse une profonde crise identitaire. A l’image de toute la gauche européenne. En son sein, le Parti socialiste français, encore malade de son échec au 1er tour des élections présidentielles ne parvient pas à arrêter une orientation et une stratégie politiques claires. Abandonné par les classes populaires, frileux sur les questions institutionnelles, économiques et sociales, le PS français aborde les prochaines échéances régionales et européennes, fragile, craintif et désorienté.

Depuis le 21 avril, date cruelle où Lionel Jospin est arrivé en troisième position derrière Jacques Chirac et Jean Marie Le Pen, le PS cherche à s’affranchir de son rapport maladif et complexé à l'exercice du pouvoir. Réuni en congrès, il a accouché de trois tendances, l’une majoritaire et d’inspiration sociale-libérale dirige le parti, les deux autres, NPS et Nouveau monde, occupent 40 % de son flanc gauche.

A la différence de la direction de notre parti, quelle est notre stratégie de transformation sociale ? Nous n'ignorons pas les contraintes inhérentes à l'exercice du pouvoir, mais nous refusons qu'elles bornent indéfiniment notre horizon. Nous récusons la pratique, devenue courante chez certains socialistes, d'additionner les contraintes les unes aux autres pour mieux justifier la facilité qui consiste à se contenter de gérer les contradictions du système capitaliste. Nous ne nous résignons pas au discours ambiant qui décrète la fin des classes populaires et des ouvriers dans le miroir de la victoire tranquille d'un " capitalisme soft " générateur de nouvelles classes actives, entreprenantes et cultivées, dont le PS devrait se faire le porteur d'intérêts.

Si la gauche a un sens, c'est bien celui de la réduction franche et massive des inégalités, de l'amélioration des conditions de vie et de travail, de l'émancipation culturelle et démocratique.

Si la gauche a un camp à défendre, c'est celui de ceux qui souffrent du sort qui leur est fait dans un système qu'ils ne contrôlent pas, sur lequel ils n'ont pas de prise malgré leurs droits politiques. Si la gauche a un projet, c'est celui de la justice sociale, jusque dans l'invention exigeante et difficile de nouveaux modes d'organisation de la société et du monde.

La gauche est affaire de priorités et de changements concrets : sans cela, si elle ne génère plus d'espoirs, si elle se contente d'être un vecteur d'alternance tranquille, si elle ne permet pas aux citoyens de trouver leur place dans la société et dans le monde, elle a perdu sa raison d'être.

Une gauche qui connaît ses priorités ne concentre pas son inventivité sur l'allègement de la fiscalité sur les stocks-options ou sur la privatisation déguisée des services publics, mais plutôt sur l'augmentation du pouvoir d'achat et sur l'amélioration des conditions de travail et de vie de millions de travailleurs précaires. La radicalité qui s'exprime aujourd'hui à la gauche du PS n'est que le reflet déformé du désespoir de beaucoup de citoyens français et européens.

Nous sommes réformistes, mais nous n'avons pas peur de la radicalité qui s'exprime aujourd'hui dans la société française, et pas seulement dans ses franges les plus politisées. Nous sommes fiers de notre identité de socialistes, car il faut beaucoup d'énergie et de convictions démocratiques pour assumer une pratique réformatrice dans un contexte mondial d'exacerbation de la pauvreté,de la misère et de l'exploitation.

Nous sommes réformistes parce que nous sommes soucieux de ne jamais distinguer la fin des moyens de l'action politique, parce que nous pensons que les changements les plus durables sont ceux qui résultent d'un travail de conviction et de choix démocratiques.

Nous sommes réformistes, mais d'une gauche qui n'abdique pas par principe au prétexte qu'il est difficile de penser et d'agir autrement.

Nous sommes d'une gauche qui ne craint pas le rapport de forces face à l'idéologie libérale-sécuritaire véhiculée par la droite et des pans entiers de la société.

Nous sommes d'une gauche qui assume sa critique radicale du capitalisme à l'heure où il génère toujours plus d'inégalités.

Nous sommes d'une gauche qui entend mener une bataille culturelle à grande échelle contre les valeurs marchandes et individualistes de la société libérale.

Pour faire vivre cette gauche, nous voulons que le Parti socialiste soit fidèle au texte de sa déclaration de principes en mettant son réformisme au service des aspirations révolutionnaires : liberté, égalité, fraternité.

Nous voulons qu'il se régénère au contact de ceux qui se mobilisent aujourd'hui pour une autre mondialisation et pour une autre citoyenneté. Nous voulons qu'il exerce son intelligence collective pour inventer de nouvelles frontières au socialisme démocratique, des frontières qui soient désormais à l'échelle de l'Europe et du monde, car il s’agit bien désormais de la perspective nécessaire à notre action.

Face à la mondialisation de l’économie, nous devons être ceux qui mondialisent la politique. La première étape déterminante devant nous, tient dans l’accueil que nous faisons au projet de constitution européenne issu de la convention. A nos yeux cette constitution d’essence libérale est inacceptable.

D’abord parce qu‘elle soustrait méthodiquement l’ensemble du champ économique à toute forme de contrôle politique et démocratique. Ensuite parce qu’elle abandonne la perspective fédérale. Enfin parce qu'elle borne définitivement notre horizon puisqu’il faudra l’unanimité de la CIG et des pays membres pour la réviser.

Nous ne rêvons pourtant pas d’une constitution « socialiste » ou « social démocrate ». Nous demandons juste que cette constitution commune à tous les européens, n’empêche pas les européens, s’ils le décident démocratiquement, de mener une politique socialiste demain ! Or demain, le projet de constitution tel quel, l’interdirait définitivement.

Le projet de Giscard n’ouvre pas un nouveau cycle pour la construction européenne, il y met un terme. Aussi, pour nous, en l’état, c’est non. Le calendrier politique nous offre pourtant l’opportunité de donner à cette constitution une véritable légitimité démocratique : les élections au Parlement européen de 2004. Voilà l’Assemblée Constituante ! Des élus du peuple mandatés pour rédiger ce texte. Un processus authentiquement démocratique au service d’un grand débat partagé par l’ensemble des citoyens européens.



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