La culture, un élément clef du programme des socialistes



Entretien avec Anne Hidalgo, secrétaire nationale en charge de la Culture, paru dans l'Hebdo des Socialistes daté du 9 janvier 2004
Propos recueillis par M. G.


 

Une certaine distance semblait s’être installée entre le parti socialiste et les intellectuels, notamment les acteurs culturels. Cette distance s’est-elle réduite ?
Avant de parler de cette distance, qui est réelle, il faut réaffirmer un fait : le parti socialiste demeure une référence. Dans les nombreuses municipalités que nous dirigeons, je pense à Nantes, Rennes, Dijon ou bien Paris, les milieux culturels savent quelle est la différence entre la gauche et la droite. Ils savent comment, dans une municipalité de gauche, et notamment lorsqu’elle est gérée par le Parti socialiste, les projets avancent.

Mais, pour en revenir à votre question, il est vrai que toute une génération - en gros les 25/50 ans - a pris ses distances, ces dernières années, avec le parti socialiste ! Pour cette génération, le PS n’est pas leur référence politique comme elle a pu l’être pour leurs aînés, cette génération d’artistes qui a permis à la gauche d’arriver au pouvoir.

Mais, aujourd’hui, je le vois à travers les rencontres que nous avons organisé à Nantes, Aurillac, La Rochelle, Avignon, Lyon ou Dijon, les artistes, même ceux de cette génération éloignée de nous, comprennent qu’il faut qu’il y ait une traduction politique à leurs revendications.

Et cette traduction est différente si elle vient de droite ou de gauche ! Je ne m’aventurerai pas à dire, pour autant, que la confiance est rétablie mais beaucoup d’intermittents ont envie de comprendre ce qui est en train de se passer chez nous. Je crois qu’ils apprécient aussi la façon dont nous posons le problème. A partir de là, il y a un travail à faire en commun. Nous l’avons engagé, sur les politiques culturelles et la question plus particulière des statuts des personnels.

La réforme du régime de chômage des intermittents est désormais en application ! Dans ces conditions, que faire ?
Depuis que l’accord a été signé, en juin dernier, nous avons été présents à toutes les étapes de la lutte, lors de toutes les manifestations, avec nos élus comme avec le parti. Nous avons cheminé ensemble.

Nous avons reçu, le 29 novembre, une délégation de la CGT spectacle, une délégation de la coordination des intermittents et le groupement des employeurs dans le secteur du théâtre.

L’entêtement du gouvernement à vouloir absolument conduire cette réforme est flagrante. Lorsqu’il y a eu une menace sur la validité de l’accord qui contient des irrégularités, le gouvernement et le Medef auraient pu accepter notre demande, à savoir un moratoire pour donner du temps à une négociation. Ils n’ont pas saisi cette opportunité. Il y a, à l’évidence, une volonté de tourner le dos à toute solution raisonnable. Résultat, la lutte va continuer.

Les régionales peuvent être, aussi, un moyen de traduire une autre vision de la culture que celle qui est véhiculée par le gouvernement. En faisant de la question culturelle un élément clef du programme des socialistes, il y a matière à trouver des traductions politiques.

Elles n’auront pas d’effet sur le régime d’indemnisation du chômage qui relève du gouvernement et des partenaires sociaux, mais on peut poursuivre des politiques culturelles ambitieuses à travers les financements apportés aux compagnies, à l’art contemporain.

Quel peut être l’impact réel de l’intervention de l’Etat alors que les directions régionales de l’action culturelle ne représentent que le tiers du budget de la culture ?
La France a bénéficié, ces vingt dernières années, et bénéficie aujourd’hui encore, d’équipements culturels bien répartis sur le territoire, même s’il y a encore à travailler. La rencontre que nous avons organisée à Aurillac a beaucoup porté sur ces questions. La municipalité développe une politique très dynamique, avec un très beau festival des arts de la rue et bien d’autres choses tout au long de l’année. Mais, en même temps, la ville ne peut pas tout prendre en charge : il y a besoin d’avoir une intervention de l’Etat.

L’Etat doit intervenir très fortement, par exemple dans le domaine des enseignements artistiques et culturels à l’école : ces questions doivent être des piliers de l’éducation, et pas simplement des matières qui relèveraient du luxe ou de la volonté de tel ou tel projet d’école. Or Aillagon a purement et simplement annulé le plan Lang-Tasca. Nous, nous proposons d’aller bien au-delà : il faut rétablir une égalité sur les enseignement artistiques dès la maternelle, et bien sûr l’école primaire et le collège, c’est là que se jouent aussi beaucoup d’inégalités.

Un autre effort est à faire. L’évolution importante de l’offre culturelle depuis 20 ans n’a pas incité un nouveau public à consommer de la « culture ». Le public existant est fidèle mais le problème se pose de savoir comment toucher ceux qui ne viennent pas spontanément.

Même avec les spectacles de la rue ?
Toucher ces publics-là ne consiste pas à les faire venir dans des lieux institutionnels mais, au contraire, à faire venir à eux la culture. Cela avait été fait en matière de politique de la ville, à travers le soutien d’un certain nombre d’associations, de compagnies qui allaient dans les quartiers.

Quand des municipalités offrent des places dans de grands théâtres aux personnes dont s’occupe le Centre d’action sociale de la ville, il faut bien constater que celles-ci ne viennent pas ! Il y a donc tout un travail à faire pour aller les chercher là où elles sont : dans les quartiers, les écoles, mais aussi, pourquoi pas, dans les centres commerciaux, la rue, tous les lieux où ce public peut, à un moment donné, être touché.

La culture n’est pas dévalorisée quand on procède ainsi. Nous avons eu cette discussion avec beaucoup d’artistes : on ne confond pas le socio-culturel et le culturel. Le travail de l’artiste, c’est de créer, c’est aussi de rencontrer un public.

Le rôle des pouvoirs publics, c’est de soutenir la création pour que les artistes soient dans la liberté de créer, dans des conditions de vie, des conditions sociales qui favorisent cette création. Mais c’est aussi de favoriser et de multiplier les opportunités de rencontres entre le public et les artistes eux-mêmes : cela passe par les mouvements d’éducation populaire, la politique de la ville, la politique de l’éducation…

Le PS va-t-il prendre position à ce sujet ?
La culture est un élément majeur d’une démocratie : ce n’est pas du luxe, c’est ce qui permet l’évolution de femmes et d’hommes libres, conscients, ouverts sur le monde, capables de se projeter à travers les utopies que nous offrent les artistes et les créateurs.

Sans cette part de rêve, de projection, mais aussi de traduction des angoisses, une société vit mal. Il faut réintégrer - et c’est un message fort que la commission culture souhaite adresser à l’ensemble du parti socialiste - la dimension culturelle comme un élément identitaire des politiques de la gauche et, notamment, du parti socialiste.

François Mitterrand nous avait montré la voie : de ses deux septennats, restent des dimensions fortes dans le social, dans l’international et au niveau européen, mais aussi dans la culture. Je crois que tous nos dirigeants doivent se réapproprier les questions culturelles comme des questions relevant de notre identité et jouant un rôle dans la démocratie. Il ne s’agit pas d’instrumentaliser la culture mais bien de permettre l’éveil des consciences.



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